Samedi 9 mai : Comment accéder au pouvoir
Ça y est. Jacob Zuma est le nouveau président de l’Afrique du sud. Ils sont nombreux, ceux que son élection n’a pas beaucoup rassuré. Mais l’Afrique du sud est un pays démocratique et la majorité a décidé. Elle a estimé qu’un homme, bien fait physiquement, qui a beaucoup de femmes et d’enfants, qui sait chanter et danser lors des meetings, a toutes les qualités pour être le chef. C’était comme cela dans la plupart de nos sociétés traditionnelles. Personnellement je doute que cela soit suffisant en 2009 dans un pays aussi compliqué que l’Afrique du sud.
J’ai du mal à faire confiance à un homme qui est poursuivi en justice pour viol et corruption, qui couche avec une femme qu’il sait séropositive, sans mettre de préservatif, et qui se contente de prendre une douche après. Et une petite voix me susurre que dans quelques années, l’Afrique du sud risque d’être comme tous les autres pays au sud du Sahara, c’est-à-dire n’importe quoi. Mais ne répétez à personne ce que je viens de dire. On me taxera d’afro-pessimiste. C’est très mal élevé, en Afrique, d’être afro-pessimiste. Le politiquement correct sur ce continent veut que l’on répète tous les jours « ça va aller. » Même quand tout est mis en œuvre pour que ça n’aille pas.
Dimanche 10 mai : Comment s’y maintenir
Le président du Niger a décidé de changer la Constitution de son pays pour se maintenir au pouvoir. Ses supporters estiment qu’il a commencé un bon boulot qu’il doit achever. Lorsqu’il arrivait à la tête du Niger, il était classé 165ème en matière de développement. Dix ans après, il est 174ème . Il a effectivement fait du très bon boulot. Et puis surtout le groupe français Areva va exploiter au Niger la plus grande mine d’uranium du monde. Beaucoup d’argent emplira forcément les poches de quelques boubous. Ce serait trop bête que ce soient les poches des autres.
Nos dirigeants n’ont qu’une seule obsession lorsqu’ils arrivent au pouvoir : s’y maintenir à vie. Il y a plusieurs méthodes pour ça. La plus en vogue en ce moment est la modification de la Constitution. Une autre consiste à ne pas organiser d’élection. Mais pour appliquer cette méthode, il faut avoir une petite rébellion, pas très méchante, mais assez futée pour occuper une partie du territoire. Cela permet d’invoquer la Constitution qui dit qu’on ne peut pas organiser d’élection quand le pays est en danger. Et, pour être à l’abri de tout mauvais coup de cette rébellion, on nomme son chef Premier ministre, et quelques uns de ses amis ministres. On donne aussi quelques ministères à l’opposition et on laisse tout ce monde manger. Il est connu qu’on ne parle pas la bouche pleine. Et l’on peut ainsi prolonger son mandat indéfiniment.
Mais la meilleure méthode à mon avis est celle de Kadhafi. Chez lui, il n’y a jamais eu d’élection présidentielle. Parce qu’il n’y a pas de président en Libye. Non, chez lui, Kadhafi est le « Frère guide. » On n’élit pas un frère, surtout lorsqu’il est guide. Un frère, on l’a pour la vie.
Lundi 11 mai : Histoire
Mon ami le peintre sénégalais Viyé Diba est venu faire une exposition à Abidjan. Nous nous sommes retrouvés à commenter les discours de Sarkozy et de Ségolène à Dakar. Et nous sommes arrivés à la conclusion que Sarkozy n’avait fait que redire ce que nous disons tous les jours. Seulement ça ne devait pas venir de lui. Nous savons que nos pays sont très mal gérés, que nos élites sont corrompues, que nous ne travaillons pas beaucoup. Mais lorsque ça vient d’un Blanc, cela nous rappelle l’époque coloniale où les Blancs bottaient les fesses de nos parents en les traitant de fainéants et de couillons.
Cela dit, j’ai relu ce que nos intellectuels ont répondu à Sarkozy. J’y ai vu que notre passé fut glorieux. Mais je n’y ai vu aucune ligne sur notre présent qui est loin d’être brillant, ni aucune clef pour en sortir, afin d’offrir aux prochaines générations d’autres rêves que celui de trouver une place dans la première pirogue en partance pour les îles Canaries ou Lampedusa. Tout compte fait, je crois que Sarkozy s’est planté à Dakar lorsqu’il a dit que nous ne sommes pas assez entrés dans l’histoire. Nous sommes bel et bien entrés dans notre histoire. Et nous n’en sommes plus ressortis.
Mardi 12 mai : Résistance
Hier soir la télé a montré notre président bien-aimé, Laurent Gbagbo, en Afrique du sud. Il était à l’investiture de Zuma. Je l’aime beaucoup, notre président. Lorsque la rébellion éclata en 2002, personne ne donnait cher de sa peau. Il y eut à cette époque des escadrons de la mort qui tuèrent des dizaines de personnes supposées proches de l’opposition. Des gens de mauvaise foi accusèrent notre président bien-aimé d’être derrière ces escadrons, et on parla même de le faire juger par une cour pénale internationale. Notre président bien-aimé nia tout en bloc. Un humaniste comme lui, derrière des escadrons de la mort ? Quelle idée !
Ces escadrons disparurent aussitôt d’ailleurs. Mais c’était juste une coïncidence. En mars 2004, ses opposants voulurent organiser une marche. Il mit la police, la gendarmerie et l’armée dans la rue. On tira sur les manifestants. L’ONU dénombra plus de 120 morts. Le ministre de la Sécurité d’alors dit que c’étaient des bandes parallèles qui avaient tué. On n’a jamais su qui c’était.
Notre président bien-aimé est en train de construire de beaux palais à côté de ceux que notre premier président avait construits et qui sont aujourd’hui laissés à l’abandon. Les députés français Jack Lang et Jean Marie Le Guen sont venus le féliciter, et ils ont dit publiquement que construire de nouveaux palais, c’est exactement ce qu’il faut faire, surtout en ce moment. Et notre président bien-aimé les a amené danser dans une boîte de nuit. Le lendemain la police a tiré sur les femmes qui manifestaient contre la vie chère. Il y eut deux morts.
Il est vraiment fort notre président bien-aimé. Il a résisté à tout. A la rébellion, aux tentatives de coups d’Etat, à la France... Il faut dire qu’il avait eu une bonne formation. Rester marié à Simone pendant près de trente ans, ça aide à résister à tout.
Mercredi 13 mai : L’Afrique brillera…
Jean Ping, le président de la Commission de l’Union africaine publiera bientôt un livre intitulé « Quand l’Afrique brillera de mille feux. » Il faut que je vous explique notre Union africaine. Au début de nos indépendances, nos chefs eurent l’idée de créer une organisation qui nous aiderait à nous développer plus vite. On l’appela l’Organisation de l’Unité Africaine. Mais quelque 40 ans plus tard, nous constatâmes que nous n’étions pas plus développés qu’avant. Alors, sous l’impulsion du Frère guide Kadhafi, nous décidâmes de faire comme l’Europe. Elle a son Union européenne qui marche très bien. Nous créâmes donc notre Union africaine, avec une commission et un président, des commissaires, vraiment comme l’Union européenne.
Mais nous avions remarqué que l’Europe s’était faite lentement. Or nous étions pressés. Aussi notre Union engloba en une fois tous les pays du continent. On mit donc ensemble les pays fauchés (il y en a beaucoup), les pays riches (si, si, il y en a quelques uns), les dictatures (il y en a beaucoup), les pays démocratiques (si, si, il y en a quelques uns), les Arabes, les Zoulous, les Berbères, les Bantou, les Haoussa, ceux qui s’aiment, ceux qui se détestent, ceux qui se font la guerre, ceux qui font la guerre à leurs propres peuples, bref, on mit tout le monde ensemble, on secoua bien, et puis…Ben, ça ne marche toujours pas. J’y comprends plus rien. Et pourtant nous avons choisi cette année le très éclairé Frère guide Kadhafi pour diriger cette Union. Il doit y avoir de la sorcellerie en dessous.
Jeudi 14 mai : …de mille feux de brousse
« Quand l’Afrique brillera de mille feux », qu’il dit, Jean Ping. Et je vois les têtes de nos brillants guides. Bongo qui a bouclé 41 ans de pouvoir, Kadhafi qui se fait appeler Le roi des rois d’Afrique, Biya qui passe plus temps en Europe que dans son Cameroun qu’il est censé diriger, Laurent Gbagbo qui rigole tout le temps et fait rigoler tout le monde quand il pleure à la télé, Yayah Jammeh toujours attifé comme un clown, Omar El Béchir et Mugabe qui ne font rire personne, le président bissau-guinéen découpé à la machette, le roi du Swaziland qui épouse chaque année une nouvelle femme, il doit en être à la 13ème ou 14ème (lui, il a bien compris que l’important sur cette terre de misère, c’est l’amour. Make love, no war.).
Et je vois, les rebelles de mon pays, avec leurs amulettes aux poignets et leurs téléphones cellulaires accrochés au cou, les millions de morts du Kivu, nos femmes passant leurs journées à piler le mil ou le foutou, nos paysans courbés sous le soleil avec pour seuls instruments de travail la daba et la machette. Et je revois ces quatre charmantes chiottes construites au bord du lac Ahémé au Bénin. Il était écrit dessus « financement : coopération française. »
Alors, en vérité, en vérité, je vous le dis, mes frères Africains, tant que nous n’aurons pas libéré nos femmes et nos paysans, et surtout, tant que nous attendrons que ce soient les Blancs qui nous construisent des chiottes, nous ne serons pas sortis de notre merde de si tôt. Et les feux dont parle M. Ping risquent de n’être que des feux de brousse.
Vendredi 15 mai : Louche
J’ai appris que le train qui relie Dakar et Bamako a déraillé. Je l’ai emprunté une fois, il y a quelques années. Il avait démarré à l’heure précise. « C’est louche, m’avait dit mon voisin de compartiment, un Sénégalais. Je prends ce train depuis plus de dix ans et c’est la première fois qu’il part à l’heure. » Et effectivement le train est tombé en panne en rase campagne et nous a planté sous le soleil pendant deux heures sans une petite gargote à côté pour boire une bière bien chaude.
* Venance Konan est un écrivain ivoirien
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