Le Kenya se réveille en prenant conscience de sa nouvelle constitution, votée le 5 août dernier. Jill Cottrell Ghai et Yash Pal Ghai mettent alors en garde la société kenyane contre le silence de la complaisance qui pourrait obstruer le chemin vers une gouvernance démocratique et transparente. L’engagement des mouvements et organisations de la société civile à même de garantir l’application universelle de la Constitution garantira du même coup sa survie et fera respecter les droits et responsabilités qui y sont contenus pour le bénéfice des Kenyans, soulignent-ils.
Les médias se comportent comme si Mwai Kibaki et Raila Odinga avaient gagné et William Ruto et John Njue perdu. Comme ils l’ont clairement manifesté au cours de la campagne pour le référendum sur la nouvelle Constitution du Kenya, voté le 5 août dernier, les médias sont obsédés par les politiciens et ont laissé dans l’ombre tout l’immense travail opéré par la société civile. L’idée et la lutte pour le référendum proviennent de la société civile, pendant que les politiciens procédaient à leurs petits arrangements pour saboter la réforme.
Dans leurs analyses, les médias ont ignoré ces efforts admirables de la société civile pour éduquer la population sur les questions constitutionnelles. Or, il est peu probable que la Constitution sera appliquée de façon conséquente sans un engagement soutenu de la société civile. Il est bien compréhensible que jusque-là l’attention se soit concentrée sur les aspects officiels de l’application : les disposition constitutionnelles de la transition, le calendrier des nouvelles législations et la commission d’application. Toutefois, il est indispensable que la population s’implique dans l’application, en accord avec l’esprit de la Constitution qui prévoit la participation du peuple dans les affaires publiques.
Une Constitution souligne la participation de la population comme étant d’une valeur cardinale et s’efforce de la l’encourager de différentes façons : par la promotion du droit à l’information en provenance du gouvernement, l’encouragement à s’engager dans le processus législatif, les procès dans l’intérêt du public, la promotion de pétition formelle pour changer la Constitution ou la législation, la destitution d’un député et la protection du droit d’association, le droit de manifester et la liberté des médias.
La Constitution considère les Kenyans, non comme des gens passifs qui vont voter tous les cinq ans et retourner dormir, mais bien comme des citoyens actifs et engagés qui contribuent aux politiques et demandent des comptes aux différents niveaux gouvernementaux. L’élément central de l’application de la Constitution est de garantir, au travers de la pression du public, que les organismes d’Etat respectent et appliquent la loi scrupuleusement. Suite au grand débat sur la jurisprudence qui, nous l’espérons, aura lieu dans le cadre de la nouvelle Cour Suprême, avec de nouvelles procédures et suite aux jugements éclairés de la Cour, les articles et la valeur de la Constitution seront développés et assimilés par le gouvernement et la population.
La Constitution ne prévoit pas que les relations entre les citoyens et l’Etat soient nécessairement hostiles. Elle prévoit plutôt la coopération dans la poursuite des valeurs nationales. Ainsi elle facilite pour les personnes et organisations à l’esprit citoyen, l’accès aux tribunaux où peuvent se dénoncer les lois et politiques qui violent les droits des individus ou des communautés. La Constitution est une sorte de super éducation civique qui explique les objectifs et les responsabilités de l’Etat et la nécessité d’une intégrité dans la vie publique. Elle stipule aussi l’obligation de l’Etat à rendre des comptes à la population. La Constitution ne s’adresse pas exclusivement aux gouvernants. Elle s’adresse aussi au peuple, lui imposant des obligations comme de construire une nation unie basée sur la démocratie et l’autorité de la loi, les Droits de l’Homme et la dignité, la justice sociale, le partage du pouvoir et la participation du peuple.
Notre histoire nous montre que ces valeurs et objectifs ne peuvent être atteints à moins que le peuple prenne la responsabilité pour le fonctionnement d’une société plus juste et démocratique. C’est à cet égard que les organisations de la société civile de toute obédience peuvent jouer un rôle crucial. La société civile va au-delà des organismes traditionnels des Droits de l’Homme que l’ancien président Daniel Arap Moi tournait en dérision et s’efforçait de restreindre. Sans aucun doute, ces organismes joueront un rôle plus important à l’avenir compte tenu du fait que l’éventail des droits humains a été étendu pour inclure les droits socioéconomiques.
Ces organisations se sont spécialisées. Certaines se sont engagés en faveur des droits socioéconomiques et d’autres en faveur de la liberté d’information, d’autres encore dans les droits des minorités, dans les questions de l’égalité des genres, du droit de l’enfant, des personnes invalides, etc. La plupart se sont concentrés sur des actions positives, y compris des démarches pour l’inclusion dans la sphère publique. La Constitution prend tous ces éléments en compte dans le but de leur réalisation. Les moyens du gouvernement étant limités, les organisations de la société civile peuvent fournir une assistance d’une valeur inestimable.
Mais il y a d’autres groupes dans la société civile. The Association of Professional Societies in East Africa (APSEA) a joué un rôle utile en informant et en sensibilisation ses nombreux membres aux multiples défis auxquels la nouvelle Constitution doit faire face, pour les aider à jouer un rôle constructif. Les organisations commerciales ont étudié et endossé la Constitution et doivent maintenant jouer leur partition afin d’atteindre ses buts, en particulier en combattant la corruption dont certains de ses membres s’étaient fait complices.
Dans de nombreux pays, les syndicats ont joué un rôle crucial dans le soutien à la Constitution au travers d’un travail politique et économique qui manque au Kenya depuis l’indépendance. Le Kenya Land Alliance (KLA) a fait un travail important sur la question des terres qui requiert maintenant une attention soutenue, du fait qu’elle devra être traitée suivant une nouvelle législation. A un moment où le gouvernement et le Parlement développent de nouvelles politiques sur la dévolution du pouvoir, la décentralisation et le partage équitable des finances et autres ressources, plusieurs centres de recherche seront nécessaires.
Il est important que la relation entre l’Etat et la société ne devienne pas si intime et confortable, au point que la société civile y perde son autonomie et devienne une alliée de l’Etat dans la négation des aspirations de la population et de la valeur de la Constitution. On espère que les deux parties ont retenu la leçon des effets négatifs de la collaboration établie après les élections de 2002. Les organisations de la société civile doivent abandonner les hôtels 5 étoiles et s’aventurer là où le savoir et l’aide sont les plus nécessaires : les petites villes et les régions rurales, là où les gens ont peu accès aux débats constitutionnels et au texte lui-même.
Une assistance financière, entre autres, doit être accordée aux organisations locales comme Bunge la Mwanaanchi. Le harcèlement dont celle-ci a été la cible doit prendre fin immédiatement. Les perspectives pour un gouvernement démocratique qui rende des comptes sont compromises dès lors que la grande majorité de la population ne comprend pas la Constitution, les droits elle leur octroie ou les mécanismes qu’elle met à leur disposition pour demander des comptes à leurs députés.
La société civile doit promouvoir deux objectifs principaux de la Constitution : favoriser l’intégration nationale de toutes les tribus et races et la lutte contre la corruption. Sur le premier point, la société civile a joué un rôle très positif, en particulier le Kikuyus for change et le Kenyan Asia Forum qui ont aidé les communautés ciblées à redéfinir leur place dans le grand ensemble, ce que la Constitution nomme le patriotisme kényan.
* Jill Cottrell Ghai est la co-rédactrice de Marginalised Communities et access to Justice
* Yash Ghai est professeur de droit constitutionnel. Il est le chef de la Constitution advisory support unit du PNUD au Népal et Représentant Spécial du Secrétaire Général des Nations Unies pour la question des Droits de l’Homme au Cambodge
* Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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