Madagascar dans le Collier de perles chinois
La crise malgache s’enlise et se sédimente sur ses contradictions. Mais il serait erroné de la confiner dans le seul espace de la grande île. «Si on lève un peu les yeux, en considérant les problèmes dans un cadre global, planétaire, le continent africain est actuellement en phase de mutation et surtout en passe de négocier un nouveau virage historique, virage provoqué par des forces étrangères pour certains». Madagascar ne sort pas de cette spirale dans laquelle on ne prête pas trop attention au positionnement stratégique de la Chine.
Nul n'ignore la difficulté du traitement du cas de transfert de pouvoir survenu à Madagascar en mars 2009. Ce pays est même devenu « l’épine dans le pied » de la Communauté Internationale, qui n’a pas bougé d’un iota sur sa considération du cas malgache : oui, il y a eu « coup d’Etat » à Madagascar, d’où le maintien des sanctions et toutes les déconsidérations qui en découlent. Nous n’allons plus réciter le parcours suivi par les politiciens malgaches, imposé par la Communauté Internationale qui a mandaté la Communauté économique des Etats de l’Afrique australe (SADC) pour le cas Madagascar.
Le dernier revirement du 17 juin 2011, après la décision commune des chefs d’Etats de la SADC, à Sandton, le 11 juin, a divisé davantage l’opinion. « Mais où veut-elle (la SADC) en venir », « La SADC se dédit », etc., titrait la presse malgache. Si la SADC et l’opinion en général se sont concentrées sur le cas du retour, avec ou sans conditions, de Ravalomanana, le régime transitoire fait le dos rond. Car, à tort ou à raison, il s’est fixé un cap sans condition pour régler la crise : les élections. Mais il y a un inconnu de taille : le calendrier électoral.
La réunion du 17 juin des trois communautés africaines, SADC, EAC et COMESA, a accouché d’une autre forme d’exclusion pour Madagascar. En effet, la Grande Ile était absente de cette réunion pour la création et la mise en place d’un axe économique fort partant de l’Afrique du Sud jusqu’en Egypte, traçant une zone de libre échange pour l’Afrique. L’objectif est que l’Afrique parlera désormais « d’une même voix » lors de ses échanges et négociations auprès des partenaires d’autres continents.
Jacob Zuma, le président sud-africain, appelle « la responsabilité commune des 26 pays concernés par ce projet pour la création d’un marché commun africain porteur d’une valeur économique réelle ». « Cela ne peut se faire du jour au lendemain, il y a beaucoup d’obstacles et de barrières à affronter », indique le Roi Mswati du Swaziland. Les plus grands de ces obstacles sont les pays africains instables, quatre exactement et qui sont invités à intégrer totalement le projet : Libye, Madagascar, Soudan et Zimbabwe. Le projet de cette zone de libre échange est appelé à voir le jour d’ici trois ans, délai fixé par les dirigeants des Etats membres de cette communauté désormais tripartite (SADC – EAC – COMESA).
Si on lève un peu les yeux, en considérant les problèmes dans un cadre global, planétaire, le continent africain est actuellement en phase de mutation et surtout en passe de négocier un nouveau virage historique, virage provoqué par des forces étrangères pour certains. Ce pourrait être le cas de la Libye, de Madagascar et du Soudan.
Pour le cas particulier de Madagascar, un appel d’air très fort se fait actuellement sentir dans la région de la Grande Ile et du Canal de Mozambique. Plus personne n’ignore la volonté réelle de la Chine de contrôler le bassin de l’Océan Indien. La Transition malgache en a fait son premier partenaire financier à travers des projets d’extraction de minerais, des projets d’infrastructure et d’équipement, à l’image du puissant groupe chinois CIF en Angola. Discrètement, la Chine a aussi installé des unités commerciales et armées dans plusieurs zones portuaires de l’Asie du Sud et au large de l’Océan Indien pour accompagner et sécuriser sa croissance effrénée.
Une vague de navires chinois a colonisé l’autoroute maritime Afrique – Asie et on compte actuellement plus de 6000 navires de fort tonnage chinois qui appareillent dans les ports de l’Océan Indien. Mais le plus troublant est la véracité de la crainte de l’Inde et des Etats-Unis évoquant la présence de navires de guerre chinois dans la Mer de Chine du Sud dans laquelle l’Empire du Milieu s’arroge une largeur dépassant les accords internationaux. Pas plus tard que le 6 juin 2011, des centaines de vietnamiens ont manifesté devant l’ambassade de Chine à Hanoï en accusant des navires chinois d’avoir sectionné un câble d’un navire pétrolier vietnamien dans la Mer de Chine du Sud.
Dans la même semaine, les Philippines ont protesté auprès des Chinois à propos d’un projet de la Chine concernant une installation de plates-formes pétrolières toujours dans la zone de la Mer de Chine du Sud, zone souveraine revendiquée par les Philippines. La Chine a émis une fin de non recevoir en invoquant « une souveraineté incontestable de la Chine sur la majorité de la Mer de Chine ».
L’inévitable affaire « Ben Laden », conclue par sa chute a encore envenimé les rapports sino-américains. Le 1er mai 2011, un commando américain a fait une incursion dans la ville d’Abbottabad, au Pakistan, opération facilitée par des drones. Cette incursion américaine constitue pour beaucoup de pays une violation flagrante de la souveraineté territoriale pakistanaise. « Times of India » a affirmé dans ses colonnes les propos de parlementaires pakistanais citant que la Chine, « un allié puissant du Pakistan », « a prévenu clairement qu’une attaque contre le Pakistan, un pays souverain, serait considérée comme une attaque contre la Chine ». Et le ministre pakistanais de la défense de surenchérir que « le Pakistan est appelé à répondre sans hésitation par la force à toute forme d’atteinte à sa souveraineté ».
Ce double avertissement constitue la première menace réelle de risque de conflit ouvert contre les Etats-Unis « depuis la guerre froide contre l’URSS sur la crise de 1958 à Berlin », selon le Pentagone. Le Pakistan est une « puissance nucléaire de fait », comme l’Inde, les deux pays ayant intégré le groupe restreint des puissances nucléaires « officielles » constituées par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France, la Russie et la Chine. L’Arabie Saoudite s’est invitée elle aussi « au bal » en finançant la défense pakistanaise, déjà forte de 50 avions de chasse JF17 chinois envoyés dans la zone le 18 mai 2011 pour « éliminer les drones américains » et appuyer les positions chinoises dans le port de Gwadar dans le détroit d’Hormouz au Pakistan.
Selon plusieurs observateurs, une information capitale constitue les raisons de cette montée de tension : la Chine possède 66 missiles intercontinentaux capables de frapper directement les Etats-Unis, 118 missiles de moyenne portée dont certains sont installés chez des « pays amis » dans le Moyen Orient dont le Pakistan, et 36 missiles qui peuvent être lancés à partir de sous-marin. C’est la logique du « Collier de perles » chinois dans l’occupation de l’Océan Indien et de l’Est de l’Afrique comme le surnomme les observateurs géopolitiques. Et le 23 juin 2011, les Etats-Unis et la France font une annonce officielle commune pour accélérer le retrait de leurs soldats postés en Afghanistan et aux frontières du Pakistan. Ce qui fait réfléchir, c’est que le cas des drones américains qui pullulent dans la région qui n’a pas été évoqué dans ce communiqué…
En parlant de sous-marin, l’Océan Indien et les côtes africaines seraient « infestés » de sous-marin et de navires de guerre chinois, selon l’observatoire Indien au nord de Madagascar et ceux américains dans l’Océan Indien. Ces postes avancés dans ce bassin ont déjà accusé ouvertement la Chine d’appuyer les pirates des eaux territoriales somaliennes et internationales de l’Afrique de l’Est. Entre janvier et mai 2011, quelque 117 navires ont été attaqués au large de la Somalie, 20 bateaux ont été détournés, 338 personnes prises en otage et 7 marins tués. Le groupe CMA CMG affirme avoir essuyé une douzaine d’attaques en moins de trois mois dans l’axe Kenya – Mozambique. MSC, AP Moller Maersk, Cosco et Evergreen ont rejoint CMA CGM dans l’éventualité pressante de prendre le chemin plus long pour contourner l’Afrique au cas où la question des pirates ne serait pas résolue. Ce qui renforce le choix de la Chine sur l’autoroute maritime Afrique – Asie… et le « Collier de perles ».
Aux mois de mai et juin 2011, nous avons assisté, impuissants, à une Afrique et un Moyen Orient qui « brûlent ». Les pays de ces zones passent un à un dans une situation de conflit ou de transition politique difficile : Côte d’Ivoire, Tunisie, Egypte, Libye, Syrie, Bahreïn, Yemen, Madagascar, Zimbabwe, Soudan,… et au même moment, un navire de guerre chinois s’engouffre dans la Mer Méditerranée prétextant vouloir sécuriser ses navires commerciaux utilisant le Canal de Suez. Le 17 juin 2011, l’Afrique se réveille pour lancer le projet d’Alliance tripartite SADC – EAC – COMESA pour la zone de libre échange. Pour qui, et pourquoi maintenant ?
Le 29 avril 2011, suivant la ratification, le 22 avril 2001, de la Convention Internationale sur le Droit de la mer et donnant 10 ans aux signataires, jusqu’au 21 septembre 2011 pour le cas de Madagascar, ce dernier a soumis aux Nations Unies un document d’une importance capitale pour le pays et ses voisins. Document apporté par Zina Randrianarivelo Razafy, ambassadeur de Madagascar auprès de l’ONU, en présence de M. Rajal, directeur adjoint de la division des Affaires maritimes et du Droit de la mer et secrétaire de la Commission de l’ONU des limites du plateau continental, il revendique la possession, par Madagascar, de certaines des îles éparses françaises dans le Canal de Mozambique et des îles occupées par les américains dans l’Océan Indien, dossier manifestement appuyé par l’île Maurice, le Mozambique et les Comores, qui sont eux aussi contre la présence de la France et des Etats-Unis dans la région. Souvenons-nous de la prise de position de l’île Maurice, des Comores et du Mozambique pour la Transition malgache actuelle. Andry Rajoelina a même été le seul président présent aux Comores pour installer Ikililou Dhoinine, le nouveau président des Grandes Comores, aux cotés de représentants diplomatiques étrangers dont les présences chinoise, qatarie et saoudienne ont été très remarquées.
Cette question des îles éparses sera examinée à partir du mois d’août au sein de la Commission de l’ONU des Limites du plateau continental et risque de s’ajouter aux questions qui maintiennent déjà Madagascar au milieu d’une tension sur les débats et les positions géopolitiques dans l’Océan Indien et en Afrique.
* Cet article a été publié par Archipel News Madagascar (http://archipelnews.blogspot.com/2011/06/geopolitique-ocean-indien.html)
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