Ah Dadis !

La réprobration est unanime, les condamnations ont fusé d’un peu partout. Mais les 157 morts du massacré perpétré par l’armée en Guinée, le 28 septembre dernier, ne finiront-ils pas par passer par pertes et profits ? Avant ces tueries perpétrées par le régime de Dadis Camara, il y en a eu d’autres en Afrique en Côte d’Ivoire, en RD Congo, etc. Les menaces de représailles et de traduction devant la Cour Pénale Internationale ont fini par se dissiper avec le temps et l’effet de quelques «bonnes œuvres» à l’endroit des intérêts de certaines puissances de ce monde. Pour Venance Konan, le cas guinéen pourrait ne pas faire exception. Il suffit à Dadis Camara de bien utiliser le mode d’emploi.

Franchement, Dadis, là, tu as déconné. Tu nous faisais bien rire avec tes « Dadis shows », ton français tordu et ta façon de limoger tes hauts fonctionnaires en public, mais on se disait que l’Afrique en avait bien vu d’autres, et souvent pire. On savait tous, depuis le début, que tu allais te porter candidat, malgré ta déclaration un peu hâtive que tu n’étais pas intéressé par le pouvoir. Tant qu’on n’a pas encore goûté au pouvoir, c’est facile de dire qu’il n’intéresse pas.

Robert Guéï avait dit la même chose en Côte d’Ivoire, lorsque le pouvoir lui est tombé tout à fait par hasard dans les mains. On a vu la suite. Nous savions qu’il y aurait des oppositions, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, mais c’est comme cela que ça se passe partout, et cela fait partie du jeu. Nous pensions que tu serais assez malin pour contourner toutes ces oppositions, comme l’avait fait ton collègue putschiste de Mauritanie. Mais de là à piéger des milliers de gens dans un stade et faire ouvrir le feu sur eux, non, Dadis, tu as été trop loin. Comment tu vas faire maintenant ?

Dans l’interview que tu as accordée à RFI, au lendemain de ce massacre, tu avais dit : « Si je devais quitter, ce serait pour aller dans une organisation internationale, y prendre une responsabilité. » Bon, il est vrai que de nombreux anciens chefs d’Etat prennent leurs retraites dans des organisations internationales, mais il y a un certain nombre de qualités qui sont tout de même requises, et je ne suis pas très sûr que tu les aies. Mais de toutes les façons, après ce qui s’est passé le 28 septembre, je crois qu’il te faut tirer une croix définitive sur une organisation internationale. Même africaine. Que te reste-t-il d’autre à faire ? Ben, t’accrocher au pouvoir ! Tu vois autre chose ? Moi non plus.

Mais comment faire ? Eh bien, si tu suis bien mes conseils, tu y parviendras. D’abord, ne recommence plus ce que tu as fait. Si c’est une partie incontrôlée de ton armée qui a fait ce coup, arrange-toi pour la contrôler désormais. D’accord ? PLUS JAMAIS ÇA ! Ensuite, tu arrêtes de parler. Parce que souvent tu racontes n’importe quoi. Tu arrêtes aussi d’humilier tes collaborateurs et hauts fonctionnaires, ainsi que des diplomates ou des hommes d’affaires. Fais profil bas, va rendre visite aux blessés, aux parents des morts, donne leur un peu d’argent (tu as quand même des fonds de souveraineté ! Eh bien ça sert à ça aussi, pas seulement pour aller voir les marabouts et entretenir ta famille), et dis partout que ce n’est pas toi, ce n’est pas toi.

Ensuite, tu trouves deux lampistes que tu sanctionnes et tu verras que ça se calmera à ce niveau. Pour ce qui est de la communauté internationale, envoie rapidement une délégation de gens qui parlent bien aux Chinois, pour leur dire que ce qui s’est passé chez toi, c’était comme Tien An men. Ils te comprendront. Ils ne sont pas compliqués, les Chinois. Les Droits de l’homme en Afrique, ils s’en foutent complètement. Chez eux aussi, ils s’en foutent de la même façon. Et tu leur donnes plein de marchés très juteux. Et tu verras qu’ils bloqueront toute résolution un peu fâcheuse du Conseil de sécurité à ton endroit. Tu comprends non ? Ils ont le droit de veto.

Mais ne leur donne pas tous les marchés. Laisse quelques uns de très juteux aussi de côté, pour que les Européens comprennent qu’il y a encore de la place pour eux, à condition bien sûr qu’ils mettent un peu la pédale douce. Tiens ! Comme il n’y a pas d’électricité et d’eau courante chez toi, donne le marché à Bouygues par exemple. Et tu donnes aussi ton port et ta ligne de chemin de fer à Bolloré. Laisse tomber les histoires d’appel d’offres. Bouygues et Bolloré sont des copains de Sarkozy. Tu vois non ?

N’oublie pas les Américains et les Russes. Si tu fais tout ça, tu verras que d’ici trois mois tout ça sera oublié. Tu as vu le petit Kabila ? Est-ce que quelqu’un l’embête ? Pourtant tout le monde sait comment il est arrivé au pouvoir et on a vu ce qu’il a fait aux partisans de Jean-Pierre Bemba, ainsi qu’à des membres d’une secte qui voulaient lui casser les pieds. Des centaines de morts. Mais c’est Bemba qui s’est retrouvé en prison à La Haye. C’est tout cela qui forme le droit international de nos jours. Je sais que tout ça est un peu compliqué pour toi, mais ce n’est pas grave.

Pour ne pas aller loin, regarde à côté de toi, en Côte d’Ivoire. Parmi le flot de condamnations, as-tu entendu la voix de la Côte d’Ivoire ? On sait pourquoi. En mars 2004, des éléments soit disant incontrôlés ont tué plus de cent personnes chez elles, devant leurs portes, parce qu’elles voulaient aller à une manifestation de l’opposition. Un peu comme chez toi. C’est l’ONU elle-même qui a donné le nombre exact de morts après enquête. Avant ça, il y avait même eu des escadrons de la mort. Des gens avaient parlé de Tribunal Pénal International. Et pourtant, avant-hier, Gbagbo est allé déjeuner avec Obama et il est allé ensuite parler à l’Assemblée générale de l’ONU. L’année dernière Sarkozy lui avait même téléphoné, et ils ont causé ensemble, justement, à l’ONU. C’est après que les choses se sont gâtées entre eux. Mais ce n’est rien ça.

Les chefs d’Etat européens ne se fâchent jamais tant qu’il y a des gros contrats pour leurs entreprises en vue. Tu as bien vu que le président de la Suisse est allé à Tripoli présenter ses excuses à Kadhafi, parce que la police suisse avait osé embêter son fils qui avait maltraité sa nounou. Tu as vu aussi comment le même Kadhafi a été reçu en France, en Italie, en Espagne ? Les grands principes des Européens fondent comme neige au soleil quand on leur fait miroiter des gros sous. Les Chinois ont bien compris cela.

Et toi, tu as compris tout ce que je t’ai dit, mon cher Dadis ? C’est ce que tous les autres avant toi ont fait, et ils sont restés au pouvoir pendant des décennies, malgré tous leurs crimes, en se payant même parfois le luxe de transmettre leurs pouvoirs à leurs enfants.

* Venance Konan est journaliste et écrivain ivoirien

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