Les intellectuels face à la construction de l'Union africaine

Il y a deux, le professeur Honorat Aguessy créait le Conseil mondial du panafricanisme. Une manière pour lui de porter encore plus le débat sur l’unité africaine dans les cercles intellectuels. Pour ce sociologue béninois, il est en effet d’une impérieuse nécessité de voir l’Afrique mettre en place les structures permettant de promouvoir ce commun devenir sans lequel le continent ne pourrait ni se stabiliser ni se développer. En cela, estime-t-il, il est important de voir les intellectuels s’engager dans un travail de sensibilisation des populations. Avec Pambazuka News, il a échangé sur cette vision d’avenir.

Pambazuka : Au cours de ces cinquante dernière années, il y a eu plusieurs tentatives d’unir les Etats africains, dont l’Organisation de l’Unité Africaine (Oua) créée en 1963, puis tout récemment, l’Union africaine (Ua). Pourquoi selon vous, ces différentes tentatives n’ont jusqu’ici pas abouti à la hauteur des espoirs ?

Honorat Aguessy : Je suis convaincu qu’il n’y a pas de salut pour l’Afrique et les Africains en dehors de l’unité. La création d’un gouvernement fédéral est un rêve, un idéal auquel nous aspirons tous. Je suis pour ma part convaincu que nous y parviendrons un jour, malgré les multiples obstacles qui se dressent devant nous aujourd’hui. J’ai consacré mon temps, mon énergie et beaucoup de mon argent à cet idéal, pour susciter une prise de conscience collective des Africains sur l’impérieuse nécessité de nous unir et faire face ensemble aux multiples défis qui nous interpellent.

C’est ce qui nous a poussés à créer, il y a quelques années, le Conseil mondial du panafricanisme (www.comopa.org), qui regroupe des intellectuels, des membres de la société civile et d’autres éminentes personnalités mus pour un seul but : l’avènement des Etats-Unis d’Afrique. Nous avons été au Sommet des chefs d’Etat et des gouvernements, tenu en juillet 2007 à Accra au Ghana, pour rencontrer les chefs d’Etat. A cette occasion, nous avons été très déçus par l’attitude négative de certains d’entre eux, qui ne semblaient nullement s’intéresser à l’avenir de ce contient comme cela se devait. Dieu merci, c’est déjà nettement mieux. Quelque vingt Etats se disent déjà prêts à former un Gouvernement de l’Union.

Pambazuka : N’est-il pas trop simple de toujours dire que l’Afrique ne peut se construire que dans cette unité, alors que les obstacles sont multiples ?

Honorat Aguessy : Nous ne dirons jamais assez que l’avenir de l’Afrique se trouve dans l’unité. Nous devons léguer aux générations à venir une Afrique unie et réconciliée avec elle-même. C’est ce qui permettra à ces jeunes d’aspirer à des lendemains qui chantent. Le professeur Cheikh Anta Diop avait raison, lorsqu’il déclara, un jour, à l’endroit des jeunes : «Si vous ne faites pas le panafricanisme, vous vivrez l’enfer sur cette terre». Je crois sincèrement, que la possibilité pour les jeunes d’aller où ils veulent sur le continent leur permettrait de s’épanouir dans un ensemble beaucoup plus vaste. Nous ne voulons pas que nos enfants vivent dans les mêmes conditions que nous qui avons connu la colonisation d’abord, puis une pseudo indépendance avec des Etats balkanisés. Nous devons coûte que coûte aboutir à l’unité continentale, pour épargner aux générations futures de nos enfants de vivre comme nous l’avons fait, à l’étroit dans des frontières étriquées.

Pambazuka : Quelle pourrait être la contribution des intellectuels africains, à la réalisation des Etats-Unis d’Afrique ?

Honorat Aguessy : Ce n’est pas pour rien que nous avons créé le Conseil mondial du panafricanisme. Nous l’avons créé, nous et d’autres intellectuels, comme contribution à la recherche de l’unité continentale. Contrairement à ce que laissent entendre certains, les intellectuels africains ne dorment pas. Ils réfléchissent depuis déjà plusieurs décennies, sur les moyens de parvenir à l‘union continentale. Le symposium de Dakar sur le panafricanisme (en juillet dernier) en est illustration. Il faut que chacune de ces occasions ainsi créées, soit une vraie opportunité pour la réalisation de cet idéal commun qu’est l’avènement des Etats-Unis d’Afrique. C’est en nous retrouvant de temps en temps pour réfléchir ensemble, que nous parviendrons à construire l’unité continentale.

Nous devons faire de sorte que les gens sachent que la mise en place d’un gouvernement d’Union à l’échelle continentale n’est pas une utopie, ni un balbutiement, mais la condition sine qua non pour que l’Afrique aille de l’avant. C’est ça l’essentiel. C’est ce genre de rencontre qui nous permettra d’avoir beaucoup plus de personnes un peu partout à travers le continent, capables de conscientiser les peuples sur la nécessité de parvenir, dans les meilleurs délais, à l’unité sacrée du continent. Ces mêmes relais peuvent aussi jouer un rôle particulièrement important dans la sensibilisation d’autres personnes qui, de par le monde, ont quelque raison de s’intéresser à l’Afrique.

Pambazuka : Quels rôles doit alors jouer la diaspora africaine, dans le processus de création de ces Etats-Unis d’Afrique ?

Honorat Aguessy : L’Afrique est constituée des citoyens résidants et ceux de la diaspora. Les premiers vivent en permanence sur le continent tandis que les seconds relèvent de la dispersion des fils d’Afrique un peu partout à travers le monde. Soit par fait de la traite négrière, soit par l’esclavage ou alors par le phénomène d’émigrations. Les peuples de la diaspora regorgent d’éminentes personnalités qui sont pour la plupart, fortement attachées à l’Afrique malgré leur éloignement du continent. Ils participent de la plus belle manière à la conscientisation du monde sur l’éthique qui doit guider notre démarche dans la réalisation des Etats-Unis d’Afrique. Nous sommes condamnés aujourd’hui à travailler ensemble avec cette diaspora.

L’Afrique et sa diaspora comptent actuellement près de 1,4 milliard de personnes. La diaspora africaine est fortement implantée un peu partout à travers le monde, notamment dans les Antilles comme en Jamaïque, à Sainte Lucie, Cuba, en Haïti, à Trinidad et Tobago, en Guyane, aux Etats-Unis, au Brésil, en Equateur, en République Dominicaine, etc. Nous ne pouvons pas les abandonner là où ils sont, parce que ce sont nos frères et sœurs. Quel que soit l’endroit où ils se trouvent, ces frères et sœurs continuent de vivre avec les valeurs africaines. Ceci prouve à suffisance, que nous sommes un seul et même peuple. Ils s’intéressent donc, à tout ce qui se passe sur le continent. Nous ne pouvons dès lors, pour rien au monde, les abandonner à leur sort. Nous ne serons, pour cela, jamais assez reconnaissants aux chefs d’Etat qui ont décidé de faire de la diaspora la sixième région de l’Afrique.

Pambazuka : Croyez-vous que l’élection de Barack Obama pourrait contribuer un peu plus aujourd’hui, à la prise de conscience collective des Africains ?

Honorat Aguessy : C’est promoteur. Cette élection d’un Noir à la tête du pays le plus riche du monde va contribuer à la transmutation du monde. Mais pour que ce changement arrive conformément à la conjoncture qui est plus que jamais favorable, il faudrait que les Etats-Unis d’Afrique voient aussi le jour. C’est l’ensemble de tous ces concours de circonstance qui vont l’appuyer et lui permettre de réaliser quelque chose de prodigieux dans le monde.

Pambazuka : Quels effets immédiats verriez-vous dans la création des Etats-Unis d’Afrique ?

Cela permettrait d’abord de remédier aux conflits cycliques qui secouent le continent depuis les indépendances dans les années 1960. La création d’un gouvernement continental peut contribuer à mettre fin à ce prétendu principe de pseudo-souveraineté qu’utilisent certaines personnes malintentionnées, pour perpétrer des actes inqualifiables à l’intérieur ou à l’extérieur de leurs frontières. Je crois que l’existence d’une armée continentale, par exemple, peut avoir un effet dissuasif. Les gens réfléchiraient plus d’une fois, avant de prendre les armes contre un régime au pouvoir ou contre un pays frère. Cela pourrait réduire les conflits fratricides entre Etats voisins, les guerres civiles à l’intérieur d’un même pays et les coups d’Etats, entre autres. A partir du moment où les gens savent qu’ils ne pourraient plus bénéficier de complicité sur place, que d’autres armées mieux équipées et plus entraînées viendraient les déloger pour rétablir la légalité constitutionnelle, il n’y aurait plus de guerres.

* Professeur Honorat Aguessy est président de l’Institut de développement et d’échanges endogènes et président du Conseil mondial du panafricanisme. Ses propos ont été recueillis par Mamadou Aliou Diallo

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