Le Kenya se surprend et s’étonne lui-même. Si la gravissime crise alimentaire qui touche l’est du pays entraîne l’arrivée des ONG internationales, les Kenyans ne restent pas les bras croisés et mettent à profit leurs connaissances et leur savoir-faire en matière de nouvelles technologies pour récolter des dons.
Le mouvement est d’une ampleur incroyable. Lancé fin juillet 2011, il a été baptisé K4K pour « Kenyans for Kenya » (« les Kenyans pour le Kenya »). Il est largement commenté à travers le monde. Considéré comme une réponse africaine à un problème continental, cet élan de solidarité nationale contredit fortement la pensée dominante à l’égard de la région subsaharienne : impuissants, les Etats africains attendraient généralement des aides venues de l’extérieur.
Ce signal envoyé au reste du monde par le Kenya est loin d’être anecdotique. Il est en effet le témoin d’un continent en plein essor qui sait, quand il le faut, se montrer solidaire et uni. Hashim Elmoge, un policier de Nairobi interrogé par la chaîne américaine CNN, a ainsi fait don de son salaire de juillet. Il s’en explique : « C’est juste très triste de voir ça. Je suis Kenyan, je ne pouvais pas m’asseoir devant ma télévision et ne rien faire, surtout après avoir regardé ces images de mères émaciées tenant leurs bébés dans leurs bras ». « Dans les pays où la classe moyenne est devenue importante et grossit, tel qu’au Kenya, des citoyens ordinaires se remontent les manches et se serrent la ceinture », écrivait ainsi, fin août, sur son blog Kristalina Giorgieva, la commissaire européenne chargée de l’aide humanitaire, pour expliquer la nature de la campagne K4K.
Et pour lever des fonds auprès de la population, des concerts, avec les plus grands artistes kenyans, sont organisés à Nairobi et retransmis en direct sur deux chaines de télévision, dont l’antenne publique. Il est possible, pour les téléspectateurs, d’envoyer de l’argent via leur téléphone portable. Comme plusieurs millions de Kenyans possèdent un compte en banque sur leur mobile, ce système est bien le plus efficace afin de toucher un maximum de personnes. Fin août, la levée des fonds approchait quasiment les 5 millions d’euros.
Le plus intéressant dans ce mouvement relève de l’identité de ses instigateurs : ce ne sont pas les autorités qui ont pris les devants. C’est la population civile avec des blogueurs anonymes qui, pour la plupart, ne se connaissaient pas, mais qui partageaient cette volonté d’aider les Kenyans les plus nécessiteux. Un nouvel épisode Ushahidi en quelque sorte : la plate-forme en ligne de localisation de données, désormais de renommée et d’utilisation mondiale, est née de la sorte au moment des violences post-présidentielles de décembre 2007.
Utilisant leur site Internet, où le nom de chaque donateur apparaît sur une frise humaine, et les réseaux sociaux pour véhiculer leur message, les Kenyans alertent leur diaspora de l’urgence et de la gravité de la situation. Ainsi, les dons, nombreux, continuent d’affluer de Grande-Bretagne et des Etats-Unis, où l’on compte plusieurs dizaines de milliers d’expatriés kenyans. Mais la tendance est bel et bien mondiale puisque, sur la page Facebook du mouvement, des Kenyans travaillant au Botswana déclarent avoir ouvert un compte en banque et placé de l’argent en faveur des victimes de la famine. Ils demandent aussi à recevoir des tee-shirts à l’effigie de K4K pour les vendre au sein de la diaspora et de la population locale.
Dans un pays gangrené par la corruption, les interrogations ne manquent pas sur l’usage des fonds collectés. Mais là encore, tout semble fonctionner puisque l’argent va directement sur un compte ouvert pour la Croix-Rouge kenyane. Les autorités, parmi les plus corrompues de la planète, sont occultées par cette campagne spontanée. Les vérifications des transferts de fonds sont par ailleurs très minutieuses : certains leaders du mouvement travaillent pour des compagnies d’audit. Et au lieu de s’approvisionner en nourriture à l’étranger, Kenyans for Kenya préfère légitimement acheter les denrées auprès des grands producteurs du pays. Les premières aides alimentaires, acheminées sur zone début août, ne sont que la partie immergée d’un mouvement appelé à durer.
* Arnaud Bébien est journaliste indépendant (Tanzanie)
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