Au moment où l’Afrique semble déterminée à rendre effective les organisations régionales et continentales, l’Union africaine et la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont à ce jour échoué dans leurs tentatives de proposer une solution à la crise post-électorale de Côte d’Ivoire. La menace d’une guerre civile s’incruste dans l’horizon ivoirien
Le second tour de scrutin du 28 novembre 2010 des élections présidentielles en Côte d’Ivoire a marqué le début d’une nouvelle crise politique profonde dans ce pays de l’Afrique de l’Ouest. Les deux candidats en lice, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, revendiquent tous deux la victoire électorale. Les deux principales organisations continentale et régionale, l’Union africaine et la CEDEAO n’ont à ce jour proposé aucune solution africaine décisive dans la confrontation entre les deux candidats. C’est bien la démonstration de leur incapacité à garantir le respect de la démocratie et de l’autorité de la loi dans l’un de leur Etat membre et la Côte d’Ivoire a pris le chemin d’une potentielle nouvelle guerre civile.
A la clôture du scrutin du deuxième tour des élections présidentielles en Côte d’Ivoire le 28 novembre 2010, la Commission électorale indépendante ivoirienne a proclamé Ouattara vainqueur avec 54% des suffrages. Toutefois, Gbagbo, l’autre candidat et actuel président de Côte d’Ivoire, a réfuté les résultats annoncés. En dépit des constats des observateurs électoraux internationaux présents en Côte d’Ivoire pendant le processus électoral, Gbagbo a allégué des fraudes dans sept régions du nord du pays. Par conséquent il a pressé le Conseil constitutionnel ivoirien d’annuler les résultats dans ces régions. Le Conseil constitutionnel a accepté la déclaration de Gbagbo et l’a déclaré vainqueur de la course présidentielle avec 51,45% des voix.
L’élection présidentielle devait représenter le point culminant du processus de paix engagé par les Nations Unies en Côte d’Ivoire, qui avait débuté suite à la sanglante guerre civile de 2002-2004. Au lieu de quoi, elle a été le début d’une nouvelle crise politique profonde qui a résulté de la contestation des résultats par les deux candidats. L’Union africaine et la CEDEAO sont les deux plus importantes organisations régionale et continentale dont la Côte d’Ivoire est membre. Il s’ensuit qu’elle aurait dû immédiatement avancer des solutions effectives à la crise post-électorale.
En contradiction avec leurs objectifs déclarés de jouer un rôle politique prépondérant croissant dans la gouvernance de l’Afrique et de la région de l’Afrique de l’Ouest, autant l’Union africaine que la CEDEAO n’ont, à ce jour, par réussi à promouvoir une solution décisive de l’imbroglio croissant en Côte d’Ivoire. Ce faisant, les deux organisations se sont montrées incapables de prendre position dans une question qui menace directement la stabilité politique, économique, sociale et militaire de l’Afrique de l’Ouest et de tout le continent africain. En raison de l’incapacité opérationnelle de l’Union africaine et de la CEDEAO, la Côte d’Ivoire se trouve au bord de la guerre civile.
Le slogan populaire de l’Union africaine, « Solutions africaines pour problèmes africains », reste entériné dans le discours de l’organisation concernant la sortie de l’impasse post-électorale ivoirienne. Ayant eu tôt fait de reconnaître Ouattara comme le vainqueur légitime des élections, l’Union Africaine a créé, le 28 janvier 2011, un Panel de haut niveau pour la résolution de la crise en Côte d’Ivoire. [1] Son but était de trouver une solution à la crise complexe qui afflige ce pays. Dès le début, le panel a réaffirmé son credo et son objectif qui consiste à trouver « des solutions africaines aux problèmes africains ».
Le 10 mars 2011, le panel a annoncé sa proposition officielle qui reposait sur celle du Conseil Constitutionnel de la Côte d’Ivoire, consistant à assermenter Ouattara comme président légitime du pays et demandant à celui-ci de former un gouvernement d’unité nationale. [2] Hélas, la confrontation entre Gbagbo et Ouattara était sortie de la sphère politique dans les semaines qui ont suivi les élections. Ce qui a amené les deux candidats à rejeter la proposition de l’Union africaine. De plus, la proposition politique de l’Union africaine était basée sur les mêmes principes que les recommandations avancées lors des disputes électorales au Kenya et au Zimbabwe, dont les résultats ont été pour le moins décevants.
La solution proposée par l’Union africaine était bancale, parce qu’elle a omis de prendre en compte les dimensions militaire, sociale et économique de la dispute entre les deux candidats. Du point de vue militaire, la partition du pays, qui a résulté de la guerre civile de 2002-2004, est réapparue. Le Nord est retombé sous le contrôle des anciens rebelles de Forces Nouvelles qui sont les partisans déclarés de Ouattara et le Sud est resté sous le commandement de l’armée ivoirienne qui est clairement fidèle à Gbagbo. De plus, Gbagbo continue de recevoir un soutien sans faille des milices nationalistes armées des Jeunes Patriotes. Les deux parties refusent de désarmer et ont échangé d’innombrables coups de feu dans tout le pays, y comprisà Abidjan.
La division militaire de Côte d’Ivoire correspond de façon générale aux lignes de fracture qui sont apparues dans le pays. Gbagbo tire son soutien des groupes ethniques du sud qui se considèrent comme les authentiques Ivoiriens, cependant que les supporters de Ouattara proviennent plutôt des groupes ethniques du nord dont les origines pourraient se trouver dans les pays voisins. A quoi s’ajoutent de grandes communautés d’immigrants en provenance de la région de l’Afrique de l’Ouest et qui sont souvent la cible des Gbagbo et de ses partisans.
Sur le plan économique, le pays est dans le marasme. En partenariat avec Ouattara, la communauté internationale a imposé au régime de Gbagbo des sanctions strictes et un blocus commercial. En conséquence de quoi, les banques étrangères ont cessé leurs activités dans le pays, la Côte d’Ivoire a été suspendue de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest et ses principales industries (cacao, café, coton et pétrole) ont subi d’importants revers. Il apparaît donc que la solution proposée par l‘Union africaine était pratiquement une non solution. Elle a ignoré une multitude de facteurs qui continuent de couper le pays en deux factions distinctes, ce qui rend la conciliation selon la proposition de l’Union africaine impossible.
De même les initiatives de CEDEAO pour trouver une issue à la crise post-électorale en Côte d’Ivoire n’ont produit peu ou pas de résultats. Jusque-là, la CEDEAO a reconnu Ouattara comme étant le vainqueur légitime des élections présidentielles, a suspendu la Côte d’Ivoire de ses activités et a menacé d’éjecter Gbagbo du pouvoir par la force si nécessaire. [3] Toutefois les menaces de nature militaire n’ont jamais été sérieuses. Elles faisaient plutôt partie d’une stratégie qui visait à mettre la pression sur Gbagbo afin qu’il accepte de négocier le transfert du pouvoir.
Gbagbo et ses aides étaient bien informés sur les réelles capacités et sur la rhétorique de la CEDEAO quant à son intervention militaire en Côte d’Ivoire et ont ouvertement ignoré la déclaration d’intention de l’organisation. Il en est résulté que lors de sa dernière réunion du 23 mars 2001, la CEDEAO a réaffirmé sa position et a fait appel aux Nations Unies pour qu’elles interviennent fermement dans la résolution de la crise. A cette fin, elle a demandé au Conseil de Sécurité des Nations Unies de revoir le mandat de l’ONUCI (Organisations des Nations Unies en Côte d’Ivoire) afin de lui ‘’permettre d’user de tous les moyens nécessaires à la protection de la vie et de la propriété et de faciliter le transfert immédiat du pouvoir à M. Alassane Ouattara’’ [4]
La CEDEAO a donc pris une position politique ferme dans la dispute post-électorale en Côte d’Ivoire, mais n‘a pas réussi à résoudre la dispute entre Gbagbo et Ouattara. L’organisation reste divisée sur l’usage de la force dans le pays. Certains, en particulier les voisins immédiats comme le Ghana et le Liberia, ne veulent pas en entendre parler. Ils redoutent une victoire à la Pyrrhus pour la CEDEAO et craignent qu’elle ne déborde au-delà de leurs frontières. Le Nigeria, qui a les forces armées les plus compétentes de l’Afrique de l’Ouest, partage ce point de vue, mais principalement en raison de préoccupations de sécurité sur son propre territoire.
L’option militaire proposée par la CEDEAO pourrait s’avérer encombrante pour elle, et en réalité l’organisation a échoué dans la recherche d’une solution à la crise post-électorale en Côte d’Ivoire. Son appel au Conseil de Sécurité pour une solution dénote une résignation devant son incapacité à jouer un rôle prépondérant dans la gouvernance de l’Afrique de l’Ouest.
La réponse de l’Union Africaine et de la CEDEAO dans la crise post-électorale de la Côte d’Ivoire a été, à ce jour, faible et a manqué de détermination. A un moment où l’Afrique semble déterminée a accorder davantage de pouvoir aux organisations continentale et régionale, en accord avec le mantra « Solutions africaines aux problèmes africains», on attend davantage de l’Union africaine et de la CEDEAO pour résoudre le conflit résultat d’une élection présidentielle dans l’un de leur pays membre.
La capacité d’user de la force ne doit pas être considéré comme la panacée ou la pré condition pour résoudre les crises africaines. L’Union africaine et la CEDEAO doivent avoir à leur disposition toute une panoplie d’outils efficaces pour convaincre le président en place d’accepter la défaite sortie des urnes. Leur incapacité à résoudre la crise post-électorale ivoirienne démontre la faiblesse de leurs ressources pour effectivement réaliser leur « Solutions africaines aux problèmes africains ». Il s’en suit que la Côte d’Ivoire entre dans un conflit armé aux conséquences imprévisibles pour le pays, la région de l’Afrique de l’Ouest et du continent africain
[1] BBC, ‘Ivory Coast: AU Panel of Leaders to Seek Way Forward’, 29 January 2011 (http://www.bbc.co.uk/news/world-africa-12314022)
[2] African Union, ‘Communiqué de la 265e reunion du Conseil de paix et de sécurité, Addis Ababa, Ethiopia – Décision sur la Situation en Côte d’Ivoire’, 9 mars 2011, (http://au.int/en/dp/ps/documents)
[3] CEDEAO, Déclaration à la presse par le president de la Commission de la CEDEAO sur la crise en Côte d’Ivoire’, 10 février 2011 (http://news.ecowas.int/)
[4] Reuters, ‘ECOWAS Calls for Strict UN Sanctions on Ivory Coast’, 24 march 2011 (http://www.reuters.com/article/2011/03/24/ivorycoast-ecowas-idUSLDE72N1T...)
* Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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