Présidents africains à double nationalité
Au mépris des lois fondamentales de leurs pays, nombre de dirigeants africains affichent une double nationalité. Au Sénégal le débat se pose depuis les années 1960 et les exemples continuent de l’alimenter.
Il y a quelques années les militants du Rassemblement national démocratique (Rnd) aimaient plaisanter entre eux en se référant à « la question ». La voici, reproduite in extenso : « Les citoyens sénégalais ont le droit de savoir si l’homme qui assure la magistrature suprême a pris sa retraite de la Fonction publique française à l’âge de 65 ans, alors qu’il est président de la République du Sénégal, et s’il en est ainsi à quel titre il a pu le faire. Autrement dit, Senghor a-t-il conservé, implicitement ou explicitement, la nationalité française jusqu’à présent ? »
Cette vigoureuse interpellation retentit encore dans les oreilles de tous les patriotes qui avaient le privilège, dans les années 1980, de prendre connaissance, périodiquement, du contenu des parutions de « Taxaw », l’organe officiel du Rnd. Les plus jeunes l’auront deviné : la question, fondamentale entre toutes, était celle régulièrement posée par le professeur Cheikh Anta Diop à son aîné, le président Léopold Sédar Senghor qui, on le sait, s’en est allé plus tard sans y avoir répondu.
Rappelons, avant d’aller plus loin, un fait souvent oublié de nos jours : tous ceux qui, au Sénégal comme dans les autres pays anciennement sous domination française, sont nés avant l’indépendance, disposaient au lendemain de l’accession de nos Etats à la souveraineté internationale, de la possibilité de garder la nationalité de l’ancien colonisateur.
Si Cheikh Anta Diop prit un malin plaisir à seriner la question au président Senghor, c’est bien parce qu’il était en mesure de se prévaloir exclusivement de la nationalité sénégalaise alors que le second ne pouvait, de toute évidence, en faire autant.
Plus tard, le mérite intellectuel de Senghor, universellement reconnu et sa francophilie, également de notoriété universelle, seront récompensés par sa promotion au statut d’’’Immortel’’, aux côtés de ses pairs de l’Académie française, cette assemblée où ne sont admis que des citoyens français, de grand prestige.
Après Senghor, aucun de ses deux successeurs immédiats n’a été publiquement accusé d’avoir troqué sa nationalité sénégalaise contre celle de l’ancien colonisateur. Les rumeurs n’ont toutefois pas manqué dans les milieux politiques, notamment lors des scrutins présidentiels, faisant allusion à leur éventuelle double nationalité. Cela, alors même que la Loi fondamentale de notre pays prohibait et prohibe toujours un tel état de fait.
Et comme pour se moquer encore plus de nous, voici que le président Abdou Diouf, subitement pris par on ne sait quel besoin de se confier, nous apprend, en toute tranquillité, avec le sang-froid qui le caractérise, qu’il se définit lui-même comme étant… un «Français du Sénégal ». Vous avez bien lu : c’est bien un ancien chef d’Etat d’un pays souverain (le Sénégal) qui ose s’exprimer de la sorte, selon un journal de la place (cf. L’AS du 19 mars 2013, en page 2). Et le journal de conclure : «Dommage ».
Le simple fait que cette « pique » de L’As soit passée totalement inaperçue en dit long sur ce qu’il faut bien appeler notre régression mentale. Si nous n’avons pas honte de ces propos, de quoi pouvons-nous bien avoir honte ? Il y a de quoi se demander si le moment n’est pas venu de s’intéresser de plus près à la nationalité de nos hommes politiques.
Dans un passé récent, d’éminentes personnalités de l’opposition sénégalaise, aujourd’hui aux affaires (Moustapha Niasse ? Ousmane Tanor Dieng ? ) ont été montrées du doigt par la rumeur publique. En outre, selon des articles de presse, Idrissa Seck fit, au moins une fois, accoucher son épouse aux Etats Unis d’Amérique pour faire acquérir à son enfant la nationalité américaine. L’intéressé n’a jamais daigné éclairer notre lanterne sur ce sujet sensible.
Chacun se souvient enfin de la polémique d’il y a deux ans à propos de la nationalité de Karim Wade, fils de l’ex-président, alors tout-puissant ministre d’Etat aux ambitions politiques clairement affichées.
Ce sont là autant de faits qui incitent à se demander pourquoi, dans un pays aussi démocratique que le Sénégal, les pouvoirs publics ne se montrent pas plus regardants sur le sujet. Et pourquoi l’opinion elle-même n’exige pas que soit appliquée dans toute sa rigueur les dispositions de notre Constitution stipulant que les candidats à la présidentielle doivent être exclusivement sénégalais.
Pour rappel, l’article 28 de notre Loi fondamentale stipule : «Tout candidat à la Présidence de la République doit être exclusivement de nationalité sénégalaise, jouir de ses droits civils et politiques, être âgé de 35 ans au moins le jour du scrutin. Il doit savoir écrire, lire et parler couramment la langue officielle ».
Cela est, on ne peut plus clair ! On remarquera par ailleurs, que l’exclusivité ne concerne pas seulement la nationalité, mais également la langue de rigueur, en l’occurrence… le Français, que le Législateur nomme ici, pudiquement, « la langue officielle ».
Le mal est en fait bien plus profond et banal qu’on ne se l’imagine. Au lendemain de la deuxième alternance en mars 2012, le Sénégal a eu le « privilège » insolite de compter plusieurs binationaux parmi les ministres de la République (dont, semble t-il, le premier d’entre eux) et même un parfait étranger, en la personne de l’Allemand, M. Abdou Lô… Il a fallu le nationalisme (que d’aucuns ont qualifié d’ombrageux) et la pugnacité du député Abdoulaye Makhtar Diop pour que ce scandale soit au moins évoqué au Parlement.
Pour remédier à une telle incongruité, le chef de l’Etat saisit l’occasion d’un remaniement ministériel, pour décréter… la rétrogradation du ministre allemand, devenu directeur général d’une prestigieuse agence nationale. Quant aux ministres franco-sénégalais du gouvernement sénégalais… rien à signaler, ils sont bien tranquilles. Circulez !
Mais ce n’est pas tout : un député, donc un représentant du peuple en principe démocratiquement élu, en la personne de M. Barthélémy Diaz, n’a pas hésité à faire état, apparemment avec une immense fierté, de sa nationalité… américaine. Il ne manquera pas, pour décourager tout reproche, de se dédouaner en désignant du doigt nos anciens présidents de la République qui seraient tous, à l’en croire, des Français !
Le président Abdou Diouf ne vient-il pas, du reste, de donner raison, en ce qui le concerne tout au moins, à son jeune camarade socialiste ?
Toutefois, si sa récente déclaration a été un coup de massue, le coup de grâce, lui, nous a été assené par… « le petit peuple ». En effet, il y a quelques jours, les Sénégalais ont suivi, sidérés, un micro-trottoir plutôt surréaliste de la télévision nationale : des enseignants, des parents d’élèves, des élèves, s’interrogeant (à juste raison) sur la baisse générale du niveau d’enseignement, s’offusquaient, très innocemment, de ce qu’on ne parle plus le français, ni dans la cour de récréation, ni dans les classes, ni encore moins… dans les maisons !
Ce spectacle désolant et l’aveu du président Diouf m’ont tellement choqué que j’ai demandé par texto à un ami : « Qu’avons-nous donc fait au Bon Dieu pour mériter cela ? » Réponse laconique de cet ami : « C’est ta faute, Ouzin. C’est la mienne. Tous coupables ».
Tous coupables ? Tous coupables, malgré l’œuvre culturelle et spirituelle immense de Cheikh Ahmadou Bamba ? De Kocc Barma Fall ? De Serigne Moussa Ka ? Tous coupables, malgré le formidable travail « d’endiguement » de Cheikh Anta Diop, face aux assauts tantôt fulgurants, tantôt sournois, de la francophonie triomphante et de la « Françafrique » souterraine ?
Il est plus que temps de remettre sur le tapis, en l’élargissant, la fameuse «question» du grand savant sénégalais à Senghor : quelle est la nationalité des Sénégalais, y compris de ceux qui sont nés après l’indépendance comme, par exemple, notre quatrième président, Monsieur Macky Sall ? Et si nous étions encore, tous ou presque, des Français… dans l’âme, notre âme remodelée avec soin par l’ancien colonisateur ? Ce serait plus que dommage. Ce serait tout simplement… malheureux !
Mais peut-être ne faut-il pas désespérer ? Garder intact l’espoir que notre pays donne naissance un jour pas trop lointain à d’autres Cheikh Anta Diop !…
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