Sénégal : Retour sur la journée mémorable du 23 juin
Le jeudi 23 juin restera une journée d’infamie pour le président Wade et son clan. Mais elle sera inscrite en lettres d’or dans l’histoire politique du Sénégal indépendant. Oui, le 23 juin 2011 restera à jamais un jour de gloire pour le peuple sénégalais qui a démontré qu’il était le seul et unique dépositaire du pouvoir. Le 23 juin a, en particulier, mis en lumière le courage, la détermination et l’abnégation de la jeunesse sénégalaise.
Après cette journée mémorable du 23 juin, le peuple sééngalais a retrouvé sa fierté et reconquis sa dignité. Il a montré qu’il savait être à la hauteur des grands moments quand le destin de la Nation est en jeu. Je ne sais pas si l’on peut parler de changement du cours de l’histoire, mais sans aucun doute, le 23 juin 2011 a donné une accélération magistrale à l’histoire politique de notre pays. Et cette accélération a fait ressortir dans tout son éclat la grandeur de notre peuple.
Pendant, longtemps on a spéculé sur « l’apathie », la « peur », « la docilité » du peuple sénégalais, accablé par le chômage, les délestages, les inondations et les tracas quotidiens d’une vie de plus en plus insupportable. Le tout dans un contexte marqué par l’obscurantisme distillé à longueur de journée par des charlatans qui se font appeler « marabouts ». Le 23 juin 2011 a apporté un cinglant démenti à cette perception et balayé au passage les analyses pessimistes des sociologues et autres politologues sur la jeunesse sénégalaise.
Oui, le peuple sénégalais éprouve, à juste titre, une fierté pour sa jeunesse. Une jeunesse qui a fait preuve de bravoure, de courage et de détermination qui ont forcé le respect. Cette jeunesse que le monde entier a vu à l’œuvre ce jeudi 23 juin n’a plus peur de rien. Elle a fait preuve d’héroïsme et montré que l’on pouvait compter sur elle quand l’avenir de la Nation est en jeu. En effet, les sacrifices qu’elle a consentis, avec les arrestations, les blessés et les tortures, tout cela a été fait dans l’abnégation, au service de la justice, de la démocratie, du respect du droit inaliénable du peuple sénégalais à choisir en toute liberté ses dirigeants.
Un Sénégal nouveau, qui était en gestation depuis de nombreuses années, a enfin vu le jour le jeudi 23 juin. Et le visage de ce Sénégal nouveau c’est cette jeunesse héroïque qui dit non à l’arbitraire, non à la corruption, non à l’usurpation de la volonté populaire. Et alors, plus rien ne sera comme avant.
LA CAPITULATION DES DEPUTES FACE A LA COLERE POPULAIRE
La plupart des députés de la majorité, aveuglés par leur soutien inconditionnel au président Wade, n’ont pas compris, comme leur maître, que le pays avait profondément changé, que le peuple était arrivé à un point de non retour après avoir trop subi et avalé trop de couleuvres de la part du pouvoir libéral. Ils n’avaient pas bien décrypté le message des élections locales de mars 2009. Ils n’ont pas compris la colère sourde et l’opposition massive et déterminée contre le projet de Loi, une opposition incarnée par la jeunesse, qui était prête à en découvre avec le régime s’il voulait forcer sur le peuple cette révision inacceptable. Mais l’entêtement du vieillard et les mauvais conseils de son noyau dur ont empêché le Palais et les Députés de la majorité de sentir venir le danger, le piège qui allait se refermer sur eux.
Cela explique les déclarations arrogantes de certains leaders de cette majorité, minimisant l’opposition au projet de Loi. Et le jeudi 23 juin, pendant quelques heures, le peuple médusé assista à un débat surréaliste à l’Assemblée nationale alors que celle-ci était encerclée par des milliers de manifestants et que d’autres manifestations avaient lieu dans le reste du pays !
Mais en fin de compte, la réalité a fini par prendre le dessus. Face à la mobilisation sans précédent du peuple, les députés de la majorité ont dû capituler. Ils ont fini par comprendre que respecter la volonté populaire passe avant la loyauté à l’égard d’un président complètement coupé des réalités du pays.
POURQUOI LE PRESIDENT WADE DOIT PARTIR MAINTENANT !
Maintenant, il leur reste à persuader leur président de faire ses bagages et de partir sans délai dans la paix et afin de préserver ce qui lui reste encore de respect au sein de la population à cause de son grand âge. En effet, ce qui s’est passé le 23 juin est l’expression d’une lame de fond, d’un rejet franc, massif et sans appel de son régime et de sa manière de gouverner ce pays. C’est un référendum sur son bilan et sa manière d’envisager l’avenir du pays. D’ailleurs, s’il a osé proposer l’élection d’un président avec seulement 25% des voix, cela signifie qu’il a pris conscience de l’ampleur de son impopularité et qu’il sait que l’écrasante majorité de ses compatriotes l’a abandonné. Définitivement.
Le projet de loi montre que même la ruse a définitivement déserté son camp. C’est la peur et le désespoir qui y règnent désormais. L’horizon s’est assombri davantage. Le peuple n’en veut plus. Le roi est vraiment nu. « Buur Saloum » a été abandonné par ses « sujets ». Il doit partir, dégager sans délai, dans son intérêt et celui du Sénégal. Il doit comprendre que personne n’acceptera de mourir et de mettre le Sénégal à feu et à sang pour satisfaire les caprices d’un vieillard de 90 ans. Les accents fascisants de son ministre de la Justice à l’Assemblée nationale et les quelques déclarations de certains de ses inconditionnels ne sont que l’expression d’une profonde amertume devant l’ampleur de leur défaite, de l’humiliation sans précédent de leur chef.
S’il y a encore un peu de lucidité qui l’habite, il doit savoir que le jeu est vraiment fini. Il a perdu et doit l’accepter. Il ne peut plus ruser avec le peuple. Dans leur écrasante majorité, les Sénégalais n’en veulent plus. Il a commis l’erreur fatale et doit en tirer la seule conséquence logique: partir pendant qu’il est encore temps. S’il s’entête, il risque de subir le même sort que Ben Ali ou Moubarak.
Ceux qui ont encore une influence sur lui et qui ont le courage de lui dire la vérité les yeux dans les yeux doivent essayer de le raisonner. Son régime est fini et bien fini. Son maintien au pouvoir –même pour les huit mois qui lui restent- ne pourra qu’exacerber la rancœur contre son régime et sa propre personne. Il ne pourra plus rien dire ou faire qui puisse rétablir la confiance du peuple. Cette confiance est définitivement perdue. Il a fait trop de petits calculs politiciens, il a commis trop d’erreurs dans son rapport avec le peuple, il a trop cru dans la toute-puissance de l’argent et la « docilité » du peuple sénégalais pour obtenir tout ce qu’il veut. C’est tout cela qui l’a perdu.
Si ses députés l’ont abandonné c’est parce qu’ils ont compris que le peuple est le vrai dépositaire du pouvoir et qu’il est plus fort que Wade et tout son argent. Aucun pouvoir n’est éternel, quelle que soit sa puissance apparente. Les exemples de Ben Ali et de Moubarak sont encore frais dans les mémoires. Mais eux n’ont pas eu l’outrecuidance de se considérer comme « éternels, comme l’avait cru Mobutu, ex-dictateur de l’ex-Zaïre. Certains d’entre nous se souviennent d’un documentaire intitulé « Mobutu, roi du Zaïre ». Il retrace le parcours de celui-ci, depuis sa participation à l’arrestation et à l’ignoble assassinat de Patrice Lumumba, sous l’instigation de la CIA, jusqu’à sa fuite et la fin de son régime face à l’avance des troupes de Laurent-Désiré Kabila en 1997.
A une certaine période de son règne de 32 ans, Mobutu s’était senti tellement puissant qu’il se crut « éternel ». Une chanson avait d’ailleurs été composée en son honneur dont le refrain reprenait cette idée insensée. Mais quand les choses ont commencé à mal tourner, il était revenu sur terre et s’était rendu compte que ni lui ni son régime n’étaient « éternels ». Mais quand les choses ont commencé à mal tourner, il était revenu sur terre et s’était rendu compte que ni lui ni son régime n’étaient « éternels ». Le documentaire d’ailleurs se termine sur la mort de Mobutu au Maroc, loin de son pays et abandonné de tous ceux qui l’avaient adulé et lui avaient fait croire qu’il était « éternel ». Seuls les peuples sont éternels!
COMPTER AVEC LE PEUPLE
Comme dit plus haut, rien ne sera plus comme avant après ce 23 juin 2011. Un Sénégal nouveau est né, avec des citoyennes et citoyens conscients de leurs droits et déterminés à les défendre. Ils ne permettront à personne de les confisquer. Ce sont des citoyennes et citoyens majeurs et conscients. Ils entendent être traités comme tels. Ils entendent participer comme tels à la recherche de solutions aux énormes défis auxquels le pays est confronté. Les politiques sont avertis. Ils sont en face d’un peuple mûr qui a trop subi et qui n’entend plus confier son sort au premier venu. C’est un peuple exigeant qui va demander des comptes à celles et ceux qui vont solliciter ses suffrages. C’est un peuple qui comprend les enjeux et les défis autant, sinon mieux, que les politiques et les « experts ».
Avec une jeunesse aussi déterminée, consciente de sa force, de ses droits et de ses devoirs, aucun dirigeant ne pourra plus gouverner comme bon lui semble. Une opinion publique est née et elle a de beaux jours devant elle. Tant mieux pour le Sénégal!
* Demba Moussa Dembélé est économiste
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