"Nous avons un accord avec le Tchad, nous mettrons en oeuvre cet accord." Le ministre de la Défense, Hervé Morin, s'est-il trop avancé, le jeudi 31 janvier à Washington, en évoquant la crise tchadienne? Officiellement, la France et le Tchad sont liés par un accord bilatéral "d'assistance logistique et de renseignement". Mais il existe aussi un accord secret toujours en vigueur... Dans le laboratoire des liens militaires franco-africains, les africanistes ont coutume de décrire le Tchad comme le coin supérieur droit du pré carré. S'il tombe, alors tout l'édifice s'écroule. Une vision un peu mécanique, mais qui a toujours inspiré les chefs des Armées de la Ve République.
Le Tchad fait en effet partie des premiers signataires des accords de défense ratifiés par la France dans la période des indépendances. Puis, en 1976, sous l'impulsion de Valéry Giscard d'Estaing, les deux pays remplacent l'accord de défense par un accord de coopération militaire technique. La principale différence de ce type d'accord tient au contenu de l'article 4, qui définit le cadre d'intervention des forces françaises: "Les personnels militaires français servent dans les forces armées tchadiennes avec leur grade. Ils revêtent l'uniforme tchadien ou la tenue civile suivant les instructions de l'autorité militaire tchadienne. (...) Ils ne peuvent en aucun cas participer directement à l'exécution d'opérations de guerre, ni de maintien ou de rétablissement de l'ordre ou de la légalité." En théorie, les soldats français de la coopération militaire n'ont pas le droit de faire la guerre.
En pratique, il suffit qu'ils soient en dehors de ce cadre de coopération pour jouer un rôle actif. Tous les observateurs ont en mémoire le massif déploiement aérien d'avril 2006 qui, non content d'effrayer les rebelles, avait surtout permis de fournir aux forces tchadiennes des renseignements indispensables pour mettre en déroute la colonne de pick-up menaçant N'Djaména. Une convention secrète de maintien de l'ordre remontant à l'indépendance. Cette précision sur le "maintien de l'ordre" n'est pas anodine, car dans plusieurs états africains, une convention secrète de maintien de l'ordre a été signée, dès les années 60, pour garantir aux potentats locaux la tranquillité. Une sorte d'assurance-vie ou plutôt d'assurance de conserver le pouvoir.
Ces textes secrets prévoient une intervention, à la discrétion du président de la République française, en faveur des présidents africains qui en font la demande :
- Premier point : la France "peut" intervenir, mais n’a aucune obligation de le faire. C’est à la discrétion du président de la République française, seul décisionnaire sur ce sujet. La demande passe par l’ambassadeur de France.
- Deuxième point: c’est le chef de l’Etat africain qui formule sa demande "dans une situation particulièrement grave". Laquelle situation n’est pas plus détaillée : il n’est pas fait mention d’agression extérieure ou de menace quelconque. Les termes restent suffisamment vagues pour justifier toute demande.
- Troisième point: le commandement des troupes locales et l’usage du feu sont immédiatement transférés à l’officier français envoyé sur place. Ces textes seraient toujours en vigueur, si l'on en croit du moins les explications données, en mars 2006, par le général Henri Bentégeat au Sénat, qui venaient compléter ces propos de 2002 tenus à l'Assemblée nationale: "Personne n'imagine aujourd'hui une application des accords de défense en dehors des situations ne correspondant pas à une agression extérieure, même si certains accords de défense passés par la France comportent des clauses secrètes prévoyant des cas d'intervention plus larges."
En résumé, si la France n'intervient pas, ce n'est pas parce que le cadre réglementaire le lui interdit, mais bien sur une décision politique. Un sujet auquel le législateur devrait s'attaquer, car ces textes semblent bien obsolètes dans le contexte actuel.
L'histoire du Tchad prouve que les nouveaux accords des années 70 n'ont rien changé à la conception foccaro-gaulliste de l'Afrique. Aussitôt conclus, les nouveaux accords de coopération vont se doubler d'un dispositif ad hoc baptisé «Dami», qui signifie Détachement d'assistance militaire et d'instruction. Officiellement, il s'agit de promouvoir une coopération plus légère, plus efficace et plus professionnelle.
En fait, les Dami, composés de troupes issues des forces spéciales -très souvent les 1er et 8e RPIMa-, vont devenir des unités de renseignement et de protection du pouvoir en place. Placés du sommet à la base de la hiérarchie de l'armée tchadienne, les conseillers Dami forment une chaîne de commandement parallèle à la hiérarchie officielle. Cela permet à la France de maintenir ou de changer les dirigeants en place, avec l'intervention discrète de la DGSE si nécessaire. Hissène Habré, puis Idriss Déby en sont les exemples achevés. Ainsi, au printemps 2006, lors d'une précédente tentative de coup d'Etat, Idriss Déby fut protégé par un petit Dami composé d'hommes du 1er RPIMa. Des "gros" -leur surnom dans le milieu- pour assurer une protection personnelle au chef de l'Etat. Aujourd'hui, cette protection a disparu.
Nul hasard. La coopération militaire est donc loin de jouer son rôle officiel, dont l'objectif est ainsi décrit sur le site de l'ambassade de France:
- "Accompagner d’une part l’armée nationale tchadienne dans sa réorganisation conforme à la stratégie nationale de bonne gouvernance.
- Conforter d’autre part sa capacité à garantir la souveraineté de l’Etat tchadien."
Au sud du Sahara, la "bonne gouvernance" est toujours aussi fluctuante.
* David Servenay est journaliste français. Il est co-auteur du livre «Une guerre noire - Enquete Sur Les origines Du génocide rwandais (1959-1994)»
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