Horace Campbell met en lumière le rôle déterminant des militantes lors des protestations en Egypte qui ont conduit à la chute de Moubarak et de son régime. Parmi elles, Asmaa. Une femme qui a joué un rôle crucial dans la mobilisation et les rassemblements sur la place Tahrir. Comme il y en a d’autres qui « ont transmis leur passion et ont été l’inspiration de la révolution».
Lorsque le mouvement révolutionnaire en Afrique du Nord a fait irruption sur la scène internationale au début janvier 2011, le monde a été exposé à de nouvelles forces dans la politique internationale. Cette force a été nourrie par l’énergie et la puissance des femmes de la base et de la jeunesse africaine. Nous voulons saisir l’occasion de la commémoration de la Journée Internationale de la femme pour rendre hommage aux femmes qui ont pris la direction de cette révolution qui est toujours en cours.
Il nous importe de saluer des femmes comme Amal Sharaf et Asmaa Mahfouz du « Avril 6 Movement » en Egypte, qui ont fait montre d’un leadership exemplaire en défiant le très redouté régime de Moubarak. Ces femmes appartiennent à une nouvelle génération de révolutionnaires qui luttent pour faire passer le pouvoir des mains du patriarcat et des capitalistes à celles des travailleuses et des travailleurs. Les peuples africains dans le monde entier ont célébré la Journée Internationale de la femme, même si lors de son lancement, les peuples d’origines africaines étaient marginalisés par la mouvance dominante. Nous saluons ces femmes égyptiennes ainsi que ces femmes qui demandent que plutôt que tuer on prenne soin de la vie.
Le Tunisien Mohammed Bouazizi est entré dans les annales des révolutionnaires martyrs lorsqu’il s’est sacrifié afin de rallier la jeunesse pour qu’elle se soulève et qu’elle lutte. L’exemple tunisien a donné confiance aux jeunes dans toute l’Afrique et au Moyen Orient. Mais c’est le leadership hors du commun des femmes égyptiennes, en particulier Asmaa Mahfouz, dont il est question dans ces lignes.
Asmaa Mahfouz est une jeune révolutionnaire et un des membres fondateur du « April6 Youth Movement ». Ce mouvement a été fondé en 2008 par de jeunes révolutionnaires égyptiens, y compris Ahmed Taher et Amal Sharaf, afin de soutenir les travailleurs de la cité industrielle de El-Mahalla qui s’étaient mis en grève et demandaient de meilleures conditions de travail, de meilleurs salaires et protestaient contre l’augmentation des prix. Le mouvement a fait usage de nouveaux media sociaux, ont amené de nouvelles idées concernant la politique d’inclusion ainsi que de nouvelles idées sur l’organisation des lignes de front de la politique égyptienne.
Surtout issus de la classe des gens éduqués de la génération de Facebook, ce groupe d’hommes et de femmes a lutté pour traduire le militantisme ‘on-line’ en une véritable mobilisation d’humains qui défendent leurs droits. Esam Al-Amin, dans sa brillante analyse des implications de la révolution égyptienne, a écrit que cette manifestation s’est poursuivie, chaque jour amenant une innovation. Elle a commencé avec la jeunesse éduquée provenant de la classe moyenne et des classes aisées. Ils ont bientôt été rejoints par les opprimés et les pauvres sans éducation. En quelques jours la protestation a pris de l’ampleur pour inclure des juges, des avocats, des médecins, des ingénieurs, des journalistes, des artistes, des fonctionnaires, des ouvriers, des paysans et des journaliers, des étudiants, des entrepreneurs, les chômeurs et les laisser pour compte’’.
Lors d’un voyage récent au Kenya, dans un entretien avec des militants de la base de Bunge la Wananchi, je les ai vivement encouragés à étudier attentivement les leçons du processus égyptien, en particulier les tactiques et stratégies de cette lutte révolutionnaire. Je leur ai recommandé de lire les écrits de Esam Al Amin qui, avec cohérence, a explicité pour le monde la leçon unique de la révolution égyptienne. Sa plus récente contribution, « When Egypt’s revolution was at the crossroads », met de nouveau en lumière la simple mais claire exigence de ceux qui ont transformé une insurrection en une révolution populaire. Il a clairement reconnu que ’’la transformation d’une protestation en une insurrection, en une révolution populaire, est remarquable. Mais qu’au final le triomphe de la révolution n’était pas inévitable. A divers instants de ces dix-huit journées capitales, la révolution aurait pu avorter ou prendre une complètement autre tournure.’’
Il est maintenant internationalement reconnu qu’Asmaa Mahfouz a joué un rôle crucial, non seulement dans le cadre April6 Movement mais aussi du fait de sa propre initiative, en postant le 18 janvier, sur YouTube, la vidéo historique appelant les Egyptiens à venir sur la Place Tahrir le 25 janvier 2011. Dans son exposé sur les douze moments décisifs qui ont joué un rôle crucial en maintenant le momentum de la révolution, la fermeté d’Asmaa, son courage et ses initiatives ont démontré au monde la nouvelle politique qui est née dans ce moment révolutionnaire.
Avant que d’enregistrer sa vidéo inspiratrice, Asmaa s’était rendue sur la Place Tahrir en soldat solitaire, elle avait houspillé les gens pour n’avoir pas le courage de sortir en masse pour la rejoindre sur la Place. Elle implorait les jeunes de ne pas s’immoler par le feu mais de se lever pour combattre le régime. Dans cet appel elle disait notamment : ‘’ J’ai posté cela, moi, une fille. J’étais sur la Place Tahrir et je serai là de nouveau, toute seule. Je tiendrai l’étendard et peut être que les gens se comporteront de façon honorable. J’ai même écrit mon numéro, pour que les gens viennent avec moi. Personne n’est venu, hormis trois gars ! Trois gars et trois voitures blindées avec la police anti-émeute ! Et des dizaines de voyous payés et des officiers sont venus nous terroriser’’
Asmaa défiait les Egyptiens pour qu’ils extraient leur honneur et leur dignité des mains d’un gouvernement brutal et corrompu qui a gouverné le pays d’une main de fer, imposé l’état d’urgence pendant plus de trois décennies. Elle a imploré ses compatriotes pour qu’ils viennent sur la Place Tahrir le 25 janvier afin de renouer avec leur futur et leur dignité.
‘’Je produis cette vidéo pour vous envoyer un message simple. Nous voulons que vous descendiez sur la Place Tahrir le 25 janvier. S’il nous reste un peu d’honneur et si nous voulons vivre dans la dignité nous devons descendre sur la Place Tahrir le 25 janvier. Nous descendrons et nous exigerons le respect de nos droits, de nos droits humains fondamentaux.
« Je descendrai sur la Place Tahrir le 25 janvier et désormais je vais chaque jour distribuer des tracts dans la rue. Je ne m’immolerais pas. Si les forces de sécurité veulent me bouter le feu qu’elles viennent et qu’elles le fassent. Si vous estimez être un homme alors rejoignez-moi le 25 janvier ».
C’est entré dans l’histoire que l’appel de cette jeune femme a propulsé le mouvement révolutionnaire qui a fait tomber le régime en Egypte. Al Amin a bien reconnu dans son analyse le leadership des femmes comme Asmaa Mahfouz, lorsqu’il notait que l’Egypte est ‘’ principalement une société patriarcale, qui n’a guère l’habitude de voir des femmes, surtout des jeunes femmes, à la tête d’un groupe ou d’une organisation, particulièrement un mouvement politique.’’ Des femmes comme Asmaa Mahfouz ne sont pas uniques en Afrique et tout au long de la révolution populaire, Nawal El Saadawy et d’autres vétérans pour la liberté ont contribué par leur expérience de la lutte contre les dictatures, l’exclusion des femmes, etc. Asmaa avait bien conscience de l’orientation patriarcale de sa société et des limites que ce modèle imposait à la libération lorsqu’elle affirmait :
‘’Que celui qui dit que les femmes ne devraient pas descendre dans la rue parce qu’elles vont se faire battre, qu’il se montre honorable et viril et vienne avec moi le 25 janvier… Rester à la maison et suivre les évènements lors des infos ou sur Facebook conduira à notre humiliation, à ma propre humiliation….
« Si vous êtes un homme d’honneur et digne, venez ! Venez et protégez-moi, ainsi que d’autres filles qui protestent. Si vous restez à la maison alors vous méritez tout ce qu’on vous fait. Et vous serez coupables devant votre nation et vos gens. Et vous serez responsable de ce qui nous arrive à nous qui sommes dans la rue si vous restez à la maison. Descendez dans la rue, envoyez des SMS, postez-les sur le Net, réveillez les gens.
« Ne dites jamais qu’il n’y a pas d’espoir. L’espoir ne disparaît que si vous dites qu’il n’y en a pas. Aussi longtemps que vous descendrez avec nous, il y aura de l’espoir. N’ayez pas peur du gouvernement. Ne craignez personne hormis Dieu !
« Ne croyez pas que vous pourrez encore être en sécurité ! Personne d’entre nous n’est en sécurité. Descendez avec nous et exigez vos droits, mes droits, ceux de votre famille
Je descendrai dans la rue le 25 janvier et je dirais’ Non’ à la corruption, ‘ non’ à ce régime’’
Asmaa n’a pas seulement été le détonateur de la protestation égyptienne. Avec d’autres femmes elles ont joué un rôle crucial aux moments décisifs, ce qui a permis la victoire du peuple. Elles ont payé un lourd tribut à la révolution et représentent environ 10% des morts de la première semaine. Les femmes ont donné leur temps, ont transmis leur passion et ont été l’inspiration de la révolution.
Amal Sharaf est une autre organisatrice clé des manifestations égyptiennes. Elle enseigne l’anglais et a été une des co-fondatrices de « April 6 Youth Movment ». Elle souligne avoir deux filles : sa fille biologique âgée de 10 ans et « April 6 Youth Movement ». Dans un entretien, il a été révélé que, âgée de 36 ans, elle avait travaillé jour et nuit avec son équipe de dix personnes depuis une ‘salle de contrôle’ au Caire, afin de s’assurer que les manifestations seront pacifiques et constantes. Amal a été arrêtée avec ses collègues lors d’une descente des forces de sécurité dans leurs locaux.
Le patriarcat a traditionnellement opprimé les femmes. Il s’ensuit que le rôle des femmes dans des révolutions passées n’est mentionné que dans les notes de bas de pages. Comme dans la révolution égyptienne, les femmes ont souvent été en première ligne lors de la libération de nombreuses sociétés, des entraves du colonialisme et toutes les formes d’oppression. Pour se faire ensuite opprimer par les hommes dans les sociétés supposées libérées.
Une seule journée par année est dédiée aux réalisations des femmes globalement. Toutefois, cette année, la commémoration de la Journée Internationale de la Femme nous offre une occasion de réfléchir et de soutenir les efforts des femmes du monde entier dans leur lutte pour libération et d’opposition au capitalisme qui fait peser un lourd fardeau sur leur dos. Lorsqu’Asmaa vilipende ceux qui critiquent les femmes qui manifestent et leur demande « d’avoir de la virilité et de l’honneur », c’est une déclaration qui invite à redéfinir l’honneur de la masculinité en relation avec des sociétés de mâles qui soutiennent la déshumanisation et l’exploitation des femmes. Ceci est une déclaration capitale concernant les droits humains et la transformation des relations des genres pour le XXIème siècle.
Je tiens à saluer les femmes révolutionnaires de toute l’Afrique qui se lèvent pour la paix et la justice. Alors que j’écrivais ces lignes, la nouvelle m’est parvenue qu’une femme sans arme avait été tuée en Côte d’Ivoire. Et que des femmes égyptiennes qui organisaient la manifestation pour la Journée Internationale de la Femme sur la Place Tahrir étaient harcelées par des hommes. Ces expériences nous rappellent les rudes combats qui sont encore à mener afin de réaliser l’émancipation des femmes et l’humanisation du mâle. Comme me le faisait remarquer ma sœur Ifi Amadiume, lorsqu’elle commentait les attaques contre les femmes de la Place Tahrir, ‘’les femmes égyptiennes disent maintenant qu’elle sont le facteur décisif pour les droits des femmes pour la prochaine décennie.’’ Elle notait aussi que la lutte des femmes ne concernait pas seulement leurs droits mais aussi un contexte dans lequel ’’la construction d’institutions démocratiques rudimentaires à partir de rien’’ sera une dure lutte.
En Egypte, les contours du mouvement révolutionnaire reflètent un haut niveau de planification, de ténacité, d’organisation et d’inclusion qui transcende les questions de genre et de religion. Mais les gains de la révolution semblent menacés par une contre-révolution qui exacerbe les différences religieuses et qui semble vouloir refuser aux femmes les gains de la reconstruction post-Moubarak. Selon Al Jazeera, il y a ’’ des craintes légitimes que la condition des femmes égyptiennes retournent à la ‘’ normale’’.
Il y a plusieurs exemples dans l’histoire des soulèvements qui montrent que les femmes peuvent être utilisées pendant la révolution, pour qu’on leur dise ensuite ‘merci bien. Vous pouvez rentrer chez vous.’’ Les révolutionnaires devront affronter la contre-révolution comme les femmes ont dû faire face au sexisme et harcèlement sur ‘’la place de la libération’’, lors de la Journée Internationale de la Femme. Ces expériences montrent qu’en réalité les luttes révolutionnaires sont de longue haleine et que les femmes révolutionnaires doivent continuer à présider aux échelons supérieurs de la révolution qu’elles ont occupés avant et pendant les dix-huit jours qui ont secoué le monde.
Dans tout le monde panafricain, la lutte pour les droits reproductifs conjointement avec la lutte pour une reconnaissance des droits fondamentaux a une fois de plus propulsé les femmes sur les devants de la scène de la lutte pour la libération africaine. Je tiens à rendre hommage à toutes les femmes de toute l’Afrique qui sont aux premières lignes dans le combat pour la paix et la justice. Elles portent le flambeau historique qui illuminera l’humanité et fera reculer toutes les formes d’oppression et de masculinité déformée.
* Horace Campbell est un enseignant et un écrivain. Visitez son site : www.horacecampbell.net Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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