Oublions l’oppression et interrogeons les ressources des femmes africaines
La lutte pour mettre un terme à la violence contre les femmes africaines doit se distancer du féminisme occidental dominant, dont les perspectives et méthodes restent étrangères à la lutte africaine, écrit Jenn Jagire. Elle encourage plutôt les féministes africaines à récupérer et à ‘’déseuropéaniser’’ le programme du féminisme africain afin d’éviter la pérennisation de la mentalité néocoloniale et des modèles de développement qui considèrent les femmes africaines comme des victimes plutôt que comme le moteur de leur propre destinée.
Beaucoup a été dit concernant la violence perpétrée par les maris ou autres proches à l’encontre des femmes. Toutefois, il ne faut pas oublier que, d’une façon ou d’une autre, les femmes se sont toujours efforcées de dénoncer la violence ou de s’entraider dans la lutte contre la violence conjugale. Par exemple, par le passé, il y a eu des chants composés sur le thème de la violence à l’encontre des femmes et de leurs efforts pour contrer cette violence. C’étaient des chants de louanges qui célébraient la résistance des femmes à la violence conjugale.
Le militantisme pour la cause des femmes doit être basé sur l’expérience locale des gens et non sur des expériences étrangères qui ignorent les réussites des femmes locales. L’emphase excessive, et tant appréciée, mise sur l’échec des femmes provient d’un point de vue eurocentrique et reste une insulte à notre dignité d’Africaines. Il mérite d’être noté que le type de patriarcat en vigueur aujourd’hui en Ouganda est une importation britannique de l’époque coloniale. Le colonialisme a été violent à beaucoup d’égards.
D’autre part, et pour citer les chants communautaires satyriques africains, il y a des chants enregistrés concernant des femmes qui fuient un mari riche mais violent et s’installent avec quelqu’un de plus humble. Par exemple, dans le district de Tororo, un chant raconte l’histoire de Nola (ce n’est pas son vrai nom) qui a quitté un homme riche, Opondo, grand propriétaire (supposons que ce n’est pas son vrai nom non plus), pour rejoindre un homme qui avait des roseaux pour lit. Le chant communautaire souligne que la décision de la femme reposait probablement sur de la viande rôtie ou quelque potion donnée par l’homme humble. La morale de l’histoire c’est que c’est la femme qui a pris l’initiative et les mesures appropriées qui lui ont permis d’échapper à la violence.
Ceci est la preuve qu’une femme appartenant à une communauté peut réussir à fuir la violence de son partenaire. Elle n’a pas eu besoin de la permission de Londres, même si parfois il n’y a pas de mal à emprunter des idées étrangères. Personne n’aurait pu convaincre Nola de retourner auprès de son mari polygame, riche et puissant, mais négligent. Nola était libre de son choix et n’a eu nul besoin qu’une féministe conventionnelle lui enseigne comment se libérer. Une seule expérience lui a montré que faire de sa vie. Elle s’est installée avec l’homme plus pauvre qui l’a rendue heureuse.
La capacité des femmes à penser, à planifier et à élaborer des stratégies a toujours été présente. Ceci nous amène à l’inacceptable concept, constamment utilisé, qui veut que les femmes africaines soient dociles. Les femmes africaines ne sont pas dociles dans l’attente d’une libération provenant d’Occident.
Par ailleurs, les femmes africaines ne sont pas des matières premières, des esclaves ou du bétail, quel que soit le système de mariage considéré. C’est le dénigrement du mariage africain, par des militants aux concepts erronés qui ont jeté leur culture par-dessus bord ou qui semblent avoir subi des changements de personnalité, qui doit être abordé. Les militants requièrent la déseuropéanisation de leurs pensées. Les Africains européanisés nient leur identité africaine.
Si nous ne libérons pas nos esprits de l’emprise de l’Europe nous restons mentalement colonisés, des esclaves qui servent des maîtres étrangers ou des intérêts culturels étrangers. Si nous sommes mentalement colonisés, nous reconduisons la colonisation de l’Afrique et des Africains par ceux-là mêmes que par le passé nous avons jeté dehors. Nous faisons alors, même mieux, le jeu des néocolonialistes qui n’ont jamais lâché prise et qui veulent maintenir une présence en Afrique dans le but de continuer à dominer. Sans grand risque de se tromper, on peut en effet affirmer que le colonialisme se poursuit de façon plus subtile.
Toutefois et à une époque récente, trop d’emphase a été mise sur les points de vue européens concernant l’oppression des femmes comme si elles n’avaient jamais essayé d’aborder le problème elles-mêmes. Une trop grande emphase sur l’oppression des femmes africaines dévalorise les ressources des femmes. Il est mieux et plus valorisant de se concentrer sur ce que les femmes peuvent faire pour elles-mêmes.
Les féministes africaines ne devraient pas se comporter comme la première ou la deuxième vague de féministes, principalement blanches et occidentales. On ne peut pas valoriser les femmes si on se présente comme le sauveur aux pouvoirs extraterrestres venant d’une autre galaxie et qui porte un regard différent. De telles méthodes encouragent le syndrome de dépendance parmi les émancipés - dans ce cas les femmes africaines.
User seulement de la loi pour débrouiller les problèmes des femmes ne suffit pas. Ce qui ne signifie pas que nous n'avons pas besoin de plus de lois et de législations qui protègent les droits des femmes. Ces droits doivent être spécifiques aux femmes africaines et n’être pas seulement les droits des femmes occidentales universalisées pour tous. Les femmes parlementaires ougandaises, conjointement avec leurs collègues masculins, pourraient s’efforcer d’élaborer des lois qui reflètent les valeurs des femmes africaines, leur africanité, leur rôle dans la culture, leur histoire positive, etc.
Il est impératif que les femmes de la base s’organisent elles-mêmes à partir de la base plutôt que de laisser les coudées franches à des femmes européanisées, de la classe moyenne, qui veulent organiser à leur guise les femmes des classes ouvrière ou paysanne. Lorsque les féministes de la classe moyenne interviennent dans des situations rurales par exemple, elles insistent pour avoir recours à la loi qui sépare les familles, ce qui peut conduire à l’ostracisme de la femme par sa communauté et au rejet des enfants et à d’importants dommages émotionnels.
L’organisation de la base doit commencer par les femmes de la base elles-mêmes. Pourquoi pas des groupes d’entraide au lieu des ONG internationales qui dominent tout le processus ? Les femmes rurales peuvent avoir besoin d’un budget et d’un soutien social de la part des autorités. Je crois que les gouvernements peuvent toujours avoir une pertinence pour les organisations de leurs citoyennes. Mais ils peuvent aussi les décourager en ne faisant que copier les mouvements sociaux de l’Occident, porteurs de valeurs étrangères.
Tout ne doit pas provenir de donateurs. Les projets financés par des donateurs n’ont pas d’indépendance. Ils sont soumis à conditions et ne bénéficient qu’à ceux qui reçoivent directement l’argent, qui sont des exploiteurs ou aux donateurs eux-mêmes plutôt qu’aux gens qui sont ‘’aidés’’. Ceux qui sont aidés, les bénéficiaires, deviennent de la matière première. De surcroît, les projets financés de l’étranger propagent le programme du donateur dans le cadre d’une relation de pouvoir. L’altruisme est une dépendance forcée. La dépendance forcée rend esclave.
La médiation devrait être plus propice à trouver des solutions à des problèmes conjugaux qui parfois tournent en violence, plutôt que les procès. Ce n’est pas la seule solution. Il y en a d’autres, mais elles nécessitent de rendre leur pouvoir aux anciens afin qu’ils interviennent et conseillent le couple qui se sépare. Avec un peu de chance, ils obtiendront de meilleur résultat. Bien qu’il y ait maintenant une culture qui ignore les anciens, les conseils des vielles femmes ou des parents peuvent toujours s’avérer utiles pour la jeune femme.
D’autre part, des anciens affamés, malnutris, en haillons et démoralisés peuvent témoigner de peu d’intérêt à résoudre des problèmes aussi longtemps que leurs besoins ne sont pas satisfaits. Leurs conseils peuvent aussi être ignorés.
Traditionnellement, suite à des conflits conjugaux, il était permis aux femmes de retourner quelque temps chez leurs parents jusqu’à ce que le conflit soit résolu. Un homme, dont la femme est retournée dans sa famille (habituellement la famille étendue) était forcé de la suivre là-bas, ce qui devait permettre une forme de médiation ou de dialogue. Malheureusement cette tradition tombe en désuétude en raison d’individus ambitieux qui tendent à ignorer les méthodes traditionnelles de résolutions des conflits.
Par ailleurs, des voisines se sont épaulées les unes les autres lors de crises familiales. Une partie de cette aide a parfois été informelle. Nous pouvons en faire davantage plutôt que de prendre des mesures qui ne peuvent amener aucune guérison mais vont contribuer à perpétuer les divisions et les confrontations avec un impact négatif sur la société.
Dans les pays développés où la loi est supposée protéger les femmes, il a souvent été observé que dépendre seulement de la loi, sans aucun espace de flexibilité, a conduit à davantage de confrontations dans les familles, laissant peu d’espoir de réconciliation et promettant des conséquences funestes. Avec peu ou pas de soutien de la communauté, les enfants de ces familles devront souvent faire face à des défis considérables dans leur vie. La médiation doit être tentée. Des médiateurs professionnels sont parfois parvenus à aider des couples.
Dans le monde développé ce ne sont pas seulement les hommes qui sont violents à l’encontre des femmes et des enfants. La violence peut aussi prendre la forme d’une mère négligeant ses enfants. Des femmes qui abusent d’alcool ou de drogues sont connues pour avoir collaboré avec leur mari pour maltraiter leurs enfants ou leurs enfants adoptifs. Les situations de familles recomposées sont particulièrement à risque. Les services sociaux doivent intervenir. Un tel traitement des enfants est parfois le résultat de la pauvreté ou de l’état mental des parents. Les services sociaux ou de la protection de l’enfance auront le mandat de retirer les enfants à leurs parents et de les mettre dans un milieu à même de les protéger de leurs parents maltraitants.
Toutefois, séparer un enfant de ses parents a des répercussions émotionnelles considérables, comme nous l’avons vu au cours des processus d’adoption. Bien que légale et parfois nécessaire, l’adoption n’est pas toujours favorable à l’adopté. Raison pour laquelle le corps social tout entier doit prendre soin des enfants, des femmes et des hommes. Nous devrions encourager une prise en charge maternelle communautaire, comme c’était le cas autrefois et comme c’est toujours le cas dans certaines régions, tout en transmettant aux enfants leur culture, en leur enseignant leur histoire afin de construire un être entier qui maîtrisera sa destinée. Des lois rigides empruntées à la Grande Bretagne, qui ignore la façon de vivre des Africains ou leurs méthodes de résolution des conflits, encourage l’individualisme et le patriarcat de style occidental.
L’imposition de normes européennes ou occidentales aux pays en voie de développement peut s’avérer contreproductif parce qu’elle va générer une résistance basée sur des différences culturelles, sur l’histoire de l’oppression de l’Afrique par les Européens au travers des colonies et des missions ‘’civilisatrices’’ occidentales non sollicitées. Cette résistance ne disparaîtra pas facilement. Elle est enracinée dans les esprits.
L’Occident lui-même n’est pas parfait. Il a des problèmes sociaux uniques en leur genre qu’il doit aborder avant que d’exporter des solutions en particulier vers l’Afrique. Personne ne devrait être incité, sous des prétextes fallacieux, à abandonner sa culture. On a besoin de sa culture. Pour certains d’entre nous, il a été nécessaire de visiter ou de vivre en Occident pour pouvoir apprécier nos cultures africaines, nos langues, notre spiritualité, etc. Bien que dominant, le féminisme occidental ne doit pas être considéré comme universel. Il y a beaucoup de formes de féminisme, y compris le féminisme africain.
* Jenn Jagire est un écrivain ougandais basé au Canada – Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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