Pourquoi Aristide ne rentrerait-il pas chez lui en Haïti ?

Il y a six ans, un complot aboutissait à la destitution et à l’exil pour le président haïtien, Jean-Bertrand Aristide. Au moment où son peuple souffre du tremblement de terre du 13 janvier, qui a fait une centaine de milliers de morts, celui-ci a pris la résolution de rentrer à Port-au-Prince pour participer à l’œuvre de reconstruction. Et si des réticences existent, notent Claude Ribbe, elles ne peuvent être que le fait de ceux qui, en 2004, l’avaient destitué pour empêcher la réalisation de ses rêves de grandeur pour Haïti.

Jean-Bertrand Aristide vient d'exprimer son intention de rentrer chez lui, après 6 ans d'exil forcé en Afrique du sud sous la protection de la CARICOM et de l'OUA. Des "journalistes", qui me semblent confondre information et propagande raciste, ont immédiatement ressorti les calomnies préparées en 2004 dans les officines de MM. Bush et de Villepin, alors Premier ministre français.

Sous leur plume, l'enlèvement d'un président démocratiquement élu par les forces spéciales devient une "démission". La déstabilisation et le coup d'Etat organisé par 40 mercenaires pour 2 millions de dollars (dont 2 millions seulement ont été versés par les pingres commanditaires, ce qui a sauvé la vie du président) deviennent une "victoire de l'opposition". M. Eric Bosc, "diplomate" français spécialisé dans les basses-oeuvres, qui vient d'être expulsé de son poste au Togo pour ingérence dans les affaires du pays et qui servait précédemment à Port au Prince dans le rôle peu glorieux de manipulateur de la presse française, pourrait certainement apporter un témoignage intéressant sur le rôle de Paris dans cette sale affaire.

Véronique Albanel, née de Villepin, actuellement dame patronnesse à Sciences Po, pourrait également nous éclairer sur la partie qu'elle a jouée, envoyée qu'elle était chez les "nègres" par son frère telle une nouvelle Pauline Bonaparte. Le plus répugnant était certainement Régis Debray, aujourd'hui apôtre de la fraternité et conférencier, pour vendre sa prose nulle et ampoulée, dans les obédiences maçonniques, naguère petit mercenaire chiraquien chargé de rallier au coup d'Etat les "intellectuels" haïtiens qui allaient accepter de cracher sur leur pays pour quelques misérables contrats d'édition, quelques visas, quelques postes dans l'université française, quelques déjeuners dans l'hôtel particulier de Mme Véronique Rossillon, rue Las Cases à Paris, où se croisait, sous la houlette de l'ambassadeur de France à Port-au-Prince, M. Thierry Burkard, terrorisé par les prétendus "sortilèges vaudous" et les "messes noires", la fine fleur de ces apprentis-comploteurs.

Aux côtés de ces gens de peu, on trouvait un Marcel Dorigny, un Jacky Dahomay, "nègre de service" censé représenter la Guadeloupe. Le coup d'Etat a été préparé par M. de Villepin chez Edouard Glissant, en Martinique, lors de la Noël 2003. Glissant, récompensé ensuite par une sinécure, était chargé de mettre en contact les Békés de la Martinique dont l'épouse de M. de Villepin faisait partie, avec Aimé Césaire. On redoutait les réactions de ce dernier, mais, du fait de son grand âge, il ne comprit rien à ce qui se passait et donna au coup d'Etat une apparence de bénédiction.

Pour les analyses, on se reportera au livre majeur de Peter Hallward : « Damming the Flood » (Versobooks) et à celui de Randall Robinson, "An Unbroken Agony" qui sera bientôt traduit en français. J'ai assisté aux péripéties de ce coup d'Etat qui n'avait pour autre but que d'éviter la célébration du bicentenaire d'Haïti et d'écarter un homme qui voulait sincèrement sortir son pays de la misère et de la dépendance internationale. Le coup d'Etat de 2004 a fait 50 000 morts. Autant que le tremblement de terre de 2010. M. Aristide, calomnié par ceux qui ont peur de son retour, ne fait, à ma connaissance, l'objet d'aucune condamnation ni d'aucune procédure.

Les lettres de cachet, qui permettaient, sous l'ancien régime en France, de condamner et d'exiler sans jugement, ont été abolies en 1789. Jean-Bertrand Aristide, comme tout citoyen haïtien, a le droit de rentrer chez lui si bon lui semble. S'il a besoin d'une autorisation, il a celle de 9 millions d'Haïtiens. S'il veut apporter son aide à la reconstruction de son pays en arrivant à Port-au-Prince avec un avion chargé de vivres et de médicaments, quoi de choquant ? Et s'il veut continuer à participer à la vie politique de son pays, cela ne peut déranger que ceux qui craignent sa popularité.

Je ne pense pas qu'un pays puisse se reconstruire en écartant le parti dominant, en manipulant les élections et en tirant à l'arme automatique, comment on le fait depuis six ans, sur les partisans d'un homme politique. Ces partisans, ce sont les plus pauvres et il est peu probable que les misérables 500 millions de dollars promis, mais non versés, par la "communauté internationale", alors qu'il faudrait au moins 10 milliards pour relever le pays, fassent diminuer leur nombre.

* Claude Ribbe dirige la collection littéraire « Ethiopica » qu'il a fondée aux éditions Alphée-Jean-Paul Bertrand.

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