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La quasi-totalité des pays du Sud, ceux d’Afrique en particulier, ploie le joug des dettes publiques des institutions de Breton Woods. Des dettes souvent illégitimes et iniques, contre lesquelles le Comité pour l’annulation de la dette du Tiers monde (CADTM) s’est élevé à l’occasion du FSM 2011. Et pour Eric Toussaint, les exemples ne manquent pas, qui montrent que les pays africains peuvent refuser de payer sans tomber dans le chaos. Son souhait, dès lors, est de voir la Tunisie donner l’exemple en Afrique.

Pambazuka : Quels résultats peut-on saluer depuis la création du Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde (CADTM), notamment en Afrique ?

Eric Toussaint : Il y a des expériences récentes qui, malheureusement, n’ont pu inspirer jusqu’à présent le continent africain. En Equateur, un nouveau président a été élu en fin 2006, en l’occurrence Rafael Correa, à la tête d’un processus qu’il appelle lui-même « processus de révolution citoyenne ». Dès sont élection, il s’est engagé à faire l’audit de la dette publique de son pays. A savoir trente ans d’endettement depuis. J’ai participé à cet audit pour le CADTM, en compagnie de dix-huit experts et autres éléments du gouvernement. Après 14 mois de travail, nous avons remis nos recommandations au gouvernement équatorien après avoir identifié que 80% de la dette publique de l’Equateur était de type illégitime. Sur la base de nos recommandations, le gouvernement a décidé de suspendre, de manière unilatérale et sans aucune condition à l’égard des institutions internationales et des créanciers, le paiement de cette dette.

Pambazuka : Quelles ont été les conséquences pour l’Equateur ?

Eric Toussaint : D’abord, les titres de ladite dette publique équatorienne ont été vendus par leurs détenteurs sur les marchés internationaux, notamment sur le marché de New York, pour un montant de 3 200 millions de dollars. Avec un prix de vente sur le marché de location des dettes à 20% de leur valeur, le gouvernement équatorien a réussi à racheter 91% des titres pour un coût de 900 millions de dollars. Ce stock de capital racheté à bas prix et avec des intérêts non payés, a permis au gouvernement de faire passer le service de la dette, qui représentait 38% du budget de l’Etat, à 15%. De faire passer également les dépenses sociales qui représentaient 12% du budget à 25%. Tout cela fait une inversion de priorité importante. C’est un exemple à suivre, qui pourrait servir à d’autres pays qui ont un endettement sous la forme de titres qui se vendent sur les marchés internationaux.

Pambazuka : Les pays africains peuvent-ils adopter la même attitude face leurs créanciers ?

Eric Toussaint : Absolument ! Les gouvernements doivent lancer des audits de la dette et prendre des mesures unilatérales de non paiement. La Tunisie pourrait suivre l’exemple de l’Equateur. D’ailleurs, ce pays a réussi à expulser le représentant permanent de la Banque mondiale et personne n’en a entendu parler. Car la Banque mondiale ne veut pas qu’on sache qu’on peut expulser ses représentants. L’Equateur a également mis dehors le Fonds monétaire international (FMI) et quitté le tribunal de la BM q’on appelle le Centre international de règlement des différends sur les investissements. Ce que la Bolivie avait fait deux ans auparavant. Et cela peut être reproduit en Tunisie, en Grèce, en Espagne, ainsi que dans les pays du sud du Sahara.

Pambazuka : A part l’Equateur, y a- t-il d’autres pays qui ont osé dire non aux créanciers internationaux ?

Eric Toussaint : L’Argentine, en décembre 2001, a suspendu le paiement de sa dette après un mouvement social comparable à celui qu’on vient de vivre en Tunisie. Elle avait suspendu le remboursement de 100 milliards de dollars de titres de dettes qui n’ont pas été payés de décembre 2001 en mars 2005. L’Argentine a également suspendu les remboursements au Club de Paris (Ndlr : principal créanciers des pays d’Afrique subsaharienne), pour un montant de 6000 millions de dollars. Les medias n’ont pu mettre cela en exergue, parce que le Club de Paris ne veut pas qu’on sache ailleurs dans le monde qu’on peut refuser de le payer.

Pambazuka : Les pays africains peuvent-ils suivre les mêmes voies sans tomber dans le chaos ?

Eric Toussaint : Je donne ces exemples pour soutenir qu’il est possible de refuser de payer les dettes sans tomber dans le chaos, contrairement à ce qu’on prône. L’Argentine a un taux de croissance de plus de 8% depuis 2003 et bientôt 9%. L’Equateur connaît un taux de croissance de 3 à 4%. Ces pays ne sont pas tombés dans le chaos. Généralement, on dit que ces pays qui refusent de rembourser leur dette publique seront soumis à des représailles. En réalité ce sont des paroles en l’air et des menaces. Car les créanciers sont démunis face aux débiteurs. Quand un débiteur refuse de payer ses dettes, ni le FMI ni la BM n’ont les moyens, encore moins le pouvoir de saisir leurs biens. Les Etats peuvent alors se servir de cette somme pour résoudre certains problèmes sociaux de base des populations.

J’espère que la Tunisie sera le premier pays africain à faire un audits de ses dettes. Si on nous fait appel dans ce sens, nous répondrons favorablement pour contribuer à l’annulation des dettes illégitimes.

* Eric Toussaint est président du Comité pour l'annulation de la dette du tiers monde de Belgique. Ses propos ont été recueillis par Gata Doré, étudiant au CESTI