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Voici un livre (1) qui plonge le lecteur au cœur du drame casamançais. Dans cet ouvrage, résultat de plusieurs années d’enquêtes et de recherches, Oumar Diatta, éducateur spécialisé et journaliste, aborde la question casamançaise sur le triple plan politique, institutionnel et administratif depuis l’époque coloniale et à la lumière du conflit né de la revendication indépendantiste du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (Mfdc).

Depuis l’époque coloniale, il y a toujours eu entre «la Casamance et le Sénégal», quelque chose comme une sorte de nuage d’incompréhension, de cohabitation, voire d’intégration imparfaite ou contrastée. De nombreux malentendus, injustices ont émaillé, surtout après les indépendances, les rapports entre le nord et le sud du payx, créant une situation qui installe le doute sur la «sénégalité» de la Casamance, sur le sens de sa véritable place dans l’ensemble sénégalais postcolonial, sur la valeur de la citoyenneté sénégalaise des Casamançais.

Le doute sur l’appartenance de la Casamance à l’ensemble sénégalais dans sa configuration actuelle, est rendu plus épais et plus vivace par des déclarations plus ou moins suspectes des dirigeants politiques du Sénégal indépendant, notamment les présidents Senghor (1960-1980), Abdou Diouf (1981-2000), Abdoulaye Wade (depuis avril 2000), Mamadou Dia, ancien président du Conseil du gouvernement durant la Loi-cadre et les premières années de l’indépendance, et des leaders comme Assane Seck, ancien ministre d’Etat et Iba Der Thiam, dans une moindre mesure, mais aussi des personnalités comme Koffi Annan, secrétaire général sortant de l’Onu.

Depuis l’avènement de l’alternance politique, le doute est renforcé d’un sentiment de marginalisation de la Casamance. Même le témoignage de l’expert français, Jacques Charpy n’a guère apporté de lumière susceptible de dissiper ce doute. Du côté de la Casamance, l’incertitude et le silence ont été entretenus, à l’exception du professeur Assane Seck, par les fondateurs du Mfdc, qui n’ont laissé aucun écrit à la postérité, ni même posé un acte fort susceptible d’éclairer les générations actuelles. Sur le problème casamançais, s’affrontent plusieurs thèses.

- Certains mettent en relief, la géographie de la région qui, dans l’ensemble sénégalais se traduit par un enclavement du fait de l’existence de la Gambie anglophone.

- D’autres se focalisent sur l’histoire «originale» de la Casamance dont le mode de colonisation et d’administration n’a pas été le même qu’au nord, dans le temps.

- D’autres personnes voient dans la crise casamançaise une dimension essentiellement culturelle. Et n’hésitent pas à parler de «mépris culturel (wolofocentrisme) dont seraient victimes les Casamançais».

- Certains privilégient l’aspect économique et expliquent cette crise par le fait que la «Casamance est oubliée». Le cycle des sécheresses des années 1970 s’est abattu sur le «Sénégal utile», qui a entraîné une émigration massive et provoqué une redistribution démographique. C’est ce sentiment d’invasion, aux allures de colonisation de peuplement spontanée ou organisée de la Casamance, qui aurait provoqué cette rébellion. La question de l’occupation de certaines terres par les migrants du bassin arachidier est d’une brûlante actualité, dans l’arrondissement de Médina Yoro Foula, en Haute-Casamance. Des incidents entre autochtones et migrants sont régulièrement enregistrés.

- Le problème casamançais est un «problème diola» ; on accuse cette ethnie de vouloir créer «une République diola en Casamance». Car les Diolas sont en première ligne. Toutes ces thèses méritent d’être discutées d’une manière approfondie et sans passion. Elles sont en général unilatérales.

Le premier contact physique de la Casamance avec l’Europe remonte au 18e siècle. La première puissance coloniale à s’aventurer en Casamance est le Portugal. Passée aux mains des Français à la fin du 19e siècle, la Casamance n’a jamais été conquise ni pacifiée. Les révoltes et les rébellions contre l'autorité coloniale ont été permanentes et générales. La résistance acharnée et meurtrière par endroits et par moments, s’est développée partout en Casamance surtout dans sa partie occidentale appelée Basse-Casamance.

Oumar Diatta, dans son livre, analyse la naissance des partis et le jeu des alliances. Suite à la promulgation de la Loi-Cadre Gaston Defferre, il note que le premier gouvernement du Sénégal, composé de 10 ministres et présidé par Mamadou Dia, se distingue par l’absence de Casamançais malgré le compagnonnage Bds-Mfdc. «Les questions que l’on se pose sont de savoir pourquoi il n’y a pas un seul Casamançais dans ce gouvernement ? Est-ce que la notion de territoire englobait la Casamance, ou est-ce que, comme le soutient le président Dia, le colonisateur n’avait pas intégré la Casamance dans le Sénégal ?»

De 1960 au début des années 1980, l’administration sénégalaise en Casamance était composée presque exclusivement de fonctionnaires originaires du nord et dont le comportement n’était pas toujours républicain, du moins vis-à-vis des populations autochtones. A l’exception du gouverneur militaire Amadou Bélal Ly, dont le nom a été spontanément donné par les populations à un rond-point de la ville, et récemment du gouverneur Mame Birame Sarr, aucun administrateur, à quelque niveau qu’il ait été, n’a laissé un bon souvenir dans la mémoire collective des Casamançais. C’était pire qu’à l’époque coloniale.

En vérité, l’administration sénégalaise en Casamance a, durant cette période (1960-1980), fait plus de mal que les administrations portugaise et française réunies. Cette «invasion» de fonctionnaires venus du nord est résumée par la célèbre formule de feu l’abbé Diamacoune, ancien secrétaire général du Mfdc : «Le gouverneur est Sénégalais, le préfet est Sénégalais, le procureur est Sénégalais, le commissaire est Sénégalais.» D’autant qu’au même moment, hormis la courte période, 1960 au début des années 1970, durant laquelle la plupart des préfets et chefs d’arrondissement de Cabrousse à Bonconto et Vélingara étaient originaires de la Casamance, les Casamançais étaient absents du commandement territorial du Sénégal. Et cela jusqu’à une époque récente, avec la nomination comme gouverneur de Saliou Sambou, pur produit de la revendication indépendantiste.

Le premier gouverneur d’origine casamançaise, Daniel Cabou, nommé à Saint-Louis (1958-1960) par Mamadou Dia, a été hué par les Saint-Louisiens, les militants du Parti africain de l’indépendance (Pai) en tête, qui considèrent «qu’un singe sorti de la forêt de Casamance ne doit pas gouverner un haut lieu de la civilisation comme Saint-Louis». Le journaliste de «Jeune Afrique», feu Sennen Andriamirado signale que les exemples abondent qui ont envenimé, au fil des ans, les relations entre «nordistes» et «Casamançais». «L’administration était essentiellement ouolof ou sérère. Au début des années 1970, le gouvernement organisa un concours pour recruter des fonctionnaires. Des cadres diolas, surtout enseignants, se présentèrent. Récusés. Au motif que leur recrutement dans l’administration allait vider les écoles».

Dans cette période post-indépendance, quelle a été la position des universitaires sur le sort de la Casamance ? Deux réponses ont été apportées. La première vient de l’historien et universitaire Joseph-Roger De Benoist (Politique africaine, n° 160, 4e trim. 1991). «Lorsque le 20 juin 1960, le Sénégal, uni au Mali dans l’éphémère Fédération du Mali, accéda à l’indépendance, il ne semble pas qu’ait été soulevée la question de savoir quel serait le sort de la Casamance.» Ainsi, la Casamance devient une région comme les autres. Le décret 60 - 113 transforme le cercle en région, les subdivisions en départements.

La seconde réponse vient du journaliste Alain Freinet dans le quotidien Le Monde du 16 avril 1993. Ce journaliste, pour qui le conflit casamançais est né de la décolonisation écrit : «…Les Français, en mettant fin à l’éphémère royaume Peul de Haute-Casamance et en absorbant le comptoir de Ziguinchor que les Portugais n’avaient plus les moyens de défendre, se retrouvèrent, au début du XXe siècle, seuls maîtres à bord d’un territoire dont ils délimitèrent les frontières avec les Portugais et les Anglais. Ainsi, naquit la Casamance dont le peuplement et l’histoire identiques à ceux de Gambie et de la Guinée-Bissau, furent autoritairement annexés au Sénégal en 1960 par la décolonisation.»

Ce livre d’Oumar Diatta contient des matériaux très riches qui peuvent alimenter de sérieuses réflexions sur le problème de la Casamance. Son auteur analyse de manière critique, le témoignage de Jacques Charpy, ancien directeur des Archives de l’Aof et le document du Mfdc de 171 pages daté de février 1995 et intitulé «La Casamance, pays de refus : réponse à Jacques Charpy».

Il passe en revue de façon critique les attitudes des dirigeants sénégalais. Et ne néglige guère les témoignages d’universitaires et autres intellectuels comme le politologue français Dominique Darbon, les Sénégalais Babacar Diop et El Hadj Momar Samb (Wal Fadjri du 13 juillet et du 10 août 1990). Il aborde des thèmes intéressants : la presse sénégalaise et le conflit casamançais, les Casamançais, les autres Casamançais et la Casamance ; celle-ci et le Mfdc, la Casamance et sa diaspora…

* Amady Aly Dieng est économiste, est critique littéraire.
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NOTE
1) La Casamance : essai sur le destin tumultueux d’une région – Par Oumar Diatta - L’Harmattan 2008 - 258 pages