Le 4 mars 2007, le président burkinabé Blaise Compaoré accueille les protagonistes de la crise ivoirienne. Le chef de l’Etat ivoirien, Laurent Gbagbo, et le chef des Forces nouvelles, Guillaume Soro, signent les Accords de Ouaga. Ce dernier devient Premier ministre, des élections générales sont envisagées et la route de la paix balisée. Depuis lors, le scrutin tarde à se tenir. Prévu en novembre 2008 et reporté pour octobre 2010, le mois de novembre prochain est à nouveau annoncé pour leur organisation, sans qu’une certitude ne se dégage pour cette échéance. Et ce « jeu » dure depuis 2005, quand la communauté internationale avait appelé Gbagbo à tenir les élections au plus tard le 31 octobre 2006. Ce sont ces accords de Ouaga, cités comme un modèle, présentés comme un miracle et qui font toujours de la stabilité en Côte d’Ivoire un mirage, que Venance Konan juge avec humour.
Je me souviens de ce Conseil des ministres au cours duquel le président Laurent Gbagbo avait félicité son Premier ministre pour tous les bienfaits de l’Accord de Ouagadougou. Et il avait dit que cet accord était si parfait qu’il devait être utilisé par l’ONU comme modèle de règlement des conflits dans le monde. Je crois que ce jour-là, les gens de l’Onu, qui sont parfois distraits, n’ont pas lu le communiqué de notre Conseil des ministres. Mais comme on dit au pays, « découragement n’est pas ivoirien. »
Alors, notre président bien-aimé qui ne pense qu’au bonheur du monde tout entier, a pris son bâton de pèlerin, pardon, a affrété un avion, y a embarqué une quarantaine de personnes, et est allé s’installer au Waldorf Astoria à New York. Là, il a déjeuné avec le jeune Barack Obama, et, j’en suis certain, entre deux bouchées de hamburger de chez Mc Donald et une gorgée de Coca Cola Light, il lui a prodigué des sages conseils sur la manière de faire passer son système d’assurance maladie.
Le monde l’oublie, mais c’est nous qui avons inventé l’AMU, l’Assurance maladie universelle. M. Yao N’dré, notre actuel président du Conseil Constitutionnel, avait dit, au cours d’une conférence publique, que cette AMU était si belle que les Français en étaient verts de jalousie, eux qui, depuis des décennies, n’arrivent pas à combler le déficit de leur sécurité sociale. Ils (les Français) avaient compris que si notre AMU était bien appliquée, tous les pays du monde seraient venus nous supplier à genou de leur montrer comment on avait fait, ce qui aurait fait de nous des vedettes mondiales. Et cela leur était insupportable. C’est la raison pour laquelle les Français nous ont envoyé la guerre. Eh oui ! C’était pourtant simple à comprendre.
Donc, après avoir donné des conseils à Obama, notre président bien-aimé est allé à la tribune des Nations Unies. Pour s’adresser au monde entier cette fois-ci. Et il a proposé à l’humanité de s’inspirer de notre inimitable Accord de Ouagadougou, que les mots me manquent pour qualifier, tant il est beau, tant il est merveilleux, pour résoudre les conflits dans le monde. Il a dit très exactement (oyez, ô vous les incrédules !) : « A cet égard, je voudrais tout simplement réitérer ici la position de ma délégation qui s’appuie sur l’expérience de la gestion et du règlement de la crise ivoirienne. Le dialogue direct à l’ivoirienne offre, en effet, des pistes de réflexion que pourraient utilement exploiter les Nations Unies. » N’est-ce pas beau ça ?
Cela fait des décennies que tous les présidents américains essaient de régler le conflit israélo-palestinien, sans résultat. Et pourtant c’était si simple. Le dialogue direct à l’ivoirienne couronné par l’Accord de Ouagadougou. Il suffit que Benyamin Netanyahou et Mahmoud Abbas aillent dialoguer à Damas, que l’on fasse de Mahmoud Abbas le Premier ministre d’Israël et le tour est joué. Les Américains eux-mêmes devraient s’en inspirer aussi.
Je suis sûr qu’au cours du déjeuner, notre président bien-aimé a dû glisser cela à l’oreille d’Obama : qu’il aille discuter avec Oussama Ben Laden en Iran, qu’il fasse de lui le vice-président des Etats-Unis et finies les guerres en Afghanistan et en Irak. Et le Pakistan respirera. Les Chinois font pareil : ils nomment le Dalaï Lama vice président ou secrétaire général adjoint du Parti Communiste Chinois et « affaire est finie. » En France, on nomme Premier ministre le chef des nationalistes corses, en Espagne, on fait du chef de l’ETA un vice-roi, en Turquie, en Tchétchénie, au Soudan, au Sri Lanka, en Grande Bretagne, enfin, partout dans le monde on fait pareil, et la terre entière connaîtra une éternité de paix.
Merci qui ? Oh, vous savez, nous n’avons pas fait cela pour la gloire. Seulement, si vous pouviez nous accorder le point PPTE (Pays Pauvre Très Endetté), nous donner de quoi affréter des avions, par exemple, le dernier qu’Airbus a sorti (ma délégation est très importante) pour aller expliquer aux pays en guerre les détails de l’accord de Ouagadougou, de quoi permettre à notre commission électorale indépendante d’offrir encore plus de cocktails en 2010, et lever la sanction internationale qui frappe notre Blé Goudé national afin qu’il puisse aller à l’Assemblée générale de l’ONU et au prochain G20 expliquer la différence entre un stade de rugby et un terrain de football, nous nous en contenterons. Nous sommes aussi preneurs de déchets toxiques, à condition de les accompagner de quelques milliards. Pas de dollars, ou d’euros ; non, nous nous accommodons de francs CFA bien sûr, pas guinéens tout de même.
Bon, comme nous sommes des vendeurs honnêtes, nous nous devons de vous signaler quelques imperfections, oh très mineures de notre accord, qui se corrigeront avec le temps. Il était prévu pour nous conduire aux élections au bout de dix mois. Nous en sommes au trentième et rien n’empêche qu’on aille jusqu’à quarante-huit mois. Mais comme vous le savez, notre accord est expérimenté en Afrique où le temps n’a pas la même durée qu’ailleurs dans le monde. C’est pour cela que nous mettons trois ou quatre fois plus de temps à faire la même chose que vous. Question de relativité. Relisez donc Einstein. Avec vous Européens, Asiatiques et Américains, je suis sûr que ça ira plus vite. Avec les Sud-Américains, j’en suis moins certain. On a les mêmes gènes et le même goût pour la sieste et les femmes aux croupes bien rebondies.
D’autre part, il était censé désarmer des gens en armes qui occupaient et pillaient une partie du territoire. Ils sont toujours armés, continuent de piller la partie qu’ils contrôlent, mais moi je peux m’y rendre, accompagné quand même de quelques milliers de soldats, la confiance a tout de même des limites, et eux peuvent venir pavoiser à la télévision dans ma zone. Ce n’est pas rien. Reconnaissez que c’est mieux qu’avant l’Accord de Ouagadougou.
Allez, ne soyez pas de mauvaise foi.
* Venance Konan est un journaliste et écrivain ivoirien [email][email protected]
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