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http://www.pambazuka.org/images/articles/43fr/46415gay.jpgJamais l’homosexualité n’a constitué un débat aussi vif au Sénégal. Des positions violentes se sont élevées pour appeler à la lapidation, voire au meurtre d’homosexuels, après que la presse a eu à publier les photos d’un mariage présumé célébré dans ce milieu. Ce n’est pas la première fois que l’homophobie se manifeste dans ce pays. Par contre son ampleur est inédite, du fait que pendant une dizaine de jours l’événement a ainsi fait les gros titres des médias. Autre fait inédit : l’implication de plusieurs organisations de défense de Droits de l’homme, généralement en marge d’un tel débat, qui ont assumé des appels au respect des droits et libertés pour les homosexuels, allant jusqu’à exiger la dépénalisation de l’homosexualité.

L’affaire éclate en début février 2008. Suite à la publication, par un magazine sénégalais, de photos d’un mariage entre homosexuels, qui se serait déroulé un an plus tôt, les médias s’emparent de l’histoire. Mais les développements ne se limitent pas aux colonnes des journaux et aux émissions des radios et télé. En effet, la police intervient et procède, dans la nuit du 2 au 3 février, à l’interpellation de cinq personnes présumées coupables de faits «contre nature». Toutes ont été identifiées sur les photos prises lors de la cérémonie de mariage et publiées dans la presse. Le 6 février, la police procède à leur libération après plusieurs jours d’enquête. Mais le dossier n’est pas encore clos.

Les charges qui pèsent sur les homosexuels, et pourraient les amener à en répondre devant la justice, tiennent au fait que l’acte homosexuel constitue un délit puni par le Code pénal sénégalais. Les peines peuvent aller jusqu’à 5 ans d’emprisonnement, en plus de 100 000 F (environ 150 euros) à 1 500 000 F Cfa (environ 2 200 euros) d’amende. Pour l’opinion publique en général, il fallait une application rigoureuse de la loi. Une position dont les médias se sont largement fait les échos, en plus des commentaires indignés des journalistes eux-mêmes. Dans un pays à 95% musulman, pour 5 % de chrétiens, les autorités étaient ainsi invitées à se montrer fermes pour condamner, voire éradiquer l’homosexualité.

Dans ce contexte d’homophobie quasi généralisée, l’élargissement des cinq personnes interpellées a entraîné un déchaînement de passions plus vives encore. Dans la presse, on pouvait lire : «Cette libération, c’est de la provocation. Ceux qui sont à la base de cette libération sont de connivence avec les homosexuels. Mais il n’y a pas de place dans ce pays pour l’homosexualité». Ou encore : «Dieu a fait tomber la malédiction sur le peuple de Loth qui s’adonnait à cette pratique. Et la colère de Dieu ne se limite pas aux seuls fautifs». Un autre ajoute : «La libération des homosexuels peut avoir des répercussions dangereuses pour la société. L’homosexualité a toujours existé dans notre société, mais avant elle n’avait pas une telle ampleur». D’autres sont allés plus loin dans leurs jugements, pour lancer des appels au meurtre à travers les ondes des radios qui ont organisé des débats sur la question.

Parmi les positions les plus dures, figurent celle d’un leader religieux musulman, député à l’Assemblée nationale et responsable d’un parti politique, M. Mbaye Niang. Le vendredi 15 février, il se propose d’organiser une marche pour dénoncer l’homosexualité et la libération des homosexuels. Ces derniers jours, il a entrepris une tournée auprès de différentes familles religieuses pour les en informer et recueillir leur soutien. Déjà, le vendredi 8 février, recommandation avait été faite aux imams de consacrer leurs sermons pour la prière à l’homosexualité et à la dépravation des mœurs.

Dans sa croisade, M. Niang interpelle les autorités qu’il accuse de laxisme pour avoir libéré les homosexuels, mais aussi pour avoir affiché un silence total sur cette affaire. Il se propose même d’aborder la question au niveau de l’Assemblée nationale. Pour l’heure, le sujet semble gênant pour les autorités qui ne sont jamais prononcées sur cette affaire. Ce sont plutôt des organisations de la société civile qui sont montées au créneau, pour aller à contre-courant de l’opinion publique.

Le premier à s’élever contre l’homophobie généralisée est M. Malick Ndiaye, sociologue, enseignant à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Il dirige aussi le Cercle des intellectuels du Sénégal, une structure qui s’implique dans tous les débats émergeant au sein de la société sénégalaise. Intervenant sur une des principales radios de Dakar, M. Ndiaye s’est élevé, dès le début des interpellations, contre les propos violents et la stigmatisation des homosexuels. Pour lui, au-delà des convictions personnes qu’on peut avoir, il importe de respecter les orientations sexuelles des autres, pour autant que cela relève de leur vie privée. Cette intervention lui a valu des commentaires indignés et des attaques verbales dans les médias.

L’indignation est devenue plus vive, quand des organisations françaises comme Sidaction, Act up et Aides ont publié un communiqué, le 5 février, pour s’élever contre les interpellations des homosexuels et les menaces proférés à leur endroit. Allant plus loin qu’un appel au respect des Droits de l’homme, ces activistes, dénonçaient une hypocrisie de la part du gouvernement sénégalais qui fait de l’homosexualité affichée un délit, alors qu’il finance un programme de lutte contre le sida destiné à ce groupe vulnérable.

Cette sortie des organisations françaises a eu pour effet de braquer l’opinion publique sénégalaise sur une «internationale de l’homosexualité» qui défend ses représentants locaux et par la même occasion renforcer les opinions selon lesquelles les personnes interpellées bénéficient de protection en haut lieu. Mais leur intervention semble avoir servi de déclic au sein la société civile sénégalaise. Le 6 février, au lendemain de la libération des homosexuels, et alors que les appels à la lapidation se faisaient plus forts dans les médias, la Rencontre africaine pour la défense des Droits de l’homme (Raddho) a publié un communiqué pour dire «non à l’homophobie, oui à la tolérance». Elle mettait aussi l’accent sur «une hypocrisie de la société» sénégalaise, violemment braquée contre des orientations sexuelles qu’elle «a toujours tolérées». La Raddho fondait son argumentaire sur la Déclaration de Durban et la Déclaration universelle des Droits de l’homme, et insistait sur le fait, pour le Sénégal, de se conformer aux législations internationales. La Raddho soulignait aussi la responsabilité des journalistes, les appelant à «faire preuve de discernement» et de bannir les «articles suscitant la haine, l’homophobie et l’intorlérance».

Dans la foulée, un communiqué conjoint signé par la Fédération internationale des ligues des Droits de l’homme, la Raddho, l’Union interafricaine des Droits de l’homme, Amnesty International Sénégal, l’Association internationale gay et lesbienne, entre autres, interpellait à nouveau les autorités sénégalaises. La déclaration leur demande «d’assurer le respect de l’intégrité physique et morale des personnes mises en cause dans cette affaire et plus généralement de condamner avec la plus grande fermeté les actes homophobes susceptibles de porter atteinte à l’intégrité physique et morale des personnes homosexuels».

Cet appel s’accompagne d’une exigence pour la dépénalisation de l’homosexualité. Cette requête, un avocat sénégalais l’a renforcée en soutenant que la Constitution du pays s’inscrit dans une telle dynamique, quand elle souligne, dans son article 7, alinéa 2, que «chaque individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité, au libre développement de sa personne». Cette référence au «libre développement» de la personne couvre, selon lui, les orientations sexuelles que peut avoir l’individu.

Par contre, l’affaire n’a pas encore fait réagir la communauté anti-sida du Sénégal. Aussi bien le Conseil national de lutte contre le sida que la société civile qui s’active dans la réponse à l’épidémie. Cependant, on apprend que des réunions ont été organisées dans ce milieu pour étudier les voies et moyens de mieux «gérer les impacts possibles» de cette affaire. Car si le Sénégal est cité comme un exemple en matière de lutte contre le Vih et le sida, c’est, entre autres, en raison de la prise en charge qui se développe à l’endroit des groupes vulnérables. Parmi eux, les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes. Or si le taux de prévalence affiché au Sénégal est de 0,7%, les chiffres se montent à 21,5 % dans ce milieu, selon une enquête menée en 2004 dans trois régions sur onze. Les études ont aussi montré qu’il s’agit d’un groupe passerelle, à cause de la bisexualité qui fait qu’il ne s’agit pas d’un groupe ferme sur lui même, mais bien en relation avec la communauté.

Or, dans les dénonciations qui ont été faites de l’homosexualité, certains n’ont pas manqué de s’élever contre le fait que le gouvernement finance la prise en charge de ce groupe, dans le cadre de la lutte contre le sida. La crainte, pour les acteurs de la réponse à l’épidémie, est de voir à nouveau s’installer une relation homosexualité = sida. Une telle issue porterait un coup au programme anti-sida du Sénégal, dont l’une des forces est d’avoir pu impliquer les autorités religieuses dans la sensibilisation et la mobilisation pour les changements de comportement.

Au-delà des libertés individuelles et des préceptes religieux qui s’affrontent autour de cette affaire de mariage homosexuel, cet enjeu santé publique lié au sida est important. Mais il passe encore au second plan.

* Tidiane Kassé est rédacteur en chef intérimaire de la version française de Pambazuka News.

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