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Charles Taylor rejette le TPI et le tribunal spécial de l'ONU pour la Sierra Leone

Robtel Neajai Pailey remet en cause la légitimité du Tribunal Spécial pour la Sierra Leone et la justice pénale internationale, qui, selon elle: 'n’est qu’une mesure d'apaisement pour l’Occident, qui est aussi complice que les seigneurs de guerre inculpés pour les guerres civiles en Afrique, y compris Taylor'.

Le procès tant attendu du baratineur charismatique Charles Ghankay Taylor, seigneur de guerre qui est devenu le Président du Libéria était un tour de force dramatique dans les complexités de la justice internationale. Bien que Taylor soit en train d’être jugé pour 11 chefs d’inculpation, il s’agit de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité, et autres violations sérieuses du droit international commis durant les onze années qu’a duré la guerre civile en Sierra Leone, l’accusé en personne n’était aperçu nulle part en vue le premier jour du procès, entraînant des retournements de têtes, des plissements de fronts et des plumes à se hérisser.

L'avocat de Taylor a lu une lettre à la cour dans laquelle son client a qualifié le procès de parodie, marquée par des manquements dans la représentation et l’insuffisance des moyens alloués à la défense. Taylor a déclaré que la cour avait prouvé qu’elle était incapable de rendre justice en raison des violations flagrantes de ses droits, comme l’illustre 'la présence insidieuse d'une camera dans la salle de réunion du Centre de Détention, qui surveille les rencontres entre avocat et client qui sont censées être privilégiées et confidentielles '.

La question de la caméra a persisté pendant des mois, sans aucune preuve de la part l'administration de la Cour Spéciale, qui a démontré son inefficacité dans l’exécution des fonctions de base de l'instance judiciaire. Le résultat évident a été l’absence indignée Taylor : 'j’ai choisi de ne pas être le feuille de vigne (le camouflage/ le semblant) de légitimité pour procès… ', il écrit d'un air provoquant dans sa lettre.

Alors que j’étais assise dans la salle d’audience et dans la de presse de la Cour Pénale Internationale (CPI) à la Haye le 4 juin, je ne pouvais m’empêcher de me rappeler que les événements qui se déroulaient sous nos yeux n'étaient pas une farce mélodramatique, mais plutôt un avant goût (les premisses) des mois à venir dans l'enchaînement compliqué des accusations et contre-attaques dans le procès d’un des seigneurs de guerre africains les plus célèbres.

Alors que d’aucuns pensent que le rejet de Taylor de la cour enlève toute légitimité aux preuves de l’accusation, d'autres, comme Human Rights Watch, croient que le cas envoie un message fort pour dire l'impunité ne sera plus tolérée ni en Afrique, ni ailleurs.

Quelle que soit la perspective, l’absence de Taylor lors de la lecture de l’acte d’accusation est symptomatique de questions plus vastes de justice réparatrice, du pouvoir de représentation, et d'un système international structuré dans la dominance. Taylor est-il un bouc émissaire d’un système criminel international de (in)justice, fortement influencé par l’Occident qui en est la principale source de financement ? Qui est le principal responsable des atrocités commises en Sierra Leone ? Qu’en est-il des crimes commis au Libéria ? Pourquoi le proces a-t-il été transféré à la Haye, alors que les crimes ont été commis prétendument en Sierra Leone ? Ces questions et beaucoup d’autres ont besoin d’être correctement étudiées afin d’en tirer une vision holistique (globale).

Histoirique de l’affaire

La guerre civile en Sierra Leone a éclaté en 1991, lancé par le Front Révolutionnaire Uni (RUF) dirigé par le caporal Foday Sankoh, qui a exploité les diamants du pays pour financer sa lutte contre les forces de gouvernement. Des civils ont été ciblés dans des actes de représailles insensées dans lesquelles des dizaines de milliers de personnes ont été tués, les viols et mutilations étaient fréquents, et plus de 2.000.000 personnes ont été déplacées à cause des 11 années de conflit.

Le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone soutenu par l’ONU a été mis en place (ordonné) en 2002 pour juger les principaux responsables de la guerre qui a déstabilisé une bonne partie de l’Afrique de l’Ouest et en a freiné l'activité économique et politique. L'acte d'accusation de Taylor a été matérialisé en 2003 avant que le Président Nigerian Olusegun Obasanjo ne lui accorde l'asile politique. En échange de diamants, Taylor est soupçonné d’avoir fourni au RUF les armes et munitions dont ils avaient grandement besoin, de même que la main d'oeuvre, une formation militaire, une protection et l’asile au Libéria, aussi bien que des conseils stratégiques et tactiques, qui ont renforcé les capacités de la junte à poursuivre la guerre.

Dans son exposé préliminaire, l’accusation s’est proposée de présenter le fondement de leur cas, en déclarant que les témoins et les preuves démontreront par la suite, de manière irréfutable, que Taylor était responsable de l’élaboration d’une ‘entreprise criminelle commune’ qui a abouti à des meurtres et à la destruction de la Sierra Leone. ‘L’entreprise commune’, élaborée par l’accusé [ Taylor ] et d'autres, visait à s’assurer le contrôle politique et physique de la Sierra Leone afin d'en exploiter les abondantes ressources naturelles et y établir un gouvernement qui lui soit favorable ou soumis pour faciliter cette exploitation ', a déclaré le procureur en chef Stephen Rapp, en lançant un regard tranchant sur le siège vide qu’aurait du occuper Taylor.

Certains pensent que Taylor aurait dû rester en Afrique de l’ouest pour faire face aux présumées victimes de sa campagne de carnage. D'autres, cependant, croient que le réseau international des contacts de Taylor aurait pu constituer une menace à la stabilité de la région si son procès avait été maintenu en Sierra Leone. Ces inquiétudes sont légitimes, eu égard aux gambades (cabrioles) d’évasion de Taylor au cours des années. Il s’était 'mystérieusement échappé d'une prison de Boston au milieu des années 80 et a s’était retrouvé dans un camp d’entrainement militaire en Libye.

En 2005, il avait disparu 'de sa résidence d'exil’ à Calabar, au Nigéria, et avait été retrouvé à la frontière entre le Nigéria et le Cameroun, avant d’être incarcéré en mars 2005. Soutenu par ceux qui craignent la mainmise (les partisans) de Taylor dans la région, une délocalisation rapide du procès à la Haye s’était toutefois avérée problématique, bien la Cour Spéciale pour la Sierra Leone ait demandé le transfert. Que ce soit sur le sol ouest Africain ou dans la juridiction européenne, le cas est compliqué et sensible.

Aboutissement au procès : Un enchaînement complexe des manoeuvres et de contre manœuvres

L’arrestation de Taylor a envoyé un message à travers pour dire que l'impunité ne serait plus tolérée en Afrique. Après presque deux ans d’exil au Nigéria, Taylor — menotté et renfrogné —a été transféré par la police militaire de l'ONU vers la Sierra Leone en fin Mars 2005. Il est apparu devant la Cour Spéciale de l’ONU pour la Sierra Leone pour la première fois le 3 avril pour être inculpé d’avoir apporté son soutien à la guerre civile en Sierra Leone.

En voyant les images de Taylor à la télévision après son arrestation à la frontière nigériano-camerounaise, je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer que le guerrier semblait visiblement énervé, comme s’il avait été dupé par une plaisanterie humiliante qui avait échoué, à part qu’il n’y avait personne pour lui dire « C’était juste une blague, Chucky! ». Tous ses amis avaient disparu, laissant l’accusé seul et découragé dans les prisons de l'ONU.

Retour en arrière à l'été 2003 et une image totalement différente se présente. Taylor est debout, tout de blanc vêtu, comme un roi sur le tarmac du Roberts International Airport, au Libéria, disant au revoir de la main et promettant de revenir un jour par « la grâce de Dieu ». Il partait pour un asile politique à Calabar, au Nigéria après avoir été contraint à l'exil par une condamnation internationale et les factions rebelles qui faisaient campagne pour son départ.

Le fait que Taylor ait brièvement débarqué sur le sol libérien pour se voir, trois ans seulement après, transférer par un avion militaire de l'ONU pour un voyage ‘aussi intéressant’ vers la Sierra Leone, et ensuite les Pays Bas pour répondre à des accusations de crimes de guerre, est l'une des absurdités les plus tordues de notre temps. En fait, les deux dernières décennies de la vie de Taylor ont été une épopée intrigante.

Dans une discussion récente avec mon cousin Edward Dillon, nous sommes parvenus à concocter un mémoire sommaire sur les tours et détours qui pourraient faire atterrir Taylor sur une liste des meilleures ventes. Encore plus important, nous nous sommes dits qu'un tel livre lui permettrait d’identifier la source de ses malheurs. Ce serait une sorte d’exposé, expliquant l'ampleur de ses liens avec certains des politiciens africains et étrangers. Taylor a été associé au libyen Muammar Al-Khadafi, au burkinabé Blaise Campaore, au défunt président ivoirien Felix Houphouet - Boigny, à l’ancien chef d’état ghanéen Jerry Rawlings, et même à l’évangéliste américain Pat Robertson, qui a conclu un marché pour implanter une mine dans une zone du sud-est du Libéria en échange des 10 pour cent de la compagnie offerts à Taylor. Taylor était un homme charismatique qui s’était entouré de cohortes ouest africaines et de ramifications internationales de surcroît.

Nombreuses étaient les inculpations parmi les membres des réseaux ouest africains de Taylor. Sankoh est mort en prison d'une crise cardiaque et était en mauvaise santé alors qu'il attendait d’être jugé. Johnny Paul Koroma, qui était à la tête du Conseil Révolutionnaire des Forces Armées Sierra Léonaises (CRFA) qui a renversé le Président Tejan Kabbah par un coup d’état en 1997, est toujours en fuite. Le célèbre commandant SAM Bockarie du RUF, supposé avoir été tué au Libéria sous les ordres de Taylor par crainte de représailles, a été également inculpé. Samuel Hinga Norman, l’ancien ministre de l’Intérieur et Chef des Forces de Défense Civile, était en attente de son verdict pendant des mois, lorsque qu’il est mort en prison dans des conditions mystérieuses.

Bien que Kabbah ait par la suite témoigné devant la Commission Vérité et Réconciliation en Sierra Leone, certains avancent qu'il était aussi complice que Norman pour les atrocités commises. Pourquoi n'a-t-il pas été inculpé ? Tout comme le libyen Khadafi, qui est de nouveau dans les bonnes grâces des USA. De la même manière que la plupart des chefs d’état africains soupçonnés d’entretenir des liens avec des groupes rebelles, il continue de bénéficier d’une protection dorée contre l'impunité. Pourquoi n'a-t-il pas été inculpé pour avoir pris part à ‘l’entreprise criminelle commune’ ? C’est comme si Taylor était le dernier homme à abattre et devrait servir d’exemple. Mais était-il plus coupable que les autres ? C’est la question qui occupe les esprits.

Qu’en est-il du Libéria ?

Un tournant ironique des événements montre que c'était le système de (in)justice de la Cour Pénale Internationale qui a permis à Taylor de perpétrer des crimes à la fois au Libéria et en Sierra Leone auparavant. Critiquant de manière surprenante l'ONU pour sa mauvaise gestion de la débâcle de Taylor depuis le début, l’avocat libérien Philip A. Banks a déclaré que 'si ce n’avait pas été à cause de l'ONU, M. Taylor aurait été en prison depuis 1992 ' pour avoir orchestré le fameux 'Massacre du Carter Camp’ dans lequel des enfants et des spectateurs innocents avaient été tués. Ayant personnellement dirigé l’enquête, Banks avait déposé ses conclusions à l'ONU au début des années 90, après quoi l’organisation internationale avait déclaré que Taylor n'était pas responsable. Dans notre système judiciaire,[ la loi libérienne ], Taylor aurait été jugé et mis en prison bien avant qu’il ne soit devenu président du Libéria en 1997, a déclaré Banks, qui a dirigé l’équipe de rédaction du projet de la constitution libérienne actuelle.

Comme juge de résolution des conflits pendant les conflits libériens de 1990 à1996, Banks a censuré la Cour Spéciale pour la Sierra Leone l'ONU pour son mandat limité. 'L’autorité accordée à la cour est uniquement circonscrite aux crimes commis en Sierra Leone ', a-t-il déclaré en avril 2006 lors d’une conférence de presse à Washington DC. Selon Banks, les crimes que Taylor a commis pendant la rébellion qu’il a mené au Libéria de 1989 à 1996 étaient beaucoup plus grotesques 'le Libéria n’a pas obtenu de l'intervention internationale ce qu'il mérite', a lancé Banks. Il a ajouté qu'il fallait créer un tribunal pour le Libéria pour poursuivre Taylor et ses potes, dont plusieurs occupent des postes de responsabilité dans l’actuel gouvernement libérien dirigé par Ellen Johnson Sirleaf. Les activistes arguent que le cas Taylor fait partie intégrante du développement et de la reconstruction post conflit du Libéria, notamment si la fortune volée qu’il a accumulée - estimée à 2,5 milliards de dollars US - est reversée au trésor public.

Les dessous de l’affaire

La plus grande partie de la couverture médiatique du procès de Taylor est exempte d’engagement critique avec les questions complexes qui perturbent la Cour Spéciale pour la Sierra Leone en particulier, et la justice pénale internationale, en général. Les commissions de vérité et de réconciliation sont-elles une conception occidentale de justice réparatrice ? Que dire des tribunaux communautaires gachacha au Rwanda, qui servent de mécanismes locaux pour poursuivre en justice des criminels? Tout comme la Cour Pénale Internationale pour le Rwanda à Arusha (Tanzanie), un autre système judiciaire soutenu par l’ONU, est miné par des insuffisances, beaucoup trouvent la Cour Spéciale pour la Sierra Leone illégitime parce qu'elle n’a pas été créée pas des Africains eux-mêmes. Elle est plutôt utilisée comme mesure d'apaisement par l’Occident, qui est aussi complice dans les guerres civiles en Afrique que les seigneurs de guerre qui ont été inculpés, y compris Taylor. Après tout, les armes qui ont été utilisées pour déstabiliser le Libéria et la Sierra Leone peuvent être remontées jusqu’à des réseaux internationaux aux USA, en Russie, et ailleurs.

La chute de Taylor fait penser à un Panthéon d’hommes forts célèbres qui ont dû faire face à l’(in)justice internationale pénale. Parmi ces derniers, on peut citer Slobodan Milosevic de la Yougoslavie et Saddam Hussein d'Irak. Ce que ces trois hommes ont en commun est un noeud perpétuel : une impression de culpabilité métaphysique et de désapprobation par l’Occident. Une fois qu’on devient ennemi de l’Occident, on demeure ennemi de sa superstructure judiciaire à jamais. Oui, le procès de Taylor sert de précédent à sa manière en Afrique. Mais il ne devrait pas être manipulé pour servir les besoins de légitimisation d’une cour pénale financée et contrôlée par la communauté internationale et installée à des milliers de kilomètres du continent Africain. Même les seigneurs de guerre africains devenus présidents pour se retrouver inculpés méritent un procès équitable.

* Robtel Pailey est un étudiant libérien en Troisième Cycle à University of Oxford, et producteur multi-médias pour Fahamu/Pambazuka News.

* Cet article a d’abord paru dans l’édition anglaise de Pambazuka News n° 308. Voir :

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