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Le 11 juillet 2003, l’Afrique est entrée dans l’histoire pas comme ce continent qui se suicide comme le mentionne Stephen Smith dans son célèbre ouvrage « Négrologie », encore moins comme cet ailleurs étrange qui se caractérise principalement par la violence, la morbidité et la calamité, mais comme un espace capable de garantir les droits de l’ensemble de ses citoyens sans aucune forme de ségrégation.

C’est ainsi qu’est sorti des fonds baptismaux, à Maputo, sous l’égide des chefs d’Etats africains, le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits de la femme. L’Afrique sonnait alors le glas du confinement de la femme dans la sphère des seconds rôles. Cet instrument juridique inédit est venu matérialiser, de façon particulière, les idées qui avaient longtemps été exprimées à travers le Plan d’Action de Lagos en 1980, la Journée internationale de la femme africaine et plusieurs autres outils juridiques comme la Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) et les Pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques, ainsi qu’aux droits économiques, sociaux et culturels.

Malgré quelques remous que sa ratification a suscitée dans certains pays , (1) le Protocole de Maputo a été un objet de joie et de réjouissance. Non seulement pour les nombreuses associations féminines qui se sont battues pour la reconnaissance des droits de la femme, mais aussi pour ceux qui ont la conscience de l’approche genre, dont les jeunes. C’est ainsi que nous allons, dans les lignes qui suivent, dire en quoi ce protocole est un faisceau d’opportunités. Non pas uniquement pour les femmes, mais pour l’ensemble du continent africain qui, aujourd’hui, a besoin d’entrer dans la nouvelle dynamique de l’approche genre pour faire décoller le développement tant économique que politique que prône des initiatives comme celle du NEPAD.

Il faudrait, selon nous, toute une éternité pour dire ou pour égrener le chapelet de toutes les fenêtres d’opportunité qu’ouvre ce Protocole. En effet, chacun des 32 articles qu’il comporte peut faire l’objet d’une intense exégèse. C’est pourquoi nous ne pouvons que dire de façon succincte ce que nous pensons de la place cardinale et centrale du Protocole.

LA DECONSTRUCTION DU MYTHE DE L’HOMME SUREVALUE

Comme le remarquait la juriste Camerounaise Diffo Tchunkam, dans une conférence lors de la Journée Internationale de la femme africaine, le 31 juillet 2009, les « Droits des femmes sont perçus par la société comme étant des droits de seconde génération, des droits mineurs dont on peut se passer. » (2) Cette conception, qui a longtemps eu la primauté dans les sociétés africaines, a fossilisé dans les esprits de plusieurs l’idée d’une supériorité de l’homme, sans qui rien n’est possible. Ce qui a permis au paradigme de l’hégémonie masculine (3) de prospérer. « Parler de l’homme, c’était parler de l’humanité toute entière et de façon neutre comme si le signe distinctif ou générique n’avait pas de distinction sur les descriptions objectives. », souligne Norberto Inda.

Le Protocole de Maputo, qui ne s’éloigne pas de cette spécificité africaine, vient déconstruire ce mythe qui a depuis des lustres fait son lit dans l’hypogée de la pensée de plus d’un. Son article 2 sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes fait de la consécration de ce principe d’égalité une obligation pour les Etats et les contraint à l’insérer dans leurs différents dispositifs juridiques. Le paragraphe 1 alinéa a de cet article 2 demande sans détour aux Etats d’ « inscrire dans leur Constitution et autres instruments législatifs , si cela n’est pas encore fait, le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes, et en assurer l’application effective. » Cette loi est ainsi aux antipodes de la logique de la femme comme être caractérisé par sa faiblesse d’esprit (imbecillitas mentis dans la Rome Antique) devant toujours être sous l’autorité de l’homme qui possède la puissance paternelle (patria potestas). (4) La femme africaine n’est donc plus cette matrice non citoyenne livrée à une kyrielle d’injustices.

LA FEMME COMME ACTEUR DU PROCESSUS POLITIQUE

Jean Bodin s’exprimait sur le statut de la femme en ces termes, en 1586 dans ses « Six Livres de la République » : « Quant à l’ordre et à la condition des femmes, je ne veux pas m’en mêler. Je pense simplement qu’elles doivent être tenues à l’écart de toute magistrature, poste de commandement, tribunal, assemblées publiques et conseils, de sorte qu’elles puissent accorder toute leur attention à leurs tâches féminines et domestiques. » Cette assertion de Bodin fait écho de l’absence de la femme qui a, depuis belle lurette, eu droit de cité dans les sphères de prise de décision dans plusieurs pays africains.

Selon l’article 9 paragraphe 2, du Protocole, «les Etats assurent une représentation et une participation accrue, significatives et efficaces des femmes à tous les niveaux de la prise de décisions. » Cette disposition s’inscrit dans le sillage de l’Objectif du millénaire N03, qui vise une autonomisation substantielle de la femme d’ici 2015. Une parité est désormais non seulement réclamée, mais exigée pour tous les Etats à la traîne . (5) L’enjeu de cette question n’est pas juste une représentation pour la représentation, mais on remarque que c’est la présence effective de la femme qui permet de pouvoir défendre les intérêts de la femme et leur permettre de participer elles aussi à la construction de la société. Et il faut déjà ici apprécier l’effort du Rwanda dans ce sens qui aujourd’hui tient la tête du peloton pour ce qui est de la parité parlementaire.

LA FEMME COMME MOTEUR DE LA CROISSANCE ET DU DEVELOPPEMENT

Plusieurs éléments ont, pendant des décennies, occulté le rôle des femmes dans le développement économique et social. Et comme le note Caroline Moser, « dans la plupart des sociétés du Tiers-Monde, le stéréotype de l’homme soutien de la famille prédomine, c’est-à-dire l’homme travailleur, productif, même quand il ne répond pas à la réalité. » (7) Leur contribution au développement était frappée d’ostracisme. Ce qui ne coïncidait guère avec la réalité. Or ce moteur de la croissance, comme le soulignait Virginie Malingre dans « Le Monde en 1999 », est une créatrice de richesses tout comme l’homme.

Le Protocole, en son article 13 sur les droits économiques et la protection sociale alinéa e, appelle les Etats à « créer les conditions pour promouvoir et soutenir les métiers et activités économiques des femmes, en particulier dans le secteur informel. » Si on regarde par exemple le secteur agricole africain qui, de nos jours, constitue une part substantielle du PIB de plusieurs pays (33% pour le Cameroun et 45% pour le Nigéria), on se rend à l’évidence que les femmes en majorité rurales, représentent près de 70% de la force de travail. (8) Or, comme le constatait Koffi Annan, elles « …reçoivent peu ou prou le soutien des gouvernements. » et parfois ont un accès très difficile à la terre. L’article 15 du Protocole sur la sécurité alimentaire apporte cependant du sang neuf en indiquant que les Etats «doivent assurer aux femmes l'accès à l'eau potable, aux sources d'énergie domestique, à la terre et aux moyens de production alimentaire. » En effet les femmes ont un rôle de pierre angulaire à jouer pour ce qui est de la révolution verte africaine, tremplin pour la garantie de la sécurité alimentaire.

ACCES EQUITABLE A L’EDUCATION ET DROIT A LA PROTECTION EN TOUTES CIRCONSTANCES

L’une des innovations du Protocole de Maputo est à notre sens l’emphase qu’il met sur l’éducation en son article 12. Un accès équitable et non discriminatoire est recommandé. Condorcet s’écriait en 1787 qu’« il n’y a entre les deux sexes aucune différence qui ne soit l’ouvrage de l’éducation ». La femme africaine a besoin de formation et cette « formation dont on parle est d’abord celle donnée par l’enseignement de base, ayant cessé de prédéterminer ou de limiter les options d’emplois d’une manière différente pour les filles et les garçons, ensuite la formation continue. » (9)

Par ailleurs, ce Protocole n’oublie pas la femme dans la diversité de son statut ou des situations dans lesquelles elle peut se trouver. Tant la femme dans les conflits armés (article 11), la veuve (article 20), les femmes âgées (article 22), les handicapées (article 23), que celles qui sont en situation de détresse (article 24) ont besoin d’une protection. Toute femme en Afrique doit être à l’abri des pratiques néfastes. Dans un contexte ou foisonnent l’excision, les conflits armés, etc., le Protocole constitue un parapluie pour l’ensemble de la gent féminine africaine.

CONCLUSION

Le Protocole de Maputo, texte spécifique, qui traite directement des droits des femmes africaines est incontestablement un progrès vers le firmament de la libération de celles-ci. Et on peut clamer avec Stendhal que : « L’admission de la femme à l’égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisation. Elle doublerait les forces intellectuelles du genre humain et ses chances de bonheur. » (10) Cependant nous croyons et pensons que cela ne sera possible que si un travail de sensibilisation intense et d’éducation est effectuée pour que les populations africaines s’en approprient afin de se débarrasser des préjugés séculaires au sujet de la femme.

Une réelle mise en œuvre sortira de terre si les Etats s’engagent dans la logique des budgets sexospécifiques comme le recommande l’article 26 du Protocole. Car des retombées concrètes doivent être prévues pour les femmes dans les budgets. Et comme le remarquait la députée sud-africaine Pregs Govender, « Si vous voulez connaître la direction que prend un pays, vous n’avez qu’à étudier son budget et la place qu’il accorde aux femmes et aux enfants .» (11) Le Protocole de Maputo légitime le combat des femmes au sein des Etats. L’avenir dépend incontestablement de cette légitimation. Une réelle osmose et symbiose entre l’homme et la femme est désormais nécessaire pour une culture de la paix et de la stabilité sur le Continent.

Bibliographie
- Malado Dembele, « Afrique :la terre à celles qui la cultivent. », Syfia Presse, n°28, 2003/05
- Institut Internationale des sciences administratives, La place de la femme dans la vie publique et dans la prise de décision, Harmattan, Paris,1997
- Cahier Genre et Développement, Genre :un outil nécessaire, n°1, 2000, Harmattan.
- Michael Fleshman, «Des budgets en quête d’équité entre les sexes», Afrique relance, Volume 16, page 4,
- "Femmes, histoire des." Microsoft® Encarta® 2009 [DVD]. Microsoft Corporation, 2008.
- Le Protocole de Maputo.

NOTES
) Le Journal du Cameroun, quotidien en ligne camerounais mentionne ainsi les marches qui ont été organisées par le Cardinal Christian Tumi avec plusieurs de ses ouailles pour dénoncer ce protocole et principalement son article 14 qui selon eux légitime l’avortement ou l’assassinat des enfants. On peut aussi mentionner dans ce cas l’ensemble des remous qui ont été créés au Mali dans le même ordre d’idée.
2) Diffo Tchunkam Justine est universitaire et fervente militante des droits humains.
3) Cette expression d’hégémonie masculine a été évoqué pour la toute première fois par l’américain W. Connell.
4) Dans la Rome Antique, la faiblesse de la femme selon le législateur grec légitimait son incapacité juridique
5) Pour le Cameroun, on remarque une représentation pas très significative de la femme dans les sphères de prise décision selon la Commission Nationale des droits de l’homme et des libertés. Au parlement, sur 180 députés, on a 25 femmes seulement et dans le gouvernement, on compte 5 femmes.
6) Depuis 2009, le Rwanda compte plus de femmes que d’hommes dans son parlement.
7) Caroline Noser, « Planification selon le genre dans le Tiers-Monde :comment satisfaire les besoins pratiques et stratégiques selon le genre. » in Cahier Genre et Développement, N01, 2000, Harmattan.
8) Malado Dembele, « Afrique :la terre à celles qui la cultivent. », Syfia Presse, n°28, 2003/05, P. 14-15).
9) Institut Internationale des sciences administratives, La place de la femme dans la vie publique et dans la prise de décision, Harmattan, Paris,1997 P 11.
10) Idem.
11) Michael Fleshman, «Des budgets en quête d’équité entre les sexes», Afrique relance, Volume 16, page 4.

* Lemogo Jerry Laurence, fils d’un enseignant et d’une ménagère de l’Ouest Cameroun. Agé de 23 ans, il est passionné de culture générale et surtout des questions internationales. Il est Titulaire d’une licence en lettres trilingues (français-anglais-espagnol) et d’un bac+4 en langue espagnole. Actuellement il est en Master II de Communication et Action Publique Internationales à l’Institut des Relations Internationales du Cameroun. Son leitmotiv est le suivant : « Se battre pour toujours être le meilleur » et il croit comme le disait Talleyrand : « Là où plusieurs hommes ont échoué, une femme peut réussir. »

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