href="http://commons.wikimedia.org/wiki/File:South_Africa_municipalities_by_la...">cc Wikimedia[/url">Une solidarité transversale qui enjambe les divisions ethniques, régionales et politiques est l’ultime contrepoids du tribalisme en Afrique du Sud
Une nouvelle vague de tribalisme menace de défaire la démocratie naissante en Afrique du Sud, de détruire le développement économique et de donner libre cours à une violence ethnique dévastatrice, à moins que des mesures décisives ne soient prises. Cette apparente résurgence du tribalisme en Afrique du Sud semble alimentée par un nombre de facteurs. Le leadership politique à la tête de l’Afrique du Sud a été lamentable. Le sentiment s’est installé que pour réussir dans ce pays, que ce soit pour un emploi ou un appel d’offres dans le secteur public et privé, l’élément déterminant est qui l’on connaît plus que ses propres compétences.
L’Afrique du Sud semble être devenue une société basée sur le patronage, ce qui alimente le tribalisme plutôt qu’une société basée sur le mérite. Le cadre politique de l’ANC pour l’emploi s’est, dans certains cas, horriblement fourvoyé et a été utilisé à des fins opportunistes, tribales ou de factions. Les dirigeants emploient parfois pour des positions clés au niveau gouvernemental et dans les entreprises, des amis et des alliés provenant de leur propre région ou communauté ethnique, plutôt que des personnes selon leurs talents et compétences.
La corruption rampante du secteur public, des services publics qui laissent à désirer et des fonctionnaires irresponsables ont aussi conduit la population à manquer de confiance ou à dire que la seule façon d’obtenir un service réside dans la sollicitation de l’intervention de leurs compatriotes de même ethnie qui sont des membres importants de l’ANC ou occupent des postes gouvernementaux.
L’opinion est fermement ancrée qu’au cours de sa présidence Jacob Zuma ne s’occupe que des "siens", qu’il n’utilise pas tous les talents disponibles à l’intérieur de l’ANC, pour ne rien dire de toute l’Afrique du Sud. Ce qui est pourtant indispensable pour créer de la richesse pour tous plutôt que seulement pour quelques uns.
D’aucuns ont récemment murmuré qu’il y avait une "zouloufication" des nominations, en raison du sentiment que le président nomme principalement à des postes-clés - en particulier dans les services de sécurité - des individus provenant du KwaZulu Natal. Le silence de Zuma au cours de sa campagne pour destituer l’ancien président Thabo Mbeki à la tête de l’ANC, lorsque certains de ses supporters "portaient 100% Zoulou" a créé l’impression que le président approuve la politique centrée sur le patronage ethnique.
Il est regrettable que certains individus commencent à présenter ce qui devrait être des différences purement politiques comme des différences "ethniques". Il apparaît que certains membres de l’ANC du KwaZulu Natal, bien que mécontents de la présidence de Zuma, serreront les rangs et soutiendront sa réélection en disant simplement il est "un des nôtres" plutôt qu’en raison de ses talents et de ses prestations. Il semble qu’ils considèrent que de ne pas voter pour Zuma en décembre 2012, à la conférence nationale à Manguang de l’ANC, serait une "trahison" à l’endroit de "leur" communauté.
Sous la présidence de Thabo Mbeki, ceux qui avaient été écartés de postes dans l’ANC ou du gouvernementaux l’accusaient de "xhosa nostra", parce que l’on pensait qu’il ne s’entourait que de personnalités provenant de l’Est du Cap. Bien que Mbeki critiquait sévèrement le tribalisme étroit, il n’était pas vu comme traduisant ce sentiment anti-tribal par la nomination dans des fonctions publiques de personnalité provenant d’une large représentation des communautés.
Il y a un vrai danger que les élections provinciales et régionales internes de l’ANC, dans certaines provinces où les ethnies sont diverses, deviennent une votation ethnique, avec les gens votant pour "leur" propre groupe ethnique afin d’obtenir des services pour "leur" groupe compte tenu du fait qu’ils estiment que le gouvernement ne fournit rien. Les comités d’emploi et service de l’ANC seraient contrôlés par les factions "ethniques" et les appels d’offres seraient attribués selon les mêmes critères. L’autre danger est que, lors de la conférence nationale de l’ANC en 2012, à Manguang, l’on voit apparaître des camps ethniques, avec des gens qui votent pour des dirigeants selon des lignes ethniques, considérant que de mettre quelqu’un de "son" groupe dans le leadership de l’ANC est la seule façon d’obtenir le patronage, les services publics et les nominations au gouvernement pour "leur communauté".
Le tribalisme peut maintenant aussi être vu dans le secteur privé. Il apparaît que certains business (blancs) - dans le secteur anglophone sud africain blanc - donne la préférence à "leur" communauté, en particulier à ceux qui ont fréquenté les mêmes écoles et universités. Dans certains cas, il semble que les business des Afrikaners favorisent aussi "leur" communauté. Il en va de même pour les Sud Africains d’origine indienne. Certains Sud Africains de "couleur" disent qu’ils sont marginalisés parce que ils ne sont pas "assez" noirs
Dans certaines régions dans la province du Limpopo et dans la province du North West, en particulier dans le secteur minier, il a été rapporté que certaines personnes locales disent que seule "leur" communauté tribale devrait profiter des accords. Il y a des allégations que dans certaines parties du pays un contrat, qui fait suite à un appel d’offres, ou un accord commercial ne sera pas approuvé à moins que le chef local ou le roi n’ait sa part du gâteau. Le service civil, dans certains gouvernements provinciaux, ressemble à des bantoustans en raison de leur composition ethnique. Dans certaines parties à l’Est du Cap, d’aucuns avancent que seul les ressortissants locaux devraient obtenir de l’emploi dans le secteur public. Malheureusement, ce schéma de système de patronage de bantoustan dans le domaine des nominations et de l’octroi des contrats dans le secteur public semble se reproduire dans tout le pays.
Il est des cas où des Sud Africains blancs ont rejoint les rangs de l’ANC, spécifiquement parce qu’ils craignaient que leurs talents soient totalement ignorés et, qu’en étant membre de l’ANC, ils avaient de meilleures chances d’être nommés à des postes gouvernementaux importants. Certains hommes d’affaire ont rejoint l’ANC Business Forum pour les mêmes raisons, compte tenu du fait qu’ils s’estiment être en dehors du groupe "ethnique" favori. D’autres hommes d’affaire blancs semblent nommer dans leur conseil d’administration et leur direction, comme garantie de sécurité, des Noirs qui ont de bonne connexion politique avec le "bon" groupe.
Ces actions semblent être des mécanismes de protection dans une situation dans laquelle les Sud Africains blancs, d’origine indienne, ou de couleur ont le sentiment que l’Etat ne se préoccupe que des Noirs. Il est ironique que de nombreux Noirs, que l’Etat est supposé favoriser, se sentent aussi marginalisés. Certains de ces marginalisés supposés blâment leur "mauvaise" affiliation tribale.
La tragique histoire de l’Afrique depuis l’indépendance est que presque tous les mouvements de libération et d’indépendance qui sont parvenus au pouvoir n’ont permis qu’à une petite fraction de profiter de la fin de la colonisation et du règne de la minorité blanche. Malheureusement, la plupart de ceux qui se sont enrichis après l’indépendance ont été ceux qui avaient des connexions avec les dirigeants, les factions, les familles, les régions ou les groupes ethniques dominants de ces mouvements d’indépendance.
Le bénéfice des subventions ethniques sera toujours à court terme. Pourtant les conséquences sur la santé de la société en général seront pernicieuses. Les pays en voie de développement qui ont réussi depuis la Deuxième Guerre Mondiale, particulièrement ceux de l’Est asiatique, doivent leur réussite à l’implication d’une large palette de population, pas seulement à un groupe ethnique ou à une élite. Ces pays en voie de développement, où seul une petite élite, basée sur l’ethnie ou la religion ou une faction politique, sont devenus prospères mais ont stagné en tant que pays, sont devenus corrompus et même se sont parfois désindustrialisés. Même la reconstruction de l’Europe occidentale au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale avait pour prémisse un contrat social qui voulait sortir tout le monde la pauvreté en même temps et pas juste quelques heureux élus "ethniques". C’est en fait le fondement de l’Etat Providence d’Europe occidentale : chacun dans la société doit être protégé peu importe son affiliation ethnique ou politique.
Le colonialisme et l’Apartheid ont légué à l’Afrique du Sud une société ethniquement diverse qui nécessitera toujours un leadership sage capable de former une société inclusive. Dans une société ethniquement diverse, la base de gouvernance doit être la sortie collective de la pauvreté, peu importe l’ethnie, la religion, la langue.
Les nominations doivent être basées sur un mérite raisonnable, non influencées par les préjugés raciaux et doivent être vues comme étant équitables. La base de la politique de l’emploi de l’ANC doit être la "chasse" aux meilleurs talents dans toute l’Afrique du Sud – et à l’extérieur- qui seraient passés inaperçus.
Des services publics performants qui doivent des comptes, des dirigeants responsables au service de chacun, et sont ainsi perçus, des politiques et leurs implantations qui visent à sortir le maximum de monde de la pauvreté, quelle que soit l’ethnicité, la couleur ou l’affiliation politique, l’utilisation de tous les talents d’Afrique du Sud, sont les meilleures garanties contre le tribalisme.
Enfin, la constitution et les institutions démocratiques sont le ciment qui lie les diverses communautés sud-africaines. Les attaques contre la Constitution et des institutions démocratiques, leurs manipulations et les nominations pour celles-ci basées sur des considérations politiques, ethniques ou régionales étroites ne font qu’encourager la population à se réfugier dans un tribalisme protecteur.
Au final, la solidarité qui enjambe toutes les divisions ethniques, régionales et politiques, ce qui signifie que la justice sociale est le fondement de la gouvernance, est le bastion ultime contre le tribalisme.
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** William Gumede est professeur honoraire associé à la Graduate School of Public and development management, à l’université de Witwatersrand à Johannesburg et l’auteur du succès de librairie "Thabo Mbeki and the battle for the soul of the ANC"
Traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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