Les faux fuyants politiques : Négation d’un génocide, version Darfour

Kwesi Kwaa Prah critique les écrits de Mahmood Mamdani sur le Darfour. Il avance que : "Mamdani se livre au sophisme techniciste, tournant autour du pot en ce qui concerne les vrais problèmes au Darfour et en réalité, il apporte du réconfort au régime de Khartoum".

Suite à l’effondrement de l'Allemagne Nazi en 1945, les crimes singulièrement atroces de Herr Hitler et de ses partisans ont été soumis à un examen mondial et détaillé.

La campagne génocidaire contre la Communauté Juive Européenne, que lui et sa horde ont décrit comme ' la solution finale ', a été portée au regard plus large de l'humanité avec la découverte de toutes les atrocités commises dans les camps Nazis (‘Vernichtungslager’ et ‘Todeslagers’), sous l’autorité du disciple de Hitler, tout aussi méphistophélique que ce dernier, Heinrich Himmler.

A l’époque, l'excuse inepte de beaucoup d'Allemands : ‘wir haben nicht gewusst’ (‘Nous ne savions pas’) a retenue l'attention du monde entier. Beaucoup d'Allemands ont prétendu qu’au moment où l’horreur se produisait, ils n'ont rien vu, n’ont rien dit et n'ont rien entendu.

Dans nos déclarations sur l’horreur qui est en train de se produire au Darfour, nous devons veiller à ne pas nous mettre dans une position où nous donnons de la même manière des explications boiteuses. Encore plus crucial est la nécessité d'éviter d’apporter, en parole et en fait, du réconfort et du secours aux auteurs du mal au Darfour.

Nous avons vu la barbarie génocidaire dans laquelle le Rwanda a été plongé en 1994, quand entre 500 000 et 800 000 personnes ont été abattus en trois mois.

Ce génocide a surtout été perpétré par deux groupes de milices extrémistes Hutu, Interahamwe et Impuzamugambi, durant une période d'environ trois mois, du 6 avril à la mi-juillet 1994.

Depuis les années 1960, le carnage brutal de la guerre Angolaise, la guerre Libérienne, les champs de bataille de la Sierra Léone, l'imbroglio en Casamance, les guerres en Guinée, au Mozambique, en Ouganda, en Guinée Bissau, les tueries incessantes dans les deux Congo, les guerres Soudanaises, les guerres civiles Tchadiennes, les guerres Touareg, la République Centrafricaine, la guerre civile Nigériane, l’effondrement de la Somalie comme nous le savions, les guerres Érythréennes et Ethiopiennes et d'autres conflits fratricides ont laissé les Africains engourdis et traumatisés, avec des répits courts et sporadiques de massacres intermittents mais continus. Avec une faible institutionnalisation démocratique, des dictatures de pacotille et le règne des seigneurs de guerre, l'avenir immédiat de l'Afrique et des Africains semble sinistre.

Nous constatons que dans toutes les guerres, chacune des parties rivales revendique que Dieu est de son côté. Aucune partie n'invoque le diable comme étant son soutien. En Afrique du Sud, le processus de ‘vérité et réconciliation’ a révélé certaines atrocités commises par les insurgés.

Mais, il serait extrêmement malhonnête de suggérer, que ce soit en terme de portée ou d'intention, que ceux qui combattaient l’Etat raciste ont commis des crimes de prés ou de loin comparables à l'infamie diabolique du régime de l'Apartheid.

La guerre de Herr Hitler ayant connu une fin ignominieuse, la plus grande crainte des citoyens Allemands face aux avances militaires Soviétiques était leur sort entre les mains des forces Soviétiques qui avaient payées d’environ 20 000 000 de morts (militaires et civils). Par ces sacrifices colossaux, ils avaient brisé la machine de guerre Nazie. Au Darfour, nous savons que les insurgés ont aussi été responsables d'atrocités. Mais la position morale des auteurs de l’horreur est à mille lieux de celle de la résistance; et l'échelle des atrocités est incomparable.

Nous pouvons débattre à l'infini sur la question à savoir si vraiment la tragédie du Darfour a atteint des proportions génocidaires; si c'est une contre insurrection et une insurrection; si c'est une guerre civile ou pas; si c'est aussi brutal que le cas irakien; ou si le nombre de personnes tuées au Darfour est comparable au nombre de morts en Irak. Le mot de la fin est que ces deux scénarios représentent d'énormes tragédies de nos temps et méritent l'attention et la colère de l’humanité contre ceux qui en sont responsables.

L'administration Bush a lancé la tragique mésaventure en Irak sur la base de mensonges concernant des armes de destruction massive (ADM), qui n’ont jamais existé. Mais les fondements de cette mésaventure avaient été préparés depuis longtemps. En février 1998, Bill Clinton posait le débat : 'Qu’arrivera-t-il si Saddam refuse de se soumettre [aux sanctions de l'ONU], ou si nous prenons des voies détournées ambiguës qui lui laisseraient encore plus de temps pour développer ce programme (d’ADM)? Il conclura que la communauté internationale a perdu sa volonté ... [que] il peut poursuivre et faire encore plus pour reconstituer un arsenal de destruction dévastatrice. Et un jour, je vous le garantis, il utilisera cet arsenal.'

Le 31 octobre 1998, Clinton signe l'Acte de Libération de l'Irak, qui stipule que: 'La politique des Etats-Unis devrait être celle de soutenir les efforts visant à destituer le régime dirigé par Saddam Hussein'. Et, dans la même année, 1998, le Congrès des Etats Unis a autorisé le président Clinton à '... utiliser les forces armées Américaines conformément à la Résolution 678 du Conseil de Sécurité de l'ONU (UNSCR) afin d’exécuter les Résolutions 660-667 du Conseil de Sécurité de l'ONU. '

En décembre 1998, l'avis de Sandy Berger, membre du Conseil de Sécurité Nationale et Conseiller de Clinton, était : 'Durant ces huit dernières années, la politique américaine pour l'Irak a été basée sur la menace tangible que représente Saddam pour notre sécurité. Cette menace est claire'. Ce qui a jusqu'ici été peu apprécié est que le contrôle des ressources pétrolières constituait un motif important, mais peu discuté, de l'intervention de Bush pour renverser l’ancien protégé des Etats Unis, Saddam Hussein.

Le public américain est à présent plus avisé et à l’avenir en saura plus sur le but inavoué de l'administration Bush dans cette guerre. L'Irak est tous les jours sur les télévisions du monde entier. Les bombardements et les tueries sont constants et atroces.

Le Darfour a pendant longtemps été un endroit peu connue en Afrique. A présent, durant ces quatre dernières années, il a été jeté au premier plan de notre imagination. Les gens sont progressivement arrivés à comprendre les contradictions et les conflits dans les zones frontalières Afro-arabes. La contestation et le conflit entre les pasteurs et les agriculteurs sédentaires sont presque parallèles au conflit Arabo-africain du Darfour, entre une tradition Islamiste au Nord-est et une tradition de l'Afrique de l’Ouest; entre ceux qui parlent une langue Africaine et ceux qui préfèrent ou qui adoptent la langue et les coutumes Arabes.

L'Islam y a été introduit au 16ième siècle et a pris la forme la plus mystique du Soufisme, forme commune à d'autres parties de l'Afrique sub-Saharienne. Les plus appauvri sont les groupes Africains. Ces derniers constituent aussi la base sociale de l'insurrection. Ce qui doit catégoriquement être établi est que la compétition autour des ressources ne mène pas nécessairement à la guerre et/ou au génocide. C'est la manière dont une telle compétition ainsi que ses autres problèmes annexes sont résolus qui au bout du compte est déterminante et décisive. Si des politiques démocratiques et tolérantes sur le plan culturel sont avancées, il est possible d'éviter le conflit.

Le Darfour vu par Mamdani :

Durant ces trois à quatre dernières années, Mamdani a écrit deux articles qui compliquent les choses et intentionnellement ou involontairement, il nous met la poudre à l’œil concernant ce qui se passe au Darfour et nous interpelle sur la question à savoir si vraiment nous qualifier cette situation de ‘génocide’. Le premier article que j’ai vu a été publié dans la collection des Éditoriaux 2004 de ‘Pambazuka News’. [1] Le deuxième article a récemment été publié dans l’édition de mars 2007 du ‘London Review of Books’. [2]

Mon attention a été attirée sur le deuxième article par un jeune collègue qui m’a demandé dans un E-mail: 'Je ne sais pas pourquoi Mamdani se pose en (...) ‘démentisseur’ du génocide raciste au Darfour. Veuillez m’indiquez tout écrit pouvant m'éclairer sur cette question.' Mamdani se livre au sophisme techniciste, tournant autour du pot en ce qui concerne les vrais problèmes au Darfour et en réalité, il apporte du réconfort au régime de Khartoum.

L’audience implicite de Mamdani dans les deux articles est le public américain. Il porte une grande part de son attention à souligner comment le commentateur du "New-York Times" Nicholas Kristof, (souvent décrit comme un militant solitaire du Darfour), a réussi dans la diffusion d'une fausse alarme de génocide. Il réussi à établir un débat éloquent et acharné entre Kristof lui sur ‘l’appellation’ des faits. Mais dans tout cela, il fait des affirmations controversées, dont certaines sont examinées ici.

Dans le premier article, du même thème, Mamdani demande: 'Comment Pouvons Nous Nommer la Crise au Darfour?' Dans le deuxième article, le titre devient: 'Les faux fuyants politiques pour la qualification des faits : Génocide, Guerre Civile, Insurrection.' Les deux articles couvrent presque le même sujet, mais dans le plus récent, Mamdani essaye, inefficacement, d’étoffer ses preuves. Il y parle aussi plus amplement de l’Iraq. Cependant, avec l'introduction de la tragédie de l'Irak dans la discussion, il essaye de changer et d’atténuer l'argumentaire et le centre de tout son discours sur le Darfour: Qu’il n’y a pas de génocide; mettant un débat sémantique autour du terme. C'est une position, un argument, exposé passivement.

La question pourrait être posée plus activement: ‘Que se passe-t-il au Darfour ?' Cette question est plus directe et elle permet d’éviter l’obscurcissement et la gymnastique intellectuelle que Mamdani apporte au sujet. Mamdani regroupe un amas de faits; mais il n’arrive pas à tirer son épingle du jeu avec une synthèse. A mon avis, c'est en partie due à sa dérive méthodologique vers le postmodernisme. Il y a un certain nombre de positions de Mamdani qu’on ne peut pas contester et certains points de son argumentaire sont historiquement reconnus. C’est dans son jugement et dans sa manière de tirer des conclusions entre ces faits qu’il ne réussi pas à faire ressortir l’essentiel.

C'est une leçon ironique de savoir que le Général Bashir et sa dictature trouveront du réconfort en lisant Mamdani. Ils n'ont commis aucun génocide; bien qu'environ un tiers de la population, des groupes comme les Fur, Messalit, Zaghawa, Birgid, Daju, Berti, Tama, Tunjur et d'autres, aient été déplacés de force de leurs maisons et leurs villages et obligés de fuir et de traverser la frontière pour aller vers la sécurité précaire des camps de réfugiés internationaux au Tchad, en passant par une combinaison délibérée de tortures, de viols, de tirs et de bombardements aériens, par des avions et hélicoptères de combat.

A présent, les Janjaweed meurtrier opèrent aussi au Tchad. Il y a 200 000 réfugiés dans les camps Tchadiens de réfugiés internationaux. Les estimations indiquent qu'entre 220 000 et 300 000 personnes ont perdu leurs vies depuis le début de l’année 2003 dans cette campagne de terreur orchestrée par l’Etat. 2 000 000 de personnes, originaires d’un peuple du Darfour à l’origine d'environ 6 000 000 d’habitants, sont maintenant dans des camps de réfugiés surpeuplés de manière surréaliste. L’Etat Soudanais fait de la purification ethnique et du déplacement forcé une stratégie de contre insurrection. Il est nécessaire de se rappeler que l’expression descriptive ‘purification ethnique’ est un euphémisme employé par Slobodan Milosevic pour décrire les tueries massives en ex-Yougoslavie.

Le phénomène est loin d’être nouveau. Goody nous rappelle que c'est comme cela que les Anglo-Saxons ont débarrassé une bonne partie de l'Angleterre des Celtes, les poussant aux extrémités ouest de l'île. C'était aussi comme cela que les Latins ont été déplacés vers le Nord sur des terres qui ont appartenu à l’Allemagne. A partir du seizième siècle, l'expansion européenne a comporté le transfert constant, le confinement ou la destruction de peuples prétendus 'primitifs' à travers les Amériques, l’Australie, l'Afrique du Sud et les Antilles. À maintes reprises, des populations indigènes ont été réduites à des ‘minorités ethniques’. Depuis la deuxième guerre mondiale, trois opérations dévastatrices de purification ethnique ont historiquement été enregistrées en Méditerranée, au Moyen-Orient et dans le sous-continent Indien: La division de l'Inde, la création d'Israël à la fin des années 1940 et la division de Chypre en 1974. [3]

Le carnage brutal continu en Irak ainsi que les tueries au Darfour sont des réalités atroces de nos temps. Il existe une forte similarité en ce qui concerne les principaux protagonistes du cycle de violence. La plupart de ce que Mamdani dit à propos de ces similarités est acceptable.

En Irak, depuis l'invasion américaine et la fin de la guerre conventionnelle pour renverser Saddam Hussein, une insurrection contre la coalition des forces d'invasion et l’actuel gouvernement Iraquien soutenu par les Etats-Unis a émergé et grandit de jour en jour. A présent, les principaux bouchers en Irak sont les groupes d'auto justice et les milices sectaires et paramilitaires qui dressent les Shia contre les Sunnite et vice versa.

Au Darfour, les groupes d'auto justice et les milices sectaires et paramilitaires sont des groupes Arabes ou Arabisés. L’Etat Soudanais soutient ces groupes avec des armes et des bombardements aériens pour mettre en oeuvre la politique de la terre brûlée pour la purification ethnique. Dans un récent article paru dans l’hebdomadaire ‘Al Ahram’, Gamal Nkrumah qui cite le Premier Vice-président Soudanais Salva Kiir (un Soudanais du Sud) écrit que : 'Les milices par procuration de Khartoum et l’éthnie Arabe Janjaweed font des ravages sur la population des pauvres indigènes non-Arabes du Darfour. En outre, l'échec du Président Soudanais à tenir ses copains responsables d’avoir salit la réputation internationale de son pays, en résistant à la volonté de la communauté internationale de déployer des troupes de l’ONU, a aggraver la situation.'[4]

Mieux Comprendre la Crise au Darfour

Pour comprendre ce qui se passe au Darfour et dans la plupart des zones frontalières Afro-arabes, nous devons aborder une vue historique générale de la situation.

Rappelons que les Arabes sont arrivés sur le continent Africain la première fois il y a presque 1 400 ans. Les premiers Arabes à entrer en l'Afrique étaient des disciples de la première heure du Prophète Mohammed qui a cherché refuge en Ethiopie Chrétienne durant ce qui est communément appelé 'premier hégire' en 615 après J.-C.

Un quart de siècle plus tard, les Arabes, sous le commandement militaire d'Amr ibn al-As, par le feu et l'épée, ont poussé leur chemin vers l'Egypte lors du grand mouvement d'expansion des territoires du Califat. C'était durant le Califat d'Umar b. al-Khattab. Vers la fin du 7ième siècle, le territoire du Califat en Afrique s’était étendu de l'ouest à l’Atlantique, couvrant ce qui constitue aujourd’hui les pays du Mahgreb: la Libye, la Tunisie, l'Algérie et le Maroc.

Que ce soit par des moyens justes ou déloyaux, aujourd'hui, les Arabes et les Africains Arabisés occupent environ un tiers du continent Africain et le processus d’arabisation des Africains se poursuit. Le Darfour et une grande partie du Soudan sont carrément situé en première ligne et dans le vortex de ce processus. Il s’agit d’un processus expansionniste que les Africains doivent aborder. Est-ce acceptable? Mon opinion est que ce processus doit être stoppé. Les Africains sont heureux d'être comme ils sont. L’Arabisation est inacceptable.

Mamdani demande : 'Est-ce un génocide qui s’est produit et qui doit être puni? Ou, s’agit-t-il d’un génocide qui pourrait arriver et qui doit être empêché?' Il s’étend sur le dernier point : La faiblesse de base dans cette opinion est qu'une supposition historique et non dialectique a été faite dans la compréhension du terme ‘génocide’.

Le fait est que, le génocide n'est pas seulement un événement; en effet il en est rarement juste ainsi. C’est plus significativement un processus. Par cela, je veux dire que nous n'allons pas nous réveiller un jour et soudain constater que nous sommes passés d'une réalité pré-génocidaire à une réalité génocidaire. Le génocide est presque toujours une conséquence d'une approche à la guerre. Une fois les bases et la direction d'un plan génocidaire mis en place, avec des circonstances sérieusement mitigées ou des changements majeurs sur le front de guerre, le génocide en est la suite logique. Par conséquent, la question que nous devons poser est : Y a-t-il un processus génocidaire en cours au Darfour? Quelle est la politique et l'idéologie de l'insurrection et de la contre insurrection en ce qui concerne le phénomène de génocide? Lorsque nous comprenons l'idéologie de la contre insurrection nous pouvons vérifier si l'intention et le processus sont génocidaires ou pas.

Dans un article paru dans le "Washington Post" du 30 juin 2004, Emily Wax, qui écrit de El Geneina, raconte l'histoire de trois jeunes femmes qui marchaient dans un champs broussailleux tout juste au dehors de leur camp de réfugiés à l'Ouest du Darfour:

'Elle étaient sorties pour ramasser de la paille. Elles se souviennent avoir pensé que les miliciens Arabes qui attaquent les tribus Africaines la nuit seraient encore endormis. Mais six hommes les ont saisis, hurlant des insultes arabes comme "zurga" et "abid", qui signifient "noirs" et "esclave". Ensuite, ont-elles dit, les hommes les ont violé, battus et les ont laissé sur le sol. ‘Ils ont saisi mon âne et ma paille et ont dit, "fille Noire, tu est trop foncée. Tu es comme un chien. Nous voulons te faire un bébé clair"’, a dit Sawela Suliman, 22 ans, montrant les lacérations là où un fouet avait frappé ses cuisses tandis que son père tenait un rapport de police et de santé avec les détails de l'attaque. Ils ont dit, "laisse l'enfant lorsqu’il sera né et quittes cette zone".'

Il est important de noter que ce n'était pas un incident isolé. L’esprit et l’idée derrière de telles actes si cruels et barbares sont très révélateurs. Des années plus tôt, Joseph Oduho, un des fondateurs de l'Union Africaine Nationale du Soudan au sud, a attiré mon attention sur le fait que le principe militaire de 'ibid yektul abid' (' tuer un esclave par un esclave '), a une histoire au Soudan et a souvent été entendu durant la Première Guerre Civile de 1956-1972.

Le témoignage d'Emily Wax continue avec la révélation que les résultats des enquêtes auprès de deux douzaines de femmes au niveau des camps, des écoles et des centres médico-sociaux dans deux capitales provinciales du Darfour, comportent des rapports cohérents indiquant que les milices Arabes Janjaweed effectuent des vagues d'attaques visant les femmes Africaines.' Les victimes et d'autres ont dit que les viols sembles être une campagne systématique visant à humilier les femmes, leurs maris et pères et à affaiblir les démarcations tribales ethniques. L’image est très claire car ils le font de façon massive et disent toujours la même chose ', a dit un agent international membre des services médicaux. Elle et d'autres agents de santé internationaux se sont exprimés sur les conditions d'anonymat, disant qu’ils craignent des représailles ou qu’on tarde à délivrer leurs permis de travail, ce qui pourraient gêner leurs opérations.

Elle a présenté une liste de victimes originaires de Rokero, une ville à l'extérieur de Jebel Marra dans le centre du Darfour où 400 femmes ont affirmé avoir été violées par les Janjaweed. 'C'est systématique, ' dit l’agent de l’Aide Internationale. ' Tout le monde sait à quel point le père détermine la lignée dans la culture. Ils veulent plus de bébés Arabes pour s’approprier la terre. Ce qui est inquiétant est qu’à mon avis, nous ne saisissons pas encore toute l’ampleur de ce phénomène.' Un autre agent de l’Aide internationale de haut rang dit: 'Ces viols sont basés sur des tensions entre tribus et sont orchestrés dans le but de créer une dynamique où les groupes de tribus Africains sont détruits. Il est difficile de croire qu'ils leur disent qu'ils veulent faire des bébés Arabes, mais c'est vrai. C'est systématique et ces cas me font croire que cela fait partie de la purification ethnique et qu'ils le font d'une façon massive.'

A El Fasher, la capitale du Darfour Nord, à environ 320km à l'est de El Geneina, 'Aisha Arzak Mohammad Adam, 22 ans, décrit un viol par des miliciens : Ils ont dit: 'Chienne, tu couches avec moi.' Adam, qui recevait un traitement médical au camp Abu Shouk, a dit par le biais d’une interprète qu'elle a été violée il y a dix jours et qu’elle souffre de crampes à l’estomac et de saignement. Ils ont dit, ' l’Etat m'a donné l’autorisation de te violer. Ici, ce n'est plus votre terre désormais, ‘abid’, allez ! '.[5]

Dans un autre rapport, nous sommes informés des faits suivants : ' En décrivant les attaques, les réfugiés faisaient souvent allusion à l’Etat Soudanais, aux soldats et aux milices Janjaweed comme étant un seul et même groupe; comme a déclaré un réfugié, "les soldats et les Janjaweed, ils sont toujours ensemble". Les principales victimes ont été les résidants non-Arabes du Darfour. Des nombreux rapports crédibles corroborent l'utilisation d'épithètes raciales et ethniques aussi bien par les Janjaweed que par le personnel militaire de l’Etat Soudanais; "Tuez les esclaves; Tuez les esclaves!" et "Nous avons l’ordre de tuer tous les Noirs" sont les plus communs. Un réfugié raconte une déclaration d’un milicien, "Nous tuons tous les Noirs et nous tuons même nos vaches lorsqu’elles ont des veaux noirs". De nombreux récits de réfugiés relatent des enlèvements massifs, incluant des personnes enlevées par des véhicules de l’Etat, mais généralement, les personnes interrogées ignorent le sort des personnes enlevées'. Peu de personnes interrogées ont indiqué avoir personnellement connaissance d'exécutions massives et de charniers.'[6]

De nombreux observateurs et autres parties concernées ont indiqué que parmi les principes de la contre insurrection figure le fait de croire que l'Islam pratiqué par les insurgés est inférieur ou incomplet, sur le plan idéologique, au niveau de la masse populaire de base. En général, l'Islam au Darfour découle plus d'une inspiration ouest africaine que d'une dérivation directe de l'Est. Daoud Ibrahim Salim, réfugié du Darfour, membre fondateur et président de la Coalition Damanga pour la Liberté et la Démocratie, un groupe constitué par des exilés du Darfour qui se sont réfugiés au Caire, s'exprime en ces termes: "Nous, peuple du Darfour, n'avons commis aucun crime, hormis le fait d'être africains…Nous sommes des personnes très ordinaires, comme vous pouvez le constater sur les photos. Aujourd'hui, au moment même où nous parlons, un génocide est en cours contre mon peuple au Darfour, nous n'avons pas tout pris de l'Islam, c'est-à-dire l'assimilation et l'arabisation…ensuite ils veulent s'approprier la terre parce que la région du Darfour est vaste … c'est pour cette raison que tous les pays arabes sont en train de soutenir l’Etat Soudanais [7]

De manière concise, Daoud Ibrahim Salih résume ce point de vue ainsi "Mettre fin au génocide signifie mettre un frein à l'arabisation ; mettre fin au génocide signifie mettre un frein à l'assimilation ; mettre fin au génocide au Darfour signifie arrêter le morcellement de l'Afrique [8]. Kofi Annan, alors Secrétaire Général des Nations Unies, dans une litote caractéristique et dans un style prudent et diplomatique décrivait la situation au Darfour comme "frôlant le génocide".

Mamdani réussit à remettre en cause les chiffres extravagants et fabuleux avancés par Kristof. De même, il appelle Obasanjo et Ntsebeza à témoin. Les propos d'Obasanjo figurent aussi bien dans les articles de 2004 que dans ceux de 2007. En 2004, Obasanjo, alors qu'il était Président de l'Union Africaine (UA) et qu'il était impliqué dans de délicates négociations avec Khartoum et les insurgés Fur, avait déclaré que:

"Avant de pouvoir affirmer que ceci est un génocide ou un nettoyage ethnique, il nous faudrait constater une décision définitive, un plan et un programme d'un Etat visant à éliminer un groupe particulier de personnes; alors on pourra parler de génocide, de nettoyage ethnique. Ce que nous savons jusque là est différent de cela. On sait qu'il y a eu un soulèvement, une rébellion, et que l’Etat a armé un autre groupe de personnes pour arrêter cette rébellion. C'est ce que nous savons. De notre point de vue, cela ne constitue pas un génocide. C'est, bien sûr, un conflit. C'est de la violence".

Ce que Mamdani oublie d'ajouter est que, dans un discours prononcé au siège de l'Union Africaine (UA) à Addis Abéba, la capitale Ethiopienne, le 10 Octobre 2006, Obasanjo, alors président du plus grand pays contribuant à la force de protection de l'UA au Darfour signifiait la nécessité pour l'Union Africaine de laisser le contrôle aux forces des Nations Unies présentes, tout en gardant sa composition africaine. Ce n'est pas dans l'intérêt du Soudan ni dans l'intérêt de l' Afrique, ni, à vrai dire, dans l'intérêt du monde, que nous nous tenions tous là, les bras croisés et que nous assistions à un génocide au Darfour.'

Aussitôt après l'explosion de la crise du Darfour sur la scène internationale, Ntsebeza, le célèbre juriste Sud-africain, dans un travail ordonné par le Conseil de Sécurité des Nations Unies, n'avait pas, à ce stade, trouvé de raisons explicites pour déclarer des actes ou des intentions de génocide au Darfour.

Dans sa production intitulée "Darfour: le Génocide Ambigu", Gérard Prunier nous apprend que la vraie logique de la guerre est liée à un mot que le Nazisme, la fin du colonialisme et le développement de l'anthropologie scientifique ont marginalisé en un exil intellectuel et un ‘oppobrium’ politique: "la race".

Dans les années 80, le Colonel Kadhafi et le Premier Ministre Sadiq al Mahdi avaient donné une réponse: Le Darfour était pauvre et en retard parce qu'insuffisamment arabisé. Il avait raté la grande adhésion à la Uuma islamique parce que son Islam était primitif et insuffisamment Arabe. La situation était porteuse d'un potentiel de destruction énorme parce qu'elle correspondait, on ne peut mieux, au contexte général de préjugés raciaux au Soudan. [9]

Prunier relève que dans les années 1980, Kadhafi qui s'est auto proclamé dirigeant et prophète moderne du monde arabe avait distribué d'énormes quantités d'armes au Darfour. Son plan était de se débarrasser des Africains et de les remplacer par des Arabes. C'est le même Kadhafi qui a dit dans une conférence de presse à Amman, lors d'un sommet de la Ligue Arabe en Octobre 2000, que deux tiers des Arabes vivent en Afrique et que l'autre tiers doit rejoindre les deux autres en Afrique. Mamdani s'inquiète qu'une importante assertion de la campagne internationale contre le Soudan et ses milices par procuration est que "le génocide en cours est racial. "Les Arabes" sont en train d'essayer d'éliminer les "Africains"". Mais ses objections ne peuvent pas faire le poids devant des preuves telles que celles apportées ici.

L'arabisation et l'assimilation des Africains

L'arabisation a été l'instrument historique pour l'expansion de la culture et du monde politique arabe sur le continent Africain. Dès le tout début, l'acculturation des peuples conquis, les partenaires commerciaux et la propagation de l'Islam sont devenus le moteur de la conquête arabe en Afrique. Dans plusieurs parties du monde, l'Islam n'a pas mené à l'arabisation C'est le cas de l'Iran, du Pakistan, de l'Inde, de l'Afghanistan, des pays de l'Asie du Centre, de la Turquie, et des parties de la Chine, de la Malaisie, de l'Indonésie, des Philippines et d'autres régions du monde. Les traditions culturelles ont prévalu malgré les influences pénétrantes de l'Islam.

Pour beaucoup de Messalit, de Fur, de Birgit et de Zaghawa, la religion musulmane est à califourchon sur un autre système religieux africain, plus ancien. Par conséquent, il existe souvent des combinaisons d'aspects indigènes pré-islamiques, et parfois, un Islam africanisé et rendu autochtone.

La popularité de celles-ci constitue, au regard des Janjaweed, une pierre d'achoppement à une plus grande Arabisation. En effet comme les Kurdes Yezidi, les Fur pratiquent une religion qui est un mélange éclectique de traditions et de coutumes africaines pré-islamiques et musulmanes. Mais l'affirmation selon laquelle l'Arabe est la langue de Dieu a toujours séduit certains au point qu'ils se soumettent à la vague de l'Arabisation et de l'Arabisme.

De nos jours, les Nubiens constituent environ 3 000 000 d'individus en Egypte, un pays qui compte 70 millions d'habitants. Au Soudan, les Nubiens sont encore plus nombreux. Au cours des siècles, de grandes sections des Nubiens se sont arabisées en Egypte tout comme au Soudan. Mais, récemment, une forte tradition africaniste qui veut s’appuyer sur le passé est en train de s'affirmer dans la société égyptienne en tandem avec des processus similaires dans le Soudan entier. Parmi les Beja autour de Kasalla, la Région Bleue du Nil, au Sud du Soudan, Nuba et Darfour. Le nœud est en train de se resserrer autour de ce que le Mouvement de Libération des Peuples du Soudan (MLPS) décrivait, à ses débuts, comme "la clique de Khartoum".

Dès le début de la période post-coloniale l'arabisation a été une offre déclarée de l'élite politique. Les régimes militaires et civils qui se sont succédés au Soudan au cours du demi siècle dernier ont toujours privilégié la politique de l'arabisation. C'est une politique foncièrement raciste. Mamdani déplore ceux qu'il appelle les "diabolisateurs des Arabes". Il aurait été utile d'être plus explicite et d'expliquer ceci. S'il suggère que ceux qui se battent contre l'arabisation et la campagne internationale contre le génocide au Darfour sont les diabolisateurs des Arabes, alors il aura clairement mis le doigt dessus. L'idéologie de la guerre du côté de la contre insurrection est arabiste.

Il y a beaucoup d'Africains sur le continent et dans la diaspora qui rejettent l'Arabisation, qui ne sont pas favorables à l'idée de changer les Africains en Arabes, qui sont heureux d'être africains et cela s'arrête là. Ils en ont le droit. D'autres minorités, de par le monde arabe, sont de plus en plus nombreuses à continuer de parler du caractère non arabe et différent de leurs communautés. Parmi ces minorités, on note les communautés Syriaques, Maronites, Chaldéennes, Assyriennes, Kurdes, du Turkménistan et Berbères.

Beaucoup d'intellectuels Africains ont aussi pris bonne note des menaces d'Osama Ben Laden à propos du Darfour. En 2006, il a invité les militants islamistes à se préparer à "une longue guerre contre les pillards de la Croisade à l'Ouest du Soudan".Un tel raisonnement ne peut cependant pas faire face au fait que les deux camps opposés dans la guerre au Darfour sont constitués de musulmans. Mais les musulmans Africains sont considérés par leurs compatriotes Arabes comme hérétiques.

Beaucoup d'entre nous ne peuvent pas se faire à l'idée d'une 'intervention d'une grande puissance dans la région sous quelque forme que se soit. Mais une combinaison de l'Union Africaine et des Nations Unies semble acceptable. De nombreux Africains sont toujours dans l’attente d’une critique Arabe, claire et nette, de la politique de l’Etat Soudanais au Darfour. C'est impressionnant de voir comme le silence des membres de la Ligue des Etats Arabes est assourdissant.

L'idée de l'assimilation et de l'arabisation des Africains se présente de différentes manières. Dans sa version de septembre 2004, Ali Mazrui dans une interview accordée à une maison de presse arabe s'exprime en ces termes: "Je pense que les peuples Africains et les peuples Arabes sont, en ce moment, deux peuples dans le processus de devenir un. Ce processus a été enclenché depuis des siècles et ils seront, un jour, virtuellement impossibles à différencier, mais, pour l'instant, c'est un continuum, plutôt qu'une dichotomie". [10]

Un groupe ethnique est un groupe qui partage un sentiment d'une identité commune basée sur l'histoire, des affinités culturelles et des solidarités d'identification. Les membres d'un groupe ethnique ont tendance à s'identifier les uns aux autres ou sont ainsi identifiés par les autres, sur la base d'un élément qui les distingue des autres groupes. Cet élément peut prendre n'importe quelle forme: raciale, culturelle, linguistique, économique, religieuse, politique ou peut être des combinaisons différentes de ces facteurs. Souvent les barrières ethniques sont plus ou moins perméables. De tous les facteurs qui déterminent un groupe ethnique, le facteur de la race est le moins significatif. La race, dans l'usage anthropologique, est une catégorie biologique assignée, tous les autres facteurs sont des catégories acquises. Ces dernières sont culturelles. C'est le facteur culturel, qui est censé inclure le langage et les us et coutumes, qui est le plus important. C'est la culture et non la nature qui définit l'ethnicité. L'ethnicité, par conséquent, empiète sur la notion de groupe culturel.

Mamdani se trompe quand il écrit: "Les différentes tribus qui ont fait l'objet d'attaques et de tueries (particulièrement les tribus Fur, Messalit et Zaghawa) ne forment apparemment pas de groupes ethniques différents des groupes ethniques auxquels les personnes ou milices qui les attaquent appartiennent.'

Ceci n'est en fait pas juste. Les ethnicités arabes englobent les Baggaras ou Arabes Shuwa, Taisha, Rezeigat, Habbaniya, Beni Halba et bien d'autres. En Afrique où les populations parlent plusieurs langues, le fait de parler anglais ne fait pas de quelqu'un un anglais. L'Arabe au Soudan est une langue hégémonique; Dans des endroits comme le Darfour, de nombreuses personnes comprennent l'Arabe, mais cela ne fait pas d'eux des Arabes. Les Janjaweed sont, sur le plan ethnique, des milices arabes armées et soutenues par l’Etat Soudanais. Il est vrai qu'ils embrassent la même religion, mais les Arabes du Soudan considèrent l'Islam des Africains comme étant inférieur.

Mamdani écrit que "la dynamique de guerre civile au Soudan émane de plusieurs sources: d'abord du monopole du pouvoir dont bénéficie une infime élite"arabisée"qui vient de la rive nord de Khartoum, un monopole qui a nourri une résistance qui s'accroît de plus en plus parmi la majorité, les populations marginalisées dans le Sud, l'Est et l'Ouest du pays, ensuite des mouvements rebelles qui, à leur tour, ont donné naissance à d'ambitieux leaders qui refusent les arrangements de partage du pouvoir en guise de prélude à la paix et, finalement, des forces extérieures qui continuent à encourager ceux qui sont intéressés par la rétention ou l'obtention du monopole du pouvoir.

Il voit juste quand il identifie la principale cause du conflit au monopole du pouvoir dans ce que Garang a souvent décrit comme "la clique de Khartoum". Mais pourquoi Mamdani dit-il que cette clique a monopolisé le pouvoir et a marginalisé les populations du Sud, de l'Est et de l'Ouest et pourquoi poursuit-il son argument en disant que les insurgés qui constituent l'écrasante majorité à l'Est, au Sud et à l'Ouest, devraient partager le pouvoir avec une infime élite Arabe qui vient de la rive nord de Khartoum? En démocratie, le pouvoir est entre les mains de la majorité. Les Anglais disent : "on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre".

Il poursuit en ces termes: "La dynamique de paix, au contraire, émane d'une série d'arrangements de partage du pouvoir, d'abord dans le Sud et puis dans l'Est. Ce processus a toujours été intermittent au Darfour. Les négociations organisées de l'Union Africaine ont réussi à forger un arrangement de partage du pouvoir juste pour voir cet arrangement détruit encore et encore. Une grande partie de l'explication, comme je l'ai suggéré plus tôt, repose sur le contexte international de Guerre contre la Terreur qui encourage les parties peu disposées à prendre des risques pour la paix. Renforcer le processus de paix doit être la première résolution de tous ceux qui sont intéressés par le Darfour.'

Renforcer le processus de paix est le droit démocratique des majorités qui ont besoin d'être reconnues et d'être respectées. La simple raison pour laquelle les arrangements organisés de l'Union Africaine ont plusieurs fois échoué est, comme l'a écrit Abel Alier il y a des années à propos de la classe dirigeante au Soudan après la période coloniale, qu'ils en ont facilement fait une habitude de déshonorer les accords. [11] Ils craignent les implications de la démocratie au Soudan.

De l'opinion de Mamdani, apparemment l'un des faits les plus ennuyeux à propos de la campagne internationale pour le Darfour est que le conflit au Darfour est très politique, de même que la campagne internationale. Un des refrains constants de la campagne a été que le génocide en cours est racial. Les "Arabes" sont en train d'essayer d'éliminer les "Africains". Mais les deux termes "arabe" et "africain" ont plusieurs significations au Soudan. Il existe au moins trois significations du mot "arabe". Sur le plan local, "arabe" était un terme péjoratif en référence au mode de vie des nomades présenté comme n’étant pas raffiné; sur le plan régional, il faisait allusion à quelqu'un dont la première langue était l'Arabe. En ce sens, un groupe pouvait devenir "Arabe" avec le temps. Ce processus, plus connu sous le nom d'arabisation, ne constituait pas une anomalie dans la région; il y avait l'amharisation en Ethiopie, la swahilisation au niveau de la côte est de l'Afrique. La troisième signification de "arabe" était "privilégié et exclusif", c'était la revendication de l'aristocratie riveraine qui dirigeait le Soudan depuis son indépendance et qui assimilait l'arabisation à l'expansion de la civilisation et au fait d’être de descendance Arabe.

La définition d'un Arabe est-t-elle un problème de choix parmi ces différentes significations que nous propose Mamdani? La référence péjorative au mode de vie du nomade est, d'un point de vue littéraire et métaphorique, une plaisanterie dans une grande partie du monde arabe. Les Arabes sont parfaitement conscients du fait que la civilisation historique, qui est Arabe, prend ses origines dans la péninsule arabique. C'est une culture et une civilisation dont ils sont fiers. L'arabisation ne découle pas du simple fait d'avoir comme première langue l'Arabe. L'arabisation implique l'acceptation et l'adoption de la culture arabe en entier. Oui, l'identité arabe, au Soudan, est caractérisée par le privilège et l'exclusivité. C'est pour cela que la majorité, jusque là marginalisée, est en train de mettre en place une résistance contre sa domination.

Depuis des temps immémoriaux, dans l'histoire des relations entre les Arabes et les Africains, les Arabes ont toujours été les maîtres et les Africains, les esclaves. En effet "noir" dans une grande partie du monde arabe rime avec esclave. Jusqu'à ce jour en Egypte, celui qu'on appelle bawab (portier, gardien) est immanquablement de peau noire, un Nubien d'Egypte ou du Soudan. On rappellera ici que les bawab sont considérés comme la classe la plus basse des basses dites inférieures.'[12]

L'amharisation en Ethiopie de même que la swahilisation sur la côte est de l'Afrique ne passent pas inaperçues. De nos jours, on sait que la domination de la culture amhara en Ethiopie a toujours été un des facteurs qui soutendent quelques-uns des conflits auxquels la région est soumise. La swahilisation demeure, en grande partie, une affaire linguistique. Elle comporte, dans son moule, les chrétiens, les musulmans, les religionnaires africains et toute une variété de personnes qui parlent des langues africaines. Les Swahilis en Afrique de l'Est n'ont le contrôle de l'Etat dans aucune zone. Ils sont Africains. L'arabisation est une autre paire de manches. En effet et éventuellement, elle efface complètement les caractéristiques culturelles des Africains. C'est pour cela que les Africains qui vivent dans la région et qui, sur le plan historique, étaient Chrétiens avant de devenir Musulmans, se considèrent Arabes et sont prêts à se lancer dans des guerres génocidaires au service de l'arabisme et de l'arabisation.

Qui sont les Africains?

Quand il s'agit de définir ce qu'est un Africain, Mamdani se tourne vers une orientation postmoderniste et écrit que:

"Africain", dans ce contexte,"était une identité subalterne qui avait aussi la potentialité d'être exclusive ou inclusive Les deux significations étaient non seulement contradictoires mais provenaient de l'expérience de deux insurrections différentes. La signification inclusive était plus politique que raciale ou même culturelle (linguistique), étant donné qu'un "Africain" était quiconque qui avait la détermination de bâtir un futur en Afrique. Il était préconisé, dans le Sud, par John Garang, le dirigeant de l'Armée de la Libération du Peuple du Soudan (ALPS) comme un moyen de soutenir le nouveau Soudan qu'il espérait voir un jour.

Par contre, sa signification exclusive se présente en deux versions, une dure (raciale) et une souple (linguistique) – "Un Africain" en tant que Bantu et "un Africain" en tant que l'identité de quiconque qui parlerait une langue indigène d'Afrique. La signification raciale finit par avoir une solide poigne au sein de l'insurrection comme de la contre insurrection au Darfour. Le fait que la campagne pour Sauver le Darfour caractérise la violence comme "Arabe" contre "Africain" voilait le fait que la violence n'était pas unilatérale et voilait aussi la question sur la signification de "Arabe" et "Africain": une question qui était critique précisément parce qu’il s'agissait, en fin de compte, de déterminer qui appartenait ou pas à la communauté appelée Soudan. La dépolitisation, la naturalisation et finalement la diabolisation de la notion "Arabe" en opposition à "africain" a été l'effet le plus meurtrier, prémédité ou non, de la campagne pour Sauver le Darfour".

Mamdani ne doit pas sous-estimer la force et la pertinence du langage en tant que point de référence pour déterminer une identité. Le langage est un élément central pour la plupart des cultures. On pourrait dire que, c'est l'élément le plus crucial. De même, c'est l'un des principaux éléments distinctifs de l'homo sapiens en sa qualité d'animal créateur de culture. C'est à travers le langage qu'on s'identifie en société, et qu'on mène nos transactions sociales.

J'ai personnellement connu John Garang, pendant plusieurs années. En fait, on s'est parlé au téléphone, à longue distance, environ un mois avant sa très étrange mort. Il n'a jamais défini un Africain en ces termes politiques dont parle Mamdani. Garang a toujours été un fier Dinka de Bor. La prétendue version inclusive de Mamdani de la définition d'un Africain comme quiconque était déterminé à bâtir un futur en Afrique est plus que perplexe.

Quand j'ai lu cette définition à un stagiaire du ‘Centre for Advanced Studies of African Society’ (CASAS) de Cape Town, Nana Kofi Appiah, sa drôle et immédiate réponse était que cela constituait une invitation aux pilleurs de l'Afrique. Une telle conception s'applique -t-elle à d'autres régions du monde? Une telle conception s'applique-t-elle aux Indiens, Arabes ou Européens? Si j'arrivais en Chine ou en Inde, avec le souhait de bâtir un futur dans ces endroits, deviendrais-je, parce que je le souhaite, chinois ou indien?

Cecil Rhodes, Verwoerd, et Ian Smith étaient tous des personnes qui étaient déterminées à bâtir un futur en Afrique. Etaient-ils Africains? J'ose dire qu'ils ne souhaitaient même pas être considérés comme tels. La compréhension que Mamdani a de la prétendue définition inclusive de ce qu'est un Africain rend l'africanité trop facile. J'affirme que "si tout le monde est Africain, alors personne n'est Africain". On sait qu’on ne peut point différencier un Sunnite d'un Shia, un Irlandais Protestant du nord d'un Catholique, un Palestinien d'un Israélien, un Pakistanais d'un Indien, rien qu'en jugeant par l'apparence et l'aspect. Il y a de nombreux autres exemples similaires.

La couleur de peau noire au Darfour ne nous aide pas vraiment à distinguer un Arabe d'un Africain. La différence est plus subtile et décisive. Les Africains sont plus attachés à des variétés éclectiques de l'Islam. Ils sont plus enclins à l'agriculture qu'à l'élevage. Ils s'identifient comme Africains et parlent plus les langues africaines. Ils constituent l'écrasante majorité de la population. Pour un public américain, le noir, comme il est compris dans le vocabulaire Africain-américain ne nous aide pas à mieux saisir les dynamiques de la nationalité au Darfour. Les Africains sont d'abord et avant tout un groupe historique et culturel. Ils s'identifient comme tel. La plupart des Africains sont noirs, mais il y a des noirs qui ne sont pas Africains. Du Sud de l'Inde, en passant par le Sri Lanka jusqu'à la Mélanésie, on peut trouver de nombreux groupes qui se ressemblent.

Il y a des années, je disais que la "définition raciale d'un Africain est faussée. Elle n'est pas scientifique, par conséquent, pas défendable. Aucun esprit sérieux n'utiliserait le concept de race autrement que comme un instrument pour une imagerie poétique Je suis en train de dire qu'aucun groupe n'est demeuré "pur" depuis les temps immémoriaux. Les notions de pureté appartiennent au langage des fascistes et à la poubelle de la science. Mais avant que mes remarques ne soient mal comprises, permettez-moi d'orienter le raisonnement vers une autre direction. Beaucoup d'Africains sont noirs, mais ce n'est pas tous les Africains qui sont noirs et ce ne sont pas tous les noirs qui ont des racines culturelles et historiques africaines."[13]

De plus, on ne doit pas oublier que l'arabisme en Afrique a été réalisé, dans sa majeure partie, à travers des conquêtes et une domination culturelle. Par conséquent, même à ce jour, l'Arabisation et l'Arabisme représentent des instruments de servitude dans une tradition qui précède d'un millénaire, la colonisation européenne.

1 - Mahmood Mamdani, ‘How Can We Name the Darfur Crisis? Preliminary Thoughts on Darfur’. Voir ‘African Voices on Development and Social Justice’, Éditoriaux de ‘Pambazuka News’, 2004. Mkuki Na Nyota Publishers, 2005, pp. 256–262.
Voir aussi, K.K. Prah. ‘Darfur Beyond the Crossroads: Struggles of African Nationalism’ voir ‘African Voices on Development and Social Justice’, ibid, pp. 249-256.
2 - Voir ‘the London Review of Books’. Vol.29. No.5. Mars 2007.
3 - Jack Goody. ‘How ethnic is ethnic cleansing?’ New Left Review. 7 Janvier– Février 2001.
4 - Voir Gamal Nkrumah. ‘Masters at holding on’, Al-Ahram Weekly. 5-11 Avril. p.9.
5 - Emily Wax. “'We Want to Make a Light Baby'; Arab Militiamen in Sudan Said to Use Rape as Weapon of Ethnic Cleansing”. Washington Post Foreign Service. Mercredi 30 Juin 2004.
6 - Voir ‘Documenting Atrocities in Darfur.’ US State Publication 11182. Une publication du ‘Bureau of Democracy, Human Rights, and Labor’ et du ‘Bureau of Intelligence and Research’, Septembre 2004.
7 - Voir ‘Experts Appeal for Action to Resolve Darfur Crisis’.
8 - Ibid.
9 - Extrait de Harakati Shaka Lumumba. ‘Darfur: A Wake-up Call for Africa’. (Mimeo), Nairobi, Kenya. 12 Novembre 2006. Paru dans Tinabantu, Vol.3, No.1, 2007.
10 - Harakati Shaka Lumumba. Ibid.
11 - Abel Alier. Southern Sudan. ‘Too Many Agreements Dishonoured’. Exeter: Ithaca Press, 1990.
12 - Voir Amina Abdul Salam. ‘A doorman’s lot is not a happy one’. The Egyptian Gazette, 29 Mars 2007, p.6.
13 - Kwesi Kwaa Prah. ‘Beyond the Color Line: Pan-Africanist Disputations’. Trenton: Africa World Press, 1998, p.36.

* Kwesi Kwaa Prah est le directeur du ‘Centre for Advanced Studies of African Society’ (CASAS) Cape Town.

* Cet article a d’abord paru dans l’édition anglaise de Pambazuka News n° 305. Voir : [email protected] ou en ligne sur www.pambazuka.org