La nouvelle Constitution est la première d’essence locale. Yash Ghai et Jill Cottrell Ghai examinent les défis liés à son application et l’importance qu’il y a pour le peuple kényan de ‘’proclamer sa souveraineté’’ au travers d’une constitution élaborée par le peuple pour le peuple.
(…) Le propos de cet article n’est pas d’examiner les voies de transition entre l’ancienne et la nouvelle constitution kenyane et l’application de cette dernière, bien que celles-ci soient cruciales. Plus cruciaux encore sont les processus sociaux et politiques, l’interaction entre les intérêts économiques, sociaux et idéologiques qui influent et souvent déterminent l’impact des constitutions. L’élaboration de la Constitution proposée (CP) a requis un effort considérable afin que ses valeurs et structures s’imposent d’elles-mêmes à l’Etat et à la société, avec une attention marquée pour l’application et les remèdes. Toutefois, la logique et la dynamique internes de la Constitution vont être en compétition avec des forces sociales puissantes, les plus importantes d’entre elles ne pourraient n’avoir que peu de respect pour ses valeurs.
Cadre théorique
C’est une chose d’élaborer une constitution. C’en est une autre de lui insuffler la vie pour en faire un document vibrant qui influe et, on l’espère, améliore la vie des gens dans leur quotidien, gouverne et contrôle l’exercice du pouvoir par l’Etat et qui promeut les valeurs et aspirations qui y sont exprimées. Le devenir d’une Constitution est facteur de nombreux éléments : les personnalités et les élites, les partis politiques et autres organisations, les structures sociales, les changements économiques, une tradition du constitutionalisme ainsi que des règles et institutions prévues par la Constitution elle-même.
Les constitutions plus anciennes ont été des instruments de pouvoir exercé par une communauté, un classe sociale ou une région. La constitution reconnaissait la domination par ce groupe et a fourni la base légale pour sa domination sans toutefois la créer, celle-ci étant ancrée dans les sphères sociale et économique. Dans ces circonstances, la constitution a été un instrument de gouvernance.
Beaucoup de Constitutions récentes sont le résultat d’une impasse résultant de l’impossibilité d’un des groupes en compétition de remporter une victoire claire. Ce déséquilibre se reflète souvent dans la Constitution. Certaines Constitutions sont des trêves, les problèmes fondamentaux restant sans solution. Des cadres de référence favorisant la collaboration des parties en compétition sont établis (comme notre grande coalition). Certaines constitutions ont vu le jour sous une pression extérieure considérable, souvent en tandem avec les principaux agents de la société civile. Une situation politique plus souple qui permet une participation massive au processus d’élaboration de la Constitution aboutit à un phénomène curieux : l’imposition à la classe dirigeante d’une Constitution par des groupes relativement faibles et manquant d’organisation. Mais l’absence d’un groupe dominant qui s’engage en faveur de la Constitution rend son application problématique.
Les Constitutions plus anciennes se préoccupaient principalement du système de gouvernement, établissaient les principales institutions de l’Etat, distribuaient des fonctions et le pouvoir propre à chacune et édictaient des règles fondamentales concernant les relations entre elles. Elles ne cherchaient pas explicitement à changer la société. Les Constitutions d’aujourd’hui s’efforcent de résoudre les problèmes sociaux et politiques : elles demandent des comptes, s’en prennent à la corruption, à la pauvreté, demandent le respect de l’environnement et une distribution équitable de la propriété et d’autres ressources, la reconnaissance d’identités multiples ainsi que la démocratisation de l’organisation des partis politiques et des processus. Dans des sociétés multiethniques, les Constitutions doivent aussi prendre en compte les relations entre les groupes ethniques, linguistiques et religieux et des relations entre ces groupes et l’Etat.
Le principal obstacle à l’application d’une telle Constitution dans un pays comme le Kenya réside dans le fait que l’Etat est la source première du pouvoir et de la richesse dans la société ; la corruption étant le moyen principal pour l’accumulation de richesse.
Un des aspects essentiels de la Constitution Proposée est la sauvegarde des ressources publiques, la protection contre le pillage. Dès lors, la seule façon pour la classe dirigeante d’atteindre ses objectifs est de violer systématiquement la Constitution, profitant de l’impunité dont elle jouit grâce à notre système légal. Compte tenu que dans certaines régions l’Etat est très dominant - un héritage durable du colonialisme - il s’agit de savoir si ceux qui sont engagés en faveur de la réforme de l’Etat pourront imposer la discipline de la Constitution à la classe dirigeante, le principal bénéficiaire de l’Etat.
Bien que les politiciens et les fonctionnaires semblent se battre entre eux - comme lors de la campagne pour le référendum - il n’en sont pas moins liés par des intérêts de caste et vont résister collectivement aux réformes. La résilience des traditions sociales, idéologiques et institutionnelles est un obstacle majeur aux réformes sociales progressives et au changement.
Des entrepreneurs dans le domaine de l’économie, dont on pourrait attendre qu’ils favorisent le constitutionalisme comme cadre de référence du marché, recherchent toujours les faveurs de l’Etat et acquiescent, sinon promeuvent, l’Etat avide.
La viabilité et la réussite de la Constitution présupposent le constitutionalisme, la foi en ses compétences pour la limitation du pouvoir et l’autorité de la loi mise en pratique avec l’accent mis sur les règles et leur application. Paradoxalement, des pays comme le Kenya, qui essaient d’utiliser la Constitution comme instrument de changement social, sont dépourvus des traditions dans lesquelles s’enracinent ces idéologies. Cette situation est encore aggravée par l’ignorance du rôle et du contenu de la Constitution par ceux qui devraient en bénéficier et profiter de son respect et de son application.
Les préconditions de la réalisation.
L’Etat kenyan est né dans violence et a été maintenu par la violence. Sa fonction a été le pillage de son peuple et de ses ressources. L’ambition de la Constitution est de transformer l’Etat en un service au peuple et de forger une identité et une loyauté communes, dépassant aussi bien la corruption que l’ethnicité. Elle doit survivre sur la base de sa légitimité et non sur la base d’une quelconque coercition.
Une des préconditions urgentes pour la réalisation de ces objectifs consiste à mettre un terme à l’impunité et, à cette fin, un système judiciaire compétent, indépendant et engagé est essentiel. Une autre précondition réside dans la réforme des partis politiques. Les dispositions de la législation actuelle ont été systématiquement violées par les dirigeants actuels et leurs partisans. Mais par-dessus tout, nous devons arrêter de considérer la politique comme étant la chasse gardée des millionnaires afin d’en faire le droit de naissance de tous les citoyens.
La nouvelle Constitution est faite par le peuple, pour le peuple. Elle est centrée sur le peuple et le premier article proclame sa souveraineté à la différence de La précédente Constitution qui octroie la souveraineté au président. Toutefois, pour que la Constitution puisse aboutir, il est une précondition essentielle qui est que le peuple s’érige en gardien de cette Constitution, leur Constitution Après le référendum, il doit rester engagé avec une vigueur renouvelée dans la politique constitutionnelle. Il doit utiliser les nombreuses opportunités de participation offertes par la Constitution à différents niveaux de l’Etat afin de faire progresser la lutte contre la corruption et contre la pauvreté envahissante. Il doit dépasser les politiques ethniques fabriquées par les politiciens qui servent à occulter les mécanismes et l’immoralité du pillage. Il doit s’accrocher à la vision d’un Kenya qu’il aura contribué à forger au cours de nombreuses réunions et requêtes au fil du temps, la vision d’une société démocratique et bienveillante, fondée sur l’inclusion et la justice sociale, les droits humains fondamentaux et le respect des différences culturelles, mais unis dans notre quête d’harmonie et d’unité et l’engagement commun en faveur de la valeur et de la dignité de chacun d’entre nous.
* Jill Cottrell Ghai est la co-rédactrice de Marginalised Communities et access to Justice
* Yash Ghai est professeur de droit constitutionnel. Il est le chef de la Constitution advisory support unit du PNUD au Népal et Représentant Spécial du Secrétaire Général des Nations Unies pour la question des Droits de l’Homme au Cambodge
* Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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