Samir Amin: L’intellectuel de renommée internationale épris de justice sociale
Ebrima Sall rend hommage à Samir Amin à l’occasion de son 80ème anniversaire, en particulier pour son engagement en faveur de la justice sociale en même que pour ses qualités intellectuelles qui lui ont valu une réputation internationale
En février de cette année, CODESRIA a publié un livre contenant les conversations de Samir Amin avec Demba Moussa Dembele de l’Africa Forum for Alternatives. Le titre du livre est
"Samir Amin : l’intellectuel organique au service de l’émancipation du Sud". Le lancement du livre à Dakar, au cours du Forum Social Mondial en février 2011, a été l’occasion de célébrer Samir Amin, l’homme et la cause qu’il a toujours défendue et ce dans le cadre du forum qu’il a contribué à mettre sur pied. La liste des qualités dont il a été fait état et les témoignages sur sa personne est trop longue pour être reproduite ici. Ceux que je trouve particulièrement remarquables peuvent cependant être partagés :
- Le professeur Samir Amin est un intellectuel de réputation mondiale, dont les travaux incluent plus de quarante livres qui, à ce jour, sont considérés comme de classiques des études du développement.
- Samir Amin est non seulement un auteur très prolixe mais également un penseur raffiné qui a la capacité de formuler des théories extrêmement complexes en un langage facilement compréhensible. Samir dit avoir lu Marx, tous les ouvrages de Marx tous les 20 ans. En lisant les livres de Samir, il devient évident que sa propre compréhension de Marx n’est pas superficielle, mais suffisamment profonde pour qu’il puisse transcender et l’utiliser de façon créative là où il faut et étendre Marx à de nouveaux contextes, à de nouvelles situations.
- Son livre intitulé "Accumulation on a world scale" (Accumuler à l’échelle mondiale), analyse la récente crise financière globale, dont il a prévu l’ampleur des mois avant que les institutions de Bretton Woods commencent à la discuter. De même, son analyse approfondie du "Printemps arabe", démontre que Samir à une compréhension approfondie du fonctionnement du système capitaliste mondiale et "sa" mission a été de mettre en lumière les injustices du système global et son extraordinaire capacité de se transformer dans le temps et l’espace.
Le professeur Amin appartient aussi à cette rare espèce d’intellectuels raffinés qui allie l’étude sérieuse et l’engagement en faveur des démunis du monde : les pays du Sud et à l’intérieur du Sud, les travailleurs, hommes et femmes, quel que soit leur âge ou leur couleur. Ses travaux ont, à beaucoup d’égard, un sens pratique. Bien qu’il ait toujours souligné la nécessité de maintenir une clarté théorique, il n’a jamais établi de "Mur de Berlin" entre sa recherche et son engagement personnel en faveur de la justice sociale dans le monde. Il a enseigné dans de nombreuses universités de par le monde et il est l’un des membres fondateurs et dirigeants du Forum Mondial pour les Alternatives. Il a été le mentor de générations de penseurs et a inspiré des mouvements de libération dans le monde entier.
C’est autour de sa personne que, en 1973, se sont rassemblés à Dakar, les doyens des facultés des Sciences sociales et des humanités des universités africaines qui ont constitué le Council for the Development of Social Science Research in Africa (CODESRIA). Peu après, il a fondé une ONG internationale majeure : Environnement et Development- Tiers monde (Enda- Tiers Monde), basée à Dakar, à un moment où peu de gens étaient préoccupés par l’environnement qui est, dans l’intervalle, devenu le sujet de nombreux sommets internationaux. Samir a été le directeur de l’Institut des Nations Unies pour le Développement et la Planification (IDEP) basé à Dakar. Il a non seulement contribué à la création de ces instituts qui ont pris une telle importance, mais il les a également invitées à l’IDEP, "à un risque professionnel considérable pour lui-même" comme l’a souligné Thadika Mkandawire lors de la célébration du 20ème anniversaire du CODESRIA en 1993 :
" L’expérience de CODESRIA et de l’IDEP a été que le CODESRIA, s’il voulait remplir son mandat, risquait d’imposer des coûts insupportables à l’institut qui l’hébergeait. Seul le courage et l’engagement de Samir Amin ont permis au CODESRIA de continuer à être hébergé à IDEP, prenant ainsi un risque professionnel considérable… A cette époque le CODESRIA n’avait pas de ressources propres, pas d’argent, pas de personnels, pas d’équipement, pas de statut légal. L’organisation dépendait de matériel de bureau et machines à écrire empruntés à IDEP… Sa bonne volonté, son engagement et son ingéniosité ainsi que la décision du Professeur Bujra d’accepter le poste de secrétaire exécutif, au risque de perdre son emploi et le soutien moral du comité exécutif ont créé les bases pour une institutionnalisation du CODESRIA. [1] Il dirige encore les projets de recherche du CODESRIA et vient juste de soumettre un manuscrit pour publication, produit par un réseau de recherche comparative sur les réponses africaines à la crise : Agrarian Reform and Agriculture in Africa (Réformes agraires et agriculture en Afrique), impliquant des chercheurs réputés comme Bernard Founou (Cameroun), Sam Moyo (Zimbabwe), Jacques Bertholet (France), Hassania Chalbi (Tunisie), Abdour Rahman Ndiaye (Senegal), Issaka Bagayoko (Mali) et d’autres encore.
Comme personne j’ai toujours été impressionné par la largeur de ses vues et la profondeur de son savoir, mais aussi par sa simplicité. Lilly, son assistante au Forum du Tiers Monde - une autre organisation qu’il a fondée- a dit lors du Forum Social Mondial à Dakar, aux milliers de personnes venues célébrer la vie de Samir, que Samir et sa partenaire Elisabeth lui ont enseigné le français et sont littéralement devenu sa nouvelle famille à Dakar. Ceci n’est probablement pas la relation employeur/employé standard de nos jours.
Nous souhaitons au professeur Samir Amin de nombreuses années ensoleillées.
NOTE
[1] Report of the executive secretary to the 20th anniversary of CODESRIA
* Professeur Ebrima Sall est directeur de CODESRIA à Dakar – Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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