Alors que le Nigeria est aux prises avec une crise constitutionnelle, Funmi Feyide-John pose le débat sur l’ingérence du gouvernement des Etats-Unis. Tout en louant la capacité du gouvernement nigérian qui a calmement procédé à une passation de pouvoir en faveur du vice-président Goodluck Johnson, suite à l’absence, pour cause de maladie, du président Umaru Yar’Adua, Feyide-John écrit que le favoritisme affiché par les Etats-Unis pour un acteur politique particulier risque de miner la démocratie au Nigeria. Ceci dans la mesure où, quel que soit le prochain président, celui-ci risque d’être considéré comme étant un homme de paille de l’étranger. En rencontrant l’ancien dictateur Ibrahim Babangida en l’absence de Yar’Adua, souligne Feyide-John, les Etats-Unis donnent de la crédibilité aux suppositions selon lesquelles ils espèrent ainsi s’assurer du succès de leur initiative qui veut établir la base d’AFRICOM (le commandement pour l’Afrique) au Nigeria, afin de garantir leur accès au pétrole. Cette interférence risque fort d’avoir un impact durable sur la politique du Nigeria.
Les liens qui unissent le Nigeria et les Etats-Unis sont solides. En 2009, le Nigeria était le troisième fournisseur de pétrole des Etats-Unis, avec un cru de la meilleure qualité au monde. Le Nigeria est aussi le partenaire commercial le plus important des Américains dans la région subsaharienne et les Etats-Unis sont l’investisseur le plus important du pays. Par ailleurs, les Etats-Unis sont le pays où réside un nombre croissant de Nigérians de la diaspora, représentant aussi le groupe le plus instruit des immigrants aux Etats-Unis. Il n’est donc pas surprenant que le gouvernement américain porte un intérêt particulier aux évènements au Nigeria. Toutefois, la crise constitutionnelle qui a cours au Nigeria et l’incertitude politique que cela entraîne révèlent la possibilité d’interférence américaine dans ses affaires internes. Ces interférences pourraient avoir de sérieuses conséquences pour le futur de la démocratie au Nigeria et même pour son unité.
Des questions diplomatiques récentes.
Malgré la profondeur de la relation entre les deux pays, cette relation a, au cours des dernières années, a été en butte à certaines tensions. Suite à l’attaque terroriste de 2001 sur des objectifs américains, le Nigeria a été mis sur la liste des pays qui ont des liens terroristes. Il y a eu une forte réaction de la part du gouvernement à la tête duquel se trouvait Obasanjo, entraînant le retrait du Nigeria de cette liste douteuse. Depuis lors, les Etats-Unis ont émis nombre de mise en garde à l’égard des voyageurs se rendant au Nigeria.
De plus, la décision de Barack Obama de se rendre au Ghana pour sa première visite en Afrique subsaharienne a été perçue comme une rebuffade par la population. Ceci a généré moult débats et le parti au pouvoir, le People’s Democratic Party (PDP), a été jusqu’à accuser Obama de vouloir déstabiliser l’administration du président Yar’Adua. Le fait qu’une précédente tentative du président Yar’Adua de visiter la Maison Blanche ait été déclinée, n’a fait qu’ajouter aux préoccupations de ceux qui voyaient une dégradation des relations entre les deux pays.
Un étudiant, basé au Royaume Uni, Umar Farouk Abdulmutallab a tenté de faire exploser un avion d’une compagnie aérienne américaine, créant un nouveau contentieux dont le Nigeria et les Nigérians éprouvent les conséquences. Abdulmutallab, un citoyen nigérian qui s’est radicalisé en Grande Bretagne, s’est ensuite rendu au Yémen afin de devenir un terroriste. Bien que les autorités américaines aient été prévenues par son père et qu’elles avaient assez d’informations pour empêcher l’attentat du 25 décembre 2009, le Nigeria a été placé, dans les jours qui ont suivi, sur la liste des pays à ‘’tendance terroriste’’. Les autorités du Nigeria ont protesté avec véhémence, par l’intermédiaire du ministre de l’Information, Dora Akunyili, allant jusqu’à dire que la liste était discriminatoire à l’égard des Nigérians. Akunyili a même affirmé que l’inclusion du Nigeria sur cette liste ‘’pouvait potentiellement miner les relations bilatérales entre les Etats Unis et le Nigeria, établies de longue date’’. Washington a répliqué qu’en raison de l’absence du président Yar’Adua, qui a quitté le Nigeria en novembre 2009 pour raisons de santé, leurs fonctionnaires n’avaient personne à qui s’adresser.
La crise constitutionnelle du Nigeria
Le 23 novembre 2009, Yar’Adua a été précipitamment évacué en Arabie saoudite pour une urgence médicale. Il a plus tard été révélé qu’il souffrait d’une péricardite, une inflammation de la membrane qui entoure le cœur. Ceci en plus d’un problème rénal préexistant. Pendant plus de deux mois, l’absence de Yar’Adua a soulevé des questions constitutionnelles comme de savoir comment le vice-président pouvait assumer le pouvoir et les fonctions exécutives du président. La section 145 de la Constitution a été interprétée par beaucoup comme nécessitant une lettre présidentielle à l’intention de l’Assemblée Nationale, signifiant son intention de renoncer temporairement au pouvoir. Toutefois, une décision de justice récente a émis l’avis que le président n’est pas tenu d’annoncer une absence prolongée à l’Assemblée Nationale, rendant ainsi le transfert de pouvoir automatique dès lors qu’il est absent. Mais cet avis de droit n’a pas atténué le souci quant à la capacité du vice-président Goodluck Jonathan de fonctionner comme président et Jonathan lui-même n’a pas pris de risque.
La réaction américaine
Alors que l’incertitude régnait en raison de l’absence de Yar’Adua, les Etats Unis, en compagnie de la France, de la Grande Bretagne et de l’Union européenne ont fait une déclaration commune ; laquelle disait :
‘’Nous saluons la détermination à aborder la situation actuelle au travers des institutions démocratiques appropriées. L’engagement continu du Nigeria et l’adhérence à ses normes et à ses valeurs démocratiques est essentielle pour faire face aux nombreux défis qu’il doit affronter… Nous sommes engagés à continuer à travailler avec le Nigeria sur ses questions internes tout en travaillant ensemble comme partenaires sur la scène globale’’.
Une semaine et demie après cette déclaration, les deux Chambres de l’Assemblée Nationale, avec le soutien de tous les gouverneurs d’Etat, ont déclaré le vice président Goodluck Jonathan président intérimaire. Alors que nombreux étaient ceux qui appréciaient cette résolution judicieuse d’une crise constitutionnelle de 79 jours qui avait suspendu les affaires de la nation, la légalité de la démarche est devenue une préoccupation. Néanmoins, les Etats-Unis ont immédiatement loué le Nigeria pour cette passation de pouvoir démocratique et le jour même où Jonathan a été déclaré président intérimaire, il a reçu la visite de l’Assistant du Secrétaire américain aux Affaires Africaines, Johnnie Carson.
Lors d’une réception à Abuja, en l’honneur des 50 Nigérians les plus éminents, l’ancienne Secrétaire d’Etat américaine, Condolezza Rice, avait laissé entrevoir la ligne américaine en déclarant : ‘’ Je suis certaine que les Nigérians trouveront dans leurs institutions démocratiques les ressources pour gérer la crise actuelle. Ceci étant dit, mes prières sont pour votre président et pour votre président intérimaire que j’ai rencontré… et pour tous vos autres dirigeants qui doivent mener le Nigeria en ce moment critique.’’ Elle continuait : ‘’Si nous… réaffirmons le principe que la démocratie nigériane est forte et honorable et se soucie de sa population, je suis sûre que nous regarderons en arrière et dirons ‘’ voilà un travail bien fait’’.
Ce ton encourageant a changé lorsque il a été rapporté que Yar’Adua était revenu d’Arabie saoudite. Johnnie Carson a fait une déclaration par laquelle le gouvernement américain exprimait sa préoccupation. Celle-ci disait : ‘’ Le Nigeria a besoin d’un dirigeant fort, efficace et en bonne santé afin de garantir la stabilité du pays et pour relever les nombreux défis politique, économique et de sécurité du Nigeria. Toutefois, des rapports récents continuent de faire état de la santé fragile du président Yar’Adua ainsi que de la possibilité qu’il peut s’avérer incapable de satisfaire aux exigences de sa fonction’’. ‘’ Nous espérons que le retour du président Yar’Adua au Nigeria ne constitue pas de la part de ses conseillers une tentative de mettre en péril la stabilité du Nigeria et de créer une incertitude renouvelée du processus démocratique… Pour une nation de 150 millions d’habitants, la démocratie du Nigeria et son adhérence à l’autorité de la Constitution devrait rester la plus haute des priorités’’
Les preuves d’ingérence
Derrière ces propos et d’autres déclarations musclées, les nouvelles circulent, qui suggèrent que le retour de Yar’Adua fait suite à une intervention américaine. Plus spécifiquement, il semble que des fonctionnaires américains ont conseillés à leurs alliés d’Arabie saoudite de renvoyer Yar’Adua au Nigeria. Parce qu’un envoyé nigérian a été empêché de voir Yar’Adua pendant qu’il était à Djedda, les Américains ont apparemment mis en garde sur le fait qu’un ‘’problème international et diplomatique’’ pourrait surgir suite à cette action. De surcroît, il est allégué que l’avion médicalisé qui a servi à rapatrier Yar’Adua a été fourni par une compagnie médicale américaine.
De plus, Johnnie Carson et l’ambassadeur américain au Nigeria, Robin Sanders, se sont entretenus pendant deux heures avec l’ancien dictateur militaire Ibrahim Babangida alors que Yar’Adua était en Arabie saoudite. Cette action a créé l’ire et le soupçon des médias qui rapportaient que l’administration d’Obama veut que Babangida remplace Yar’Adua, dans l’hypothèse que celui-ci démissionne ou est destitué. Les propos d’un fonctionnaire anonyme du département d’Etat américain a encore mis de l’huile sur le feu, lorsqu’il a clarifié que le gouvernement américain ne parlait pas de Babangida comme ‘’ d’un ancien dictateur… Nous le considérons comme un ancien chef d’Etat et un dirigeant influent dans la partie nord du pays.’’ Officiellement, le gouvernement américain a dit avoir rendu visite à Babangida afin de lui présenter des condoléances suite au décès récent de son épouse, compte tenu qu’il est un ancien chef d’Etat et un membre du Conseil nigérian des Etats.
Les ingérences pourraient se retourner contre eux
En interférant si ouvertement dans les affaires politiques du Nigeria, les Etats-Unis sont susceptibles de créer des tensions. Plus spécifiquement, la visite de Johnnie Carson à Jonathan, le jour même où il est devenu le président intérimaire, doit être interprété comme un geste de soutien de la part du gouvernement américain. Alors que cet acte en soi ne prête pas à discussion, un tel soutien apporte de l’eau au moulin de ceux, nombreux, qui croient que l’administration Obama n’aime pas Yar’Adua et ses partisans. Les déclarations sans fin concernant le retour de Yar’Adua, faites par les Américains, ne font qu’aggraver les choses, même si Jonathan a été désigné comme président intérimaire, compte tenu que la conformité de cet acte avec la Constitution est mise en doute et a contraint l’Assemblée Nationale et les gouverneurs des Etats à entreprendre une modification de la Constitution. La partialité reconnue des Etats Unis ne fera qu’augmenter les frictions entre les différents groupes d’intérêts.
De plus, le soutien très public offert à Jonathan et la rebuffade de Yar’Adua contribueront à affaiblir le prochain président du Nigeria, qui qu’il soit, si Yar’Adua devait démissionner, être destitué ou mourir pendant sa présidence. Les interférences des Etats Unis donneront aux opposants d’un nouveau président, qui qu’il soit, quantité d’arguments pour l’accuser d’être l’homme de paille des Américains. Cette possibilité n’augure rien de bon pour le Nigeria où la politique est un jeu délicat entre des préoccupations tribales et religieuses et de nombreux autres facteurs cruciaux. Un président vu comme étant l’homme de paille de quelqu’un, en particulier un gouvernement étranger, sera perçu comme un dirigeant faible, bien incapable d’accomplir quelque chose de substantiel. Après l’expérience avec un Yar’Adua, constamment dénigré, dont les capacités de leadership ont constamment été remise en cause, un nouveau dirigeant, affaibli du fait des ingérences américaines, serait juste impardonnable.
S’il faut reconnaître que les partisans du président Yar’Adua proviennent des quatre coins du Nigeria, ses alliances principales sont tissées avec les élites du nord. Celles-ci se sont longtemps fait du souci à l’idée de perdre le contrôle de la présidence au profit des gens du sud. Il existe un accord tacite parmi les élites politiques du Nigeria selon lequel le pouvoir présidentiel ira du nord au sud tous les huit ans. Par leurs rebuffades publiques répétées, les Etats-Unis pourraient contraindre les élites du nord à prendre des mesures non démocratiques afin d’assurer leur main mise sur la présidence. Ceci pourrait inclure un coup d’Etat militaire ou encourager les élites du nord à faire pression sur des politiciens du nord et d’autres afin de mettre en échec les processus démocratiques qui ont servi à résoudre la crise politique du Nigeria.
De surcroît, alors que les Américains étaient historiquement populaires au Nigeria, leur popularité a décru dans le nord en raison de leur campagne anti-terroriste perçue comme étant menée contre les musulmans. Les ingérences américaines dans les affaires du Nigeria ne feront qu’accroître la méfiance de ces populations du nord qui considéreraient que l’Amérique agit contre leurs intérêts et contre leur parent Yar’Adua. Ceci pourrait être interprété comme une position en faveur du sud, pouvant déclancher des conflits tribaux et religieux auxquels les Américains clament vouloir mettre un terme, de concert avec le gouvernement du Nigeria. L’ingérence américaine pourrait dès lors aggraver les divisions tribales et religieuses qui ont déjà causé des pertes en vies humaines et en propriétés, comme l’ont démontré les récents combats à Jos.
La réunion des fonctionnaires américains avec Babangida est un problème public qui fait douter du fait que les intérêts du peuple nigérian intéressent véritablement les Américains. Bien que les Etats Unis refuse de reconnaître Babangida comme un ancien dictateur, leurs actions montrent autre chose. Celui-ci s’était vu refuser un visa pour les Etats-Unis et ce n’est que récemment qu’il a pu en recevoir un afin de pouvoir rester aux côtés de son épouse en train de mourir d’un cancer dans un hôpital californien. Une telle duplicité ne peut être ignorée.
Ce qu’on ne peut pas non plus ignorer, c’est que Babangida n’est pas un des partisans les plus fervents de Yar’Adua. En fait, lorsque le nom de Yar’Adua a été annoncé comme étant celui du candidat présidentiel du PDP en 2007, le nom de Babangida était mentionné de façon répétée comme étant une alternative du nord. Et Babangida a aussi embarrassé Yar’Adua peu après le coup d’Etat en Guinée en 2008. Envoyé par Yar’Adua pour faire savoir à la junte de ce pays que le coup ne serait pas toléré, Babangida est au contraire revenu avec force louanges pour ceux qui ont perpétré le coup d’Etat. Ceci a causé un grand embarras à Yar’Adua et a encore davantage affaibli sa position de dirigeant du Nigeria et peut-être même pour la fonction présidentielle. Que l’Amérique rende visite à un ancien dictateur et à un partisan de coup d’Etat bat en brèche les déclarations américaines selon lesquelles, elle est partisane de la démocratie nigériane et du peuple du Nigeria.
Et puis il y a la question de l’AFRICOM. Lorsque les Américains cherchaient un endroit où poser le quartier général de leur centre de commandement militaire, Yar’Adua, au nom de la population du Nigeria a d’emblée rejeté les ouvertures de Washington, qui cherche un point d’ancrage pour l’AFRICOM au Nigeria ou dans sa zone d’influence. Cependant qu’AFRICOM opère toujours dans les eaux de l’Afrique de l’Ouest grâce à des partenariats de programmes d’entraînement avec différents gouvernements africains, il reste que de trouver un endroit où installer son siège reste une préoccupation américaine.
Ces rencontres avec Babangida -un ancien officier militaire et un ancien dictateur- font surgir la question de savoir si pendant la maladie et l’absence de Yar’Adua, Babangida et d’autres seront utilisés pour améliorer les chances des Américains de poser AFRICOM au Nigeria. Si tel était le cas, ceci ne ferait que favoriser les allégations selon lesquelles les Etats-Unis ne sont intéressés par le Nigeria qu’en raison de son grand cru (pétrolier) au détriment des gens qui attendent toujours de bénéficier des revenus pétroliers, particulièrement les populations du delta du Niger. Ceci pourrait générer un retour de la violence dans cette région où la tension s’était atténuée, mais qui menace à nouveau d’exploser au vu de la présente situation d’incertitude politique du Nigeria.
Alors que les relations entre les Etats Unis et le Nigeria ont déjà connu des hauts et des bas, les récents rapports et les preuves de l’ingérence américaine dans la politique nigériane pourraient présenter de nouveaux défis à cette relation et peut-être même au futur du Nigeria. Il reste à voir si les interférences américaines publiques, face à l’incertitude politique prévalent au Nigeria, vont réussir à servir les intérêts américains au Nigeria et dans la région. Ce qui est sûr, c’est que le risque pris par les Etats-Unis en interférant dans la politique du Nigeria aura un impact durable sur ce pays, aujourd’hui et dans l’avenir. La seule question est de savoir si cet impact durable sera positif ou négatif. Pour l’amour du Nigeria, on espère qu’il sera positif mais seul l’avenir le dira.
* Funmi Feyide-John est un avocat nigérian et un écrivain vivant à Washington DC - Ce texte a été traduit par Elisabeth Nyffenegger
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