L’Egypte sort d’élections législatives qui ont renforcé la prééminence du National Democratic Party au pouvoir. Mais entre le résultat des urnes et la réalité sociopolitique, il existe tout un fossé qui traduit l’instabilité d’un régime dont la fragilité est à l’image d’un Hosni Moubarak âgé de 82 ans et arrivé en fin de règne. Dans une Afrique du Nord contaminée par les germes de la révolution tunisienne, l’Egypte présente une situation qui, selon Hany Besada, est lourde de risques.
La politique égyptienne se trouve en équilibre instable suite aux récentes élections parlementaires qui ont été décrites comme chaotique. De plus, elles ont conduit à un retour en arrière, annulant toutes réformes politiques réalisées au cours des trois décennies écoulées. Le National Democratic Party (NDP), le parti au pouvoir sous la conduite du président Hosni Moubarak, a gagné les élections par une écrasante majorité, occupant plus des 4/5 des 508 sièges de l’Assemblée, renforçant ainsi sa mainmise sur le pouvoir avant les élections présidentielles de septembre 2011.
Les deux principaux partis d’opposition du pays, les Frères Musulmans et le parti du WAFD, ont boycotté le second tour, alléguant des fraudes massives, d’interférences de l’Etat, d’irrégularités, d’intimidation de leurs militants et sympathisants par le gouvernement et la police, de violence.
Bien que le scrutin qui drainait le peu de crédibilité restant du processus électoral, c’était un risque que le gouvernement était prêt à prendre. L’attitude du gouvernement, qui semblait éviter la confrontation avec les Frères Musulmans, bannis mais tolérés, et qui est le principal et le plus puissant des partis d’opposition, a permis à ces derniers de s’implanter, non seulement dans les structures sociales du pays, mais aussi dans le paysage politique et en particulier dans l’administration. Pourtant, les Frères Musulmans, qui détenaient 20% des sièges dans le Parlement sortant, s’est retrouvé avec un seul député parlementaire dans la nouvelle Assemblée. Un résultat qui pourrait être considéré comme faisant partie d’un plan délibéré visant à infléchir le pouvoir et les ambitions de la principale opposition au régime.
Les récentes élections contestées en Côte d’Ivoire et en Haïti ont accaparé l’attention des médias concernant les questions politiques dans les pays en voie de développement au cours de ces dernières semaines, de sorte que la situation en Egypte n’a suscité que peu d’intérêt. Pourtant, les résultats des élections dans le pays ce plus peuplé du monde arabe est d’une importance capitale dans la mesure où il contraste avec la réalité des systèmes de parti unique qui continuent de prévaloir en Afrique Nord là où des démocraties multipartistes émergent dans les pays autrefois autocratiques de l’Afrique subsaharienne.
La crise de gouvernance actuelle de l’Egypte et la légitimité du régime politique qui va s’étiolant ont encore alimenté le débat qui a cours, concernant l’avenir de la présidence de Moubarak. Ce débat a lieu aussi bien dans les coulisses du quartier général du NDP au Caire que dans la rue. Les déclarations récentes du porte-parole du parti au pouvoir, affirmant que Moubarak, âgé de 82 ans, se représentera à l’élection présidentielle l’an prochain, sont en contradiction avec des informations qui disent que celui-ci prépare son fils Gamal a prendre sa succession. De telles informations coïncident avec la campagne officieuse et les récentes pétitions à l’intention de Gamal, un haut responsable du NDP, lui demandant de poser sa candidature pour la présidence. Ce qui suggère qu’il y a peut-être une lutte pour le pouvoir à l’intérieur même du parti.
Certains analystes pensent que des éléments de l’élite dirigeante en sont venus à considérer que Moubarak, qui est président depuis 1981, ne peut durer davantage et que sa mainmise sur le pouvoir ne sert plus leurs intérêts ni ceux du parti. Le refus de ce dernier de se prononcer sur ses intentions de prolonger - ou non- ses trois décennies au pouvoir ou de désigner un successeur, crée quelques soucis et laisse entrevoir une crise de succession qui peut conduire à de la violence politique et à l’instabilité. Ce qu’on n’aurait pas vu depuis la révolution de 1952 qui a aboli la monarchie et établi la République. Une telle issue pourrait s’avérer désastreuse pour le gouvernement, qui s’efforce d’attirer des investissements plus directs et d’augmenter les revenus du tourisme qui sont vitaux pour l’économie égyptienne.
Après trois décennies de libéralisation économique, le gouvernement continue de lutter pour augmenter l’investissement et l’épargne, mais n’a pas réussi à réduire le déficit de la balance commerciale. Bien que l’économie ait connu une croissance de 8% au cours de trois années fiscale jusqu’en 2008, qui est le taux minimum requis pour réduire la pauvreté qui à l’heure actuelle se situe à 20%, le taux de croissance est tombé à 4,7% au cours de l’année se terminant en juin 2009, en raison de la crise économique globale.
Le taux non officiel de chômage en Egypte est de plus 25% et la croissance démographique annuelle de plus 2%, contribuant au problème. Il représente un lourd fardeau pour le gouvernement, obligé de créer de l’emploi pour 750 000 Egyptiens qui entrent dans le marché du travail chaque année. Le taux de chômage obstinément élevé, la pauvreté dans les bidonvilles périurbains et dans les zones rurales, exacerbée par la crise financière globale et la crise alimentaire, les efforts désespérés du gouvernement de se maintenir au pouvoir au prix de l’érosion de sa crédibilité et de sa légitimité, ainsi que la faiblesse et les divisions persistantes qui continuent d’affecter les partis d’opposition laïcs, tout cela contribue à l’instabilité et à fournir un terreau au fondamentalisme musulman au cœur d’une population de plus en plus déçue.
Comme l’a formulé Mohammed El Baradai, ancien chef de l’Agence Internationale Atomique et actuel chef du National Coalition for Change, ’’les Egyptiens sont connus pour être patients. Mais la patience a des limites et la désobéissance civile reste notre dernier recours si nos demandes de réformes restent sans suite.’’ Avec les résultats des dernières élections alors que Moubarak est au plus bas des sondages, la stabilité politique et l’avenir dépendent des capacités du NDP à présenter un candidat capable de rallier tous les suffrages de l’élite au pouvoir et de véritablement s’engager dans des réformes politiques et économiques, un gouvernement qui rend des comptes et qui favorise une démocratie multipartite.
* Hany Besada est chercheur dans le domaine de la coopération du développement, à l’Institut North-South à Ottawa, Canada - Traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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