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http://www.pambazuka.org/images/articles/45fr/46105gaymap.jpgLe mariage homosexuel a fait réagir et débattre de manière animée la semaine écoulée. Le fait a surtout montré l'urgence d'une législation et d'une réglementation appropriée pour que la société ait les moyens juridiques et réglementaires de la protection de ses valeurs en même temps que de la sauvegarde des principes constitutionnels qui protègent à la fois l'individu et le modèle de société que le pays vit. Chaque société a, à cette fin, des lois et une éthique de préférence. Le modèle de société vécu est protégé par une discipline tendant à le faire respecter par tous, les citoyennes et les citoyens d'une part, et, d'autre part, les étrangers en séjour touristique dans le pays.

Cette protection, d'intérêt vital pour la société et ses valeurs d'une part, les citoyennes et les citoyens dans leurs personnalités diverses d'autre part, exige des responsables politiques porteurs de projets de société, une vigilance particulière sur les comportements de nature à agresser le modèle de société en vigueur. Les phénomènes de société posent, en général, des problèmes majeurs qui nécessitent des solutions pour la pérennité de l'harmonie et des valeurs caractéristiques de la vie d'une société.

Au Sénégal, l'exhibitionnisme et les comportements libertaires, observés dans les médias du monde, viennent de créer l'imitation qui suscite des réactions outrées devant la nouveauté qu'est le mariage homosexuel. Il n'existe d'ailleurs que dans ce comportement de liberté et dans les affirmations pour le nommer. Il ne peut être célébré ni dans une mosquée, ni dans une église, ni devant un officier d'Etat-civil. C'est dire qu'il n'a pas de statut reconnu. Mais la protection du modèle de société exige plus de précisions pour dépasser cette situation d'un phénomène qui heurte parce qu'il bouscule les conceptions morales et les convictions religieuses... Le déficit de législation et de réglementation a ses conséquences : la passion dans les réactions, fondée sur les convictions philosophiques et religieuses individuelles plutôt que sur le droit et l'éthique que la société préfère et a établis comme principes régissant sa vie.

Il est par conséquent opportun de réfléchir sur les tâches, de nature politique, qui s'imposent aujourd'hui aux concepteurs et responsables des directions d'évolution du modèle de société que sont les politiques, afin que sans violence, le cadrage juridique contienne les nouveautés de comportement dans le périmètre des règles qui sauvegardent notre vie commune en société, sur la base du respect, par tous, de ce qui fait l'harmonie de cette vie. Quelles sont ces règles qu'il faut respecter ? Leur source est la loi fondamentale du pays, à laquelle doit être conforme toute autre loi votée pour le bénéfice de la société dans son ensemble.

La Constitution du 7 janvier 2001, en son article 7, donne les fondements du modèle de société qui caractérise notre République : «La personne humaine est sacrée. Elle est inviolable. L'Etat a l'obligation de la respecter et de la protéger. Tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité, au libre développement de sa personnalité, à l'intégrité corporelle, notamment à la protection contre toutes mutilations physiques. Le peuple sénégalais reconnaît l'existence des droits de 1’homme inviolables et inaliénables comme base de toute communauté humaine, de la paix et de la justice dans le monde.» Ce statut de la personne humaine et les libertés, ainsi que les droits et devoirs qui lui sont reconnus font que la République du Sénégal est laïque, d'une laïcité positive qui permet le plein épanouissement des adeptes des différentes religions, grâce notamment au devoir de respect, par l'Etat, de tous les cultes, et à l'acceptation par tous de leur coexistence pacifique et harmonieuse.

Mais toute société est un corps vivant qui évolue.

Des phénomènes nouveaux y apparaissent qui révèlent souvent des écarts plus ou moins tolérables par rapport aux normes de vie de cette société, par rapport aux valeurs qui fondent son éthique. C'est ainsi que l'émergence de phénomènes de société pose souvent le problème du respect du modèle de société. Ainsi la mendicité pédagogique (celle des talibés) et la mendicité fondée sur la pauvreté, l'impudeur allant jusqu'aux pratiques de nudisme dans une société où la morale religieuse est vécue par plus de 90 % de la population, le vol : de la conduite du voleur de bétail à celle de l'indélicat qui détourne l'argent public ou privé, etc. Faut-il interdire la mendicité, l'impudeur qui agresse nos habitudes de vie ? Comment ? Faut-il tuer le voleur de bétail ? Le coupable d'un crime économique ?

La société doit répondre à ces questions et apporter des solutions qui maintiennent son équilibre et assurent sa survie en réajustant éventuellement son modèle et en fondant soigneusement les tolérances de son éthique. Le Sénégal a fait preuve de cet esprit d'examen et d'ouverture devant les phénomènes de société et les coutumes en contradiction avec les conceptions modernes sur l'homme, sa vie, ainsi que les possibilités de son épanouissement, en votant deux lois qui établissent une modernité courageuse dans la révision des conceptions et l'abandon des préjugés : la loi sur la santé de la reproduction et la loi sur les mutilations génitales. L'on peut classer d'ailleurs, dans cette catégorie de lois pour établir la modernité du traitement de la personne humaine, la loi qui abolit la peine de mort dans notre pays.

S'agissant de 1'homosexualité, il convient de faire preuve du même discernement et de la même liberté de réflexion et de critique de nos conceptions et préjugés. Faut-il tuer les homosexuels ? La Constitution et la loi portant abolition de la peine de mort s'y opposent. Faut-il les ignorer ? A condition qu'ils ne nuisent pas, par l'exhibitionnisme notamment, au modèle de société en train d'être vécu et qui est fondé à la fois sur le droit produit et les convictions religieuses. Tout cela montre qu'il y a des tâches politiques qu'exige la protection du modèle de société. Dans notre société, de même que l'on ne tue pas le voleur, on ne le mutile pas non plus, de même que l'on essaye d'encadrer la mendicité des enfants, la liberté du touriste qui ne doit pas agresser la pudeur caractéristique de notre vie quotidienne, ni les autres valeurs de notre société, de même l'on doit circonscrire la liberté de l'homosexuel dans le même périmètre qui borne la liberté de tout autre citoyen.

Une telle tâche s'accompagne de précautions naturellement. D'abord il faut, sur cette question, éviter la division de la société en deux parties qui privilégient chacune un modèle de société opposé à celui de l'autre. Nous devons tous ensemble travailler à une évolution de notre modèle de société qui ait un contenu de modernité concerté. Ensuite, il faut éviter également de régler le problème par la violence ; donc la solution passe par le débat plutôt que par les armes et les méthodes rapides et paresseuses qui consistent à supprimer l'autre plutôt que de tenir compte de son droit à la vie. Il s'agit d'une tâche qui ne se réussit que par la patience dans la démarche et par le respect de la diversité de la création en matière humaine.

Avant de décider de sanctionner la nature homosexuelle, il convient d'abord d'écouter les médecins et autres spécialistes de l'équilibre de l'individu ; c'est ce qui peut permettre d'éviter des affirmations de déviations auxquelles on aurait du mal à donner un contenu et un fondement précis. La certitude, c'est qu'il faut laisser vivre nos compatriotes à la sensibilité différente de celle du grand nombre mais qui sont, comme les autres hommes, créés par Dieu. Et si l'on ne sanctionne pas le fait de l'homosexualité, en tant que sensibilité spécifique d'un être humain, la tâche de protection du modèle de société devient claire. Il faut avoir avec les homosexuels l'exigence de socialisation et de comportement quotidien qui fait respecter nos valeurs et notre morale. En effet, ne pas tolérer les comportements libertaires et exhibitionnistes qui agressent l'éthique est le devoir de l'action de socialisation et de protection d'un environnement sain sur les plans psychologique et moral.

Le phénomène du mariage homosexuel peut être perçu comme une banalité insignifiante dans une société à taux élevé de comportements libertaires, tout comme il peut provoquer des réactions outrées de sensibilités morales et religieuses choquées par la nouveauté et l'audace dans l'exhibition de la différence. La première réaction d'un Etat qui, comme le nôtre, doit protéger les droits de l'individu, mais, plus largement, appliquer les dispositions de la Constitution en matière de statut et de droits de la personne humaine, est de ne pas donner un statut légal au mariage homosexuel, tant que le débat public et le choix des représentants de la nation dans les instances qui légifèrent n'ont pas donné un fondement juridique à une telle décision ; car le mariage insère le couple dans une communauté qui a des règles sur les droits et devoirs du couple fondées sur, entre autres, le projet de pérennisation de la société. C'est pourquoi le mariage réunit un homme et une femme, dans l'état actuel de notre droit. Tant que cette conception n'est pas modifiée et une telle évolution traduite dans la loi, un mariage homosexuel ne peut pas être reconnu au Sénégal.

Toute société se protège contre la nouveauté désorganisatrice. La nôtre aussi. Mais en même temps, l'Etat a le devoir de protéger tous les individus sans tenir compte de ce qui leur serait reproché sur le plan de leur affectivité ou de leur personnalité physiologique. Les compétences dans les domaines des sciences physiologiques, psychologiques, psychanalytiques, pédagogiques, etc., sont là pour l'aider à aider tout individu à respecter le modèle de société, tout en assumant sa personnalité particulière. L'homosexuel n'est certainement pas un monstre dont il faut expurger la société pour raison de malfaisance. C'est une personne à la sensibilité différente de celle de la majeure partie de ses concitoyens. Il commence à être un problème dans la société à partir du moment où il agresse, par exhibitionnisme, le modèle de société et son éthique.

Une société qui ne tolère pas ou pas encore la visibilité tapageuse de 1'homosexuel lui impose la discrétion et le respect exigeant de la société. Souligner cette exigence n'est pas faire l'apologie de l'hypocrisie dans la vie d'un homme ou d'une femme à la sensibilité en marge de la norme sociale. Il s'agit d'affirmer le caractère incontournable du devoir, pour lui ou pour elle, de respecter cette norme en ne l'agressant pas ouvertement, notamment en n'optant pas pour l'exhibitionnisme choquant pour la grande majorité de la société. L'on ne peut pas exiger de 1’homosexuel moins que ce qui est demandé aux croyants pour réaliser la laïcité positive profitable à tous et à la société, en matière de paix et de vie quotidienne dans l'harmonie : c'est l'effort d'acceptation et de respect de la différence et du cadre commun de vie qui est spatial, humain et spirituel.

Il est ainsi clair que les tâches politiques qui s'imposent aux hommes et aux femmes politiques, en tant que chargés de concevoir, de mettre en œuvre et de faire évoluer au besoin le modèle de société qui régit la vie d'un Etat, sont des tâches de discipline à faire valoir, de pédagogie et éventuellement de soins à faire mettre en œuvre au profit de l'homosexuel et de la société. Cela signifie que, dans le Sénégal d'aujourd'hui, la culture religieuse et l'intérêt de la paix sociale n'autorisent pas la légalisation du mariage homosexuel. Le contact direct avec les médias du monde ne saurait accélérer exagérément et sans problème le rythme d'évolution des conceptions qui régissent la vie en société.

S'agissant de l'exhibitionnisme tapageur sous la forme du mariage, sans statut reconnu, entre homosexuels, la discipline indispensable exige, avant de légaliser un tel mariage, le vote d'une loi et l'élaboration d'une réglementation susceptibles de le permettre. Pendant qu'il est encore temps, il est important d'insister sur ce délai nécessaire. La précipitation serait sûrement génératrice de désordres. L'urgence est plutôt de combattre la forte irruption dans notre société de modèles extérieurs. Il s'agit de faire face à la diversité des médias, de plus en plus accessibles au grand nombre, et à leur puissante capacité de diffusion d'images véhicules de modèles négatifs pour notre société et ses valeurs. Réussir cette tâche, ce serait faire des médias des moyens dont les aspects négatifs sont réduits au minimum inoffensif. C'est une tâche pédagogique.

Il convient d'ajouter que ces tâches de discipline à imposer, pour encadrer la vie de 1’homosexuel de manière que sa liberté ne nuise point à celle des autres, ne sauraient entraîner l'organisation d'une chasse aux sorcières comme si la personne homosexuelle n'était pas une citoyenne comme les autres, devant jouir des mêmes droits et devoirs que ses compatriotes.

En définitive, le phénomène du mariage homosexuel dans notre pays nous interpelle pour des réactions de réflexion et de conception de formes efficaces de protection de la société et de ses valeurs. Il faut, par conséquent, dépasser l'émotion et les réactions outrées devant la nouveauté de l'exhibitionnisme tapageur sur des faits qui agressent le modèle de société et l'éthique aujourd'hui. Il s'agit de continuer à construire une société de paix et de sécurité au profit de tous, de dialogue pour résoudre les problèmes majeurs de cette société. L'évolution des mentalités et des conceptions fait partie de la vie des sociétés.

En ce siècle de l'informatique et de la grande puissance des médias, le rythme des mutations a tendance à être accéléré et peut créer des désordres. Il appartient aux concepteurs du modèle de société qui sont dans une certaine mesure gardiens du temple, de jouer leur rôle et de tenir le gouvernail dans la direction salutaire. A cette fin, il faut accueillir la nouveauté avec toujours l'esprit d'examen et l'ouverture qui permettent d'en saisir l'essentiel, afin d'agir pour le profit réel de la société, étant toujours ainsi au service de l'homme, de tous les hommes en société.

* Madior DIOUF, ancien ministre de l’Enseignement supérieur, est le secrétaire général du Rassemblement national démocratique, un parti d’opposition au Sénégal

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