Le Potentiel de la RDC: Eclairer le continent du Cap au Caire
Au moment où la République Démocratique du Congo (RDC) d’approche des élections, l’expert en sciences politiques Georges Nzongola – Ntalaja s’entretient avec Pambazuka News à propos de l’importance stratégique de la RDC. Un Etat puissant au Congo constituerait une menace pour le contrôle des pays riches en ressources dans la sous-région, à savoir le Cameroun, la République Centrafricaine, le Tchad, le Congo-Brazzaville, la Guinée Equatoriale, le Gabon et Sao-Tomé et Principe. Bien plus, soutient-il, la RDC a suffisamment de terres cultivables, une pluviosité, des lacs et des rivières lui permettant de devenir le grenier de l’Afrique, et ce pays a suffisamment de puissance hydroélectrique pour éclairer la totalité du continent du Cap au Caire.
Pambazuka News : Quelle est l’importance stratégique et économique de la RDC, tant pour l’Afrique que sur le plan international ?
Georges Nzongola – Ntalaja : la meilleure réponse à cette question est une citation du Feu Jacques Foccart, l’Eminence grise de la politique gaulliste pour l’Afrique sous les Présidents Charles de Gaulle, Georges Pompidou et Jacques Chirac, lorsque ce dernier était Premier Ministre sous le Président François Mitterand. A la question d’un journaliste qui était en train d’écrire les mémoires de Foccart à propos de ses idées concernant la RDC, le vieil homme répondit de la manière suivante : Vous m’avez demandé en quoi consistait l’intérêt de la France. A ce sujet, il n’y a pas d’ambiguïté. Le Congo – Léopoldville, l’actuel Zaïre, est le pays le plus vaste de l’Afrique francophone. Il a des ressources naturelles considérables. Il possède les moyens d’être une puissance régionale. L’intérêt de la France à long terme et celui de ses alliés africains est évident (Mon propre accent.) Jacques Foccart et Philippe Gaillard, Foccart parle : entretiens avec Philippe Gaillard, Fayard / Jeune Afrique, Paris, 1995, P.310)
Ce qui est évident c’est que la France et ses alliés, aussi bien africains que non-africains, ne souhaitent pas voir la RDC devenir une puissance régionale en Afrique Centrale et constituer donc une menace à l’hégémonie française et aux intérêts occidentaux dans la sous-région. Un Etat puissant au Congo ne va pas seulement menacer le contrôle français sur les pays riches en ressources dans la sous-région, à savoir le Cameroun, la République Centrafricaine, le Tchad, le Congo - Brazzaville, la Guinée Equatoriale, le Gabon et Sao-Tomé et Principe.
Bien plus, la RDC a assez de terres cultivables, une pluviosité, des lacs et des rivières lui permettant de devenir le grenier de l’Afrique, et ce pays a suffisamment de puissance hydroélectrique pour éclairer la totalité du continent du Cap au Caire. Alors que ses ressources minérales sont si abondantes qu’un jeune géologue belge a déclaré que le pays est un scandale géologique au début du siècle dernier, le véritable scandale du Congo inclut les faits que son uranium fut utilisé dans la construction des premières bombes atomiques dans le monde et que sa richesse a été utilisée, depuis l’époque du Roi Léopold II, non au profit de son peuple mais dans l’intérêt de ses dirigeants et leurs alliés de l’extérieur.
Pambazuka News : Vu une telle importance, comment ceci compte-t-il vis-à-vis de l’élection en vue ?
Georges Nzongola – Ntalaja : L’élection en vue a plus de signification pour la communauté internationale, qui est en train de dépenser lourdement sur cette élection et même d’envoyer des forces de l’Union Européenne pour appuyer la MONUC en vue de s’assurer qu’elle a lieu, que pour le peuple congolais. Les grandes puissances du monde et les organisations internationales sous leur contrôle voudraient légitimer leur actuel régime client à Kinshasa afin qu’elles continuent, sans aucun obstacle, d’extraire toutes les ressources dont elles ont besoin du Congo.
Pambazuka News : Quel est le rôle de la RDC en termes d’émancipation pour le développement de l’Afrique et que signifie auto-détermination dans le cadre de cette élection ?
Georges Nzongola – Ntalaja : La RDC ne peut pas jouer un rôle positif dans le développement de l’Afrique aussi longtemps qu’elle reste un territoire dépendant avec approximativement 60 pour cent de son budget national, plus de 400 millions de dollars US, pour ses élections nationales et que, virtuellement, toutes ses décisions en politique de développement viennent des sources extérieures. Les élections, dans ce contexte, ne sont pas un exercice d’auto - détermination mais un rituel visant à justifier le contrôle externe à travers des éléments faibles et non-patriotiques de la classe politique. Pour jouer un rôle émancipatif dans le développement de l’Afrique, la RDC doit terminer sa transition du colonialisme à l’indépendance réelle en tant que nation souveraine avec son propre projet de société et la capacité d’élaborer et mettre en œuvre ses propres politiques de développement.
Pambazuka News : Historiquement, du moins depuis l’indépendance, la RDC a eu une importance stratégique pour les USA, et ce comme une conséquence de la Guerre Froide. Les nouveaux paramètres associés à la guerre contre le terrorisme ont-ils changé ceci, et comment ?
Georges Nzongola – Ntalaja : Au contraire, l’obsession des USA face au Fondamentalisme Musulman en tant que source potentielle de terrorisme fait que la RDC occupe une position importante sur le plan stratégique à cause de sa proximité avec le Soudan, avec sa population petite mais significative, à cause de ses liens avec l’Afrique de l’Est, et le fait que l’instabilité persistante au nord-est est susceptible d’ouvrir la porte au trafic de drogues, à la prolifération des armes portables, au blanchissement de l’argent et à d’autres activités criminelles susceptibles d’être exploitées par des groupes terroristes dans leur propre intérêt. Les intérêts des USA en RDC sont clairement évidents à travers l’implication de Washington dans la gestion de l’actuelle transition par l’entremise du Comité International chargé d’Accompagner la Transition (CIAT).
Pambazuka News : Quel est l’impact de l’héritage historique de Léopold 11 et du colonialisme belge sur le pays ?
Georges Nzongola - Ntalaja : Pour le moment, Georges Forrest, un homme d’affaires belge, exploite un grand empire minier dans la province de Katanga, avec un soutien évident de la part de l’Etat belge. Louis Michel, Commissaire de l’Union Européenne pour le Développement et ancien Vice - Premier Ministre et Ministre des Affaires Etrangères de la Belgique, est l’un des décideurs les plus puissants sur le sort du Congo. Même si ce serait une exagération de les mettre au même niveau que les agents soit du Congo du Roi Léopold ou ceux du Congo Belge, l’héritage de la domination belge est ravivée à travers leur influence énorme sur l’économie et la politique du Congo.
Pambazuka News : Quels sont les liens entre la loi coloniale, Mobutu et la loi du Feu Kabila et maintenant son fils ?
Georges Nzongola – Ntalaja : Le lien principal entre la loi coloniale, Mobutu et les deux Kabila a été déjà souligné plus haut, dans le sens qu’ils représentent un régime charognard dans lequel la richesse énorme du pays est en train d’être monopolisée par les dirigeants et leurs alliés externes au lieu de servir les besoins élémentaires du peuple congolais.
Pambazuka News : Vous avez écrit un livre « Le Congo de Léopold à Kabila : L’Histoire d’un Peuple »[traduction] dans lequel vous dites que le peuple congolais a lutté à travers son histoire d’oppression pour établir des institutions démocratiques dans le pays et pour se libérer de l’exploitation étrangère. Ceci est peut-être quelque chose qui manque souvent dans un débat sur le Congo, l’accent étant mis sur la guerre et l’extraction des ressources et ceci donnant l’impression que le peuple de la RDC est impuissant devant ces forces. Pouvez-vous expliciter votre argument et décrire en détail comment cette lutte a été menée ?
Georges Nzongola – Ntalaja : En janvier 1959, les masses populaires se sont soulevées contre la loi coloniale à Kinshasa et à la fin de cette année, certaines parties du pays étaient devenues totalement ingouvernables, ce qui a amené les Belges à conclure qu’ils devaient respecter l’appel du peuple congolais pour « l’indépendance immédiate. » En 1963, confrontés à l’évidence comme quoi l’indépendance ne satisfaisait pas leurs aspirations les plus profondes à la liberté et au bien-être matériel, les paysans de la partie ouest-africaine du pays ont introduit le nouveau slogan, celui d’une « deuxième indépendance », et ceci devint un cri de ralliement des insurrections populaires dirigées par les adeptes de l’ancien Premier Ministre assassiné Patrice Lumumba, insurrections qui ont réussi à saisir à peu près trois quarts du territoire national.
Ces insurrections furent défaites par un effort de contre-attaque coordonné par les Etats-Unis et la Belgique, effort qui incluait l’usage de mercenaires blancs en provenance de l’Europe et de l’Afrique Australe. En 1990, le rejet du régime Mobutu à travers les consultations populaires que le dictateur lui-même avait initiées pour un verdict sur sa gouvernance a ouvert le processus de transition à la démocratie multipartiste. N’eût - été l’érosion du pouvoir de Mobutu à travers sa répudiation par le public que la Conférence Nationale Souveraine a endossée en 1992 à travers l’élection d’Etienne Tshisekedi comme Premier Ministre d’un gouvernement de transition, Laurent Kabila et ses alliés rwandais n’auraient pas été capables de marcher de Goma à Kinshasa en 7 mois sans aucun défi militaire significatif de la part de l’armée de Mobutu.
Malheureusement, toutes ces épisodes de résistance populaire à la tyrannie en quête de la démocratie et du progrès social se sont terminées par un échec suite au manque d’un leadership politique qui placerait les intérêts du peuple devant les intérêts de la petite classe de politiciens égoïstes et corrompus.
Pambazuka News : Pas de pronostics sur les résultats de l’élection ?
Georges Nzongola – Ntalaja : Puisque l’actuel gouvernement de transition n’a pas rempli les conditions formulées dans l’accord de Sun City / Pretoria pour les élections libres et justes, le rituel du 30 juillet est susceptible de confirmer Joseph Kabila comme Président, mais cela ne va pas changer positivement la situation politique du pays. La violence continuera au nord-est, et la corruption et l’incompétence resteront les caractéristiques les plus saillantes d’un gouvernement poursuivant un programme imposé de l’extérieur.
* Cette interview a été réalisée par e-mail. Le livre de Georges Nzongola – Ntalaja, « Le Congo de Léopold à Kabila : L’Histoire d’un Peuple », est publié par Zed Books, 2002. Georges Nzongola Ntalaja est Modérateur pour Africa Governance Institute (Institut Africain de Gouvernance), un projet du Bureau Régional pour l’Afrique du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) à New York. Il a également servi auprès du PNUD comme Directeur d’Oslo Governance Centre à Oslo, Norvège, du 1er août 2002 au 31 juillet 2005, et comme Senior Advisor en Gouvernance au Gouvernement Fédéral du Nigeria à Abuja, Nigeria, de mars 2000 à mai 2002.
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* Cet article a d’abord paru dans l’édition anglaise de Pambazuka News numéro 261.
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