Il dit être né esclave en 1976. De parents esclaves. Eux aussi nés de parents esclaves. Yahya Ould Brahim était esclave jusqu’à ce jour de 1999 où la volonté d’être homme libre, le désir de liberté l’obligent à prendre la route pour fuir loin de son maître, regagner la France, «pays des Droits de l’Homme ». Il y arrive un jour de décembre 2003. Le voilà désormais esclave en fuite. Mais aussi immigré sans-papiers, dans un pays qui a aboli l’esclavage depuis des siècles. Mais de liberté, il en rêve toujours. Sa grande crainte est de se voir refoulé chez lui, en Mauritanie. Là où tout indique que son maître le récupérerait et le punirait en guise d’exemple, « pour montrer aux deux millions d’esclaves domestiques ou anciens esclaves qu’ils sont encore dominés. »
Yahya Ould Brahim semble plus vieux que la trentaine qu’il déclare, sans doute épuisé par plus de vingt ans de servitude. Son regard vide ne se pose sur rien. Vous avez l’impression de croiser ses petits yeux, mais ils scrutent un horizon lointain. Depuis cinq ans que Yahya Ould Brahim vit en France, il est dans l’atroce inquiétude d’un « retour vers l’enfer », comme il le dit lui-même. Son cas est aujourd’hui porté devant l’opinion internationale par la Commission Nationale Mauritanienne des Droits de l’homme (CNDH) et l’Association des Harratines de Mauritanie en Europe (AHME). Ces deux organisations ont animé, début février, une conférence pour prendre à témoin la presse internationale sur le cas de Yahya Ould Brahim. Mais il s’agissait aussi, de manière plus générale, d’évoquer l’esclavage en République Islamique de Mauritanie, un des pays où cette pratique a toujours cours malgré une loi votée en août 2007 par le Parlement, qui la criminalise sur toute l’étendue du territoire national.
En octobre 2008, Biram Dah Abeid de la CNDH se trouvait devant le groupe chargé des droits humains au Forum humaniste européen de Milan, où il dénonçait la « connivence des pouvoirs publics et judiciaires avec les segments tribaux et claniques ». Une connivence qui se traduit par « la poursuite des pratiques esclavagistes d’une manière massive qui revêt plusieurs formes », dont l’esclavage domestique, l’esclavage agricole et l’esclavage sexuel sont les plus manifestes. L’association, en partenariat avec SOS-Esclaves a recensé une quarantaine de cas avérés qu’elle a présenté aux autorités mauritaniennes depuis la promulgation de la loi d’août 2007. « Jusqu’à ce jour encore, nous attendons que des sanctions soient prononcées contre les auteurs », déclare M. Abeid.
Déjà, en 1981, une première mesure gouvernementale n’a pas connu le succès attendu. En tout cas par les opposants à l’esclavage et par les organisations de défense des Droits de l’Homme. « Cette loi n’a jamais eu de décret d’application. Et pour cause. Le premier article abolit l’esclavage et le troisième demande que les anciens maîtres qui affranchissent soient dédommagés », souligne M. Mohamed Yahya Ould Ciré. L’ancien diplomate, aujourd’hui président de l’AHME, affirme : « En Mauritanie, les autorités décident de ces dispositions juste pour calmer le jeu. Ils n’ont aucune considération pour l’opinion publique ; nous n’avons pas encore une société civile qui dispose de réels pouvoirs de pression. C’est avec la presse étrangère et les partenaires occidentaux qu’on arrivera à les faire bouger sur la question.»
Si le cas de Yahya Ould Brahim, hier esclave agricole, est aujourd’hui mis en épingle, c’est que l’immigré clandestin, se trouve dans une situation ubuesque devant les autorités administratives françaises qui lui ont refusé le droit de réfugié. Seule la solidarité de la communauté mauritanienne lui permet encore de croire en un probable avenir de liberté, alors que la menace pèse de le renvoyer dans l’enfer qu’il a fui. « En Mauritanie, quand on est enfant d’esclave, on est esclave depuis la naissance et on le reste jusqu’à ce que le maître décide de vous affranchir. J’ai ma sœur et mon frère qui sont encore esclaves du frère de mon maître. Mes parents étaient esclaves des parents de mon maître. Pour tout dire, ma famille est esclave de statut depuis toujours, au service la famille de mon maître. »
« J’ai fui en 1999, lorsque mon maître m’a refusé le droit le plus simple de me rendre au chevet de ma mère malade. A la même période, quelques animaux du troupeau s’étaient égarés pendant que je les amenait au pâturage et il m’avait battu. Et pourtant, depuis plus de vingt ans j’étais à son service. Alors j’ai pris mon courage à deux mains en me disant que je ne pourrais vivre rien de plus indigne et de plus atroce. Quand j’ai fui, j’ai vécu en cachette en Mauritanie. Pendant deux ans j’ai travaillé comme vendeur d’eau. Un jour, je suis tombé sur un groupe de candidats à l’émigration. Je n’ai pas hésité un seul instant pour tenter ma chance. Avec mes économies, j’ai cotisé comme mes vingt-cinq autres compagnons de voyage, pour payer une pirogue. C’est ainsi qu’on a embarqué pour l’Espagne et on a réussi la traversée. En décembre 2003, je suis arrivé en France. »
« J’ai fui en désaccord total avec ma famille. J’ai fui parce que j’avais peur d’être reconduit chez mon maître. Aujourd’hui cette même peur me tenaille». La peur d’être reconduit à la frontière, livré à lui-même. La honte de rentrer en Mauritanie pour faire face au « déshonneur » que les siens estiment avoir subi du fait de sa fuite. La certitude de faire l’objet d’un mépris, mais surtout de subir la fureur de son maître.
C’est donc pour briser cette chaîne de la peur que les organisations anti-esclavagistes se battent en Mauritanie et au niveau international pour exiger « une enquête nationale afin d’éclaircir la situation », trouver une solution au profond problème de mentalité et rendre leur dignité et leur fierté aux cinq cent mille esclaves domestiques recensés dans ce pays, et au million six cent mille anciens esclaves. Un défi d’autant plus difficile, souligne M. Abeid, que l’esclavagisme reste lié à la nature féodale de la société mauritanienne, mais surtout au socle islamiste du code judiciaire en vigueur. Pour ce défenseur des Droits de l’Homme, « la religion musulmane qui n’a jamais interdit l’esclavagisme constitue aujourd’hui son terreau fertile et les pays arabes n’aident pas la Mauritanie dans sa lutte contre ce système », le pire, le plus avilissant pour la race humaine.
* Oussouf Diagola est le Directeur de publication de Farafina magazine, un journal de la diaspora paraissant en France.
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