Ebola et l’Afrique : La vraie guerre
Il est vrai qu’il faut des mesures de protection par rapport aux zones concernées, mais on ne peut pas décider d’isoler tout un pays. Si l’Afrique constituait déjà un seul Etat, comme l’appellent de tous leurs vœux les fils et les filles les plus conscients du Continent, comment allions nous faire ?
Depuis le mois de mars, Ébola a fait plus de 1500 morts en Afrique de l’Ouest et l'Oms a fait état de plus 240 travailleurs de la santé en Guinée, au Libéria, au Nigéria et en Sierra Leone qui ont développé la maladie, entraînant plus de 120 décès.
La Rd Congo vient à son tour d’être frappée par le fléau. Elle en est à sa septième épidémie depuis la découverte du virus sur son territoire, en 1976, dans la province de l’Equateur. Cependant, forte de son expérience de la maladie, elle pense pouvoir la contenir et la maîtriser en trois mois. Le premier cas a d’ailleurs très vite été identifié, ce qui est important pour circonscrire l’épidémie.
Les investigations ont révélé que c’est un chasseur qui a abattu un singe et que sa femme qui a dépecé et cuisiné l’animal, atteinte par la maladie, a été transportée dans une structure de santé où elle a fini par mourir. Puisqu’elle était enceinte et à terme, on a voulu sauver le bébé en pratiquant une césarienne ; la structure n’étant pas équipée pour une telle opération, a décidé de l’évacuer vers un autre centre, et finalement les agents de santé de la première comme de la deuxième structure qui l’ont accueillie ont été contaminés.
Selon le ministre de la Santé, Félix Kabangue Numbi (déclaration du 24 août), sur treize personnes décédées, victimes de la maladie, cinq sont des agents de santé. Il estime toutefois qu’il n’y a aucun lien entre ce qui arrive en Rdc et l'épidémie survenue en Afrique de l'ouest, compte tenu de l'enclavement de la zone.
En effet, il faut 1 heure 30mn de vol d’avion pour arriver à Mbandaka, capitale de l’équateur, à 1200 km de Kinshasa (c’est à dire le trajet Dakar-Bamako) ; ensuite, il faut prendre une pirogue motorisée et naviguer 4 heures dans les eaux du fleuve, pour rejoindre Boende, la zone où la maladie s’est déclarée. Dans de telles conditions les habitants ont peu de chance de contaminer d’autres populations, du fait de l’enclavement de leur localité, mais malgré tout, à “Kin la Belle”, on adopte de nouveaux comportements: On ne serre plus les mains, mais on se donne des coups de coude pour se dire bonjour.
LE REPLI DE L’AFRIQUE
L’Afrique est en train d’être mise en quarantaine par l’Occident, pendant que les gouvernements des pays non encore touchés par Ébola ont décidé de se barricader. La Guinée-Bissau a fermé ses frontières avec la Guinée, le Cameroun a fermé ses frontières avec le Nigeria, le Sénégal a fermé ses frontières avec la Guinée, le Kenya a décidé d’interdire l'entrée sur son territoire, aux voyageurs venant de Guinée, du Liberia et de Sierra Leone. Le Botswana a fermé ses frontières aux camions en provenance de la Rdc et des sources informent que des officiels congolais ont été refoulés à la frontière zambienne de Kasumbales. Le Bénin a déployé des mesures de contrôle à ses frontières avec le Nigeria, et la Côte d’Ivoire a pris des mesures de prévention, par rapport au Liberia.
Les pays touchés sont désespérés : c’est ainsi que La présidente libérienne a dû limoger des ministres et de hauts responsables sortis du pays et restés sourds à ses injonctions de revenir participer à la lutte contre l'épidémie. Mais il faut être réaliste et comprendre que ce ne sont ni la fermeture des frontières, ni le limogeage de fonctionnaires qui ont pris le chemin de l’exil qui offriront la solution au continent africain, dans sa guerre contre le virus Ébola.
Il est vrai qu’il faut des mesures de protection par rapport aux zones concernées, mais on ne peut pas décider d’isoler tout un pays. Si l’Afrique constituait déjà un seul Etat, comme l’appellent de tous leurs vœux les fils et les filles les plus conscients du Continent, comment allions nous faire ?
LE SILENCE DE L’UNION AFRICAINE
L'épidémie Ébola ne va pas être jugulée facilement en Afrique et la riposte doit être à la mesure du phénomène : c’est en effet une menace pour notre existence à tous et cette crise sanitaire se double d'une crise économique. Car selon la Banque africaine de développement (Bad), Ébola va “probablement coûter entre1% et 1,5% du Pib” au Liberia et en Sierra Leone.
Si demain tout le continent est touché, les conséquences seront incommensurables. Par conséquent, même si tous les problèmes sont urgents, celui-là l’est plus que tout autre, et la riposte ne peut être que continentale. Il est donc temps pour l’Union africaine, de se faire entendre mais surtout d’agir (1).
Les chefs d’Etat doivent prendre leurs responsabilités, l’Afrique est en guerre partout, mais la vraie guerre aujourd’hui c’est celle qu’il va falloir mener contre une maladie vicieuse que, pourtant, il est possible d’éradiquer. On peut éviter d’être contaminé.
On sait en effet que ce sont des pratiques alimentaires qui sont responsables de la propagation du virus, et au moment où on décide de protéger les éléphants et autres animaux menacés d’extinction, il faut aussi penser à la survie “du cousin de l’homme”. L’interdiction de la consommation du singe, qui est un des vecteurs de la maladie, s’impose.
LA MISE EN COMMUN DES MOYENS
Voilà près de 40 ans qu'Ébola sévit en Afrique et nous sommes incapables de faire face, faute de capacité d’anticipation et de prospective, faute d’avoir investi dans la recherche. D’autres s’y sont mis, pas seulement pour se protéger mais aussi pour s’enrichir, en cas de découverte d’un vaccin. Pourtant, il existe des chercheurs compétents en Afrique. Mais sans moyens, il leur est impossible d’apporter des solutions aux problèmes du continent.
Chaque pays a son ministère de la Recherche scientifique, avec un minuscule budget, parfois inférieur à celui d’une Ong étrangère. Nous avons la certitude qu’aucun pays, à lui seul, ne fera de miracles. Sans capacité prospective et d’anticipation, les Africains seront toujours condamnés à la dépendance y compris pour gérer Ébola. Mais en mettant en commun ses moyens, l’Afrique arrivera à faire face aux problèmes les plus importants.
L’AFRIQUE, CONTINENT DE L’AVENIR SANS LES AFRICAINS
Au moment où nous pensons que l’Afrique est le continent de l’avenir, cet avenir risque de se faire sans les africains. Sans ressources humaines comment pourrons-nous exploiter toutes nos richesses ? C’est avec un mal au cœur qu’on regarde le film “Katanga Business”, récemment diffusé sur la Radiodiffusion télévision du Sénégal et qui montre comment la Rdc est spoliée de ses richesses, lorsque les Chinois décapent littéralement les mottes de terres et les mettent dans des avions vers la Chine pour y traiter le minerai. La Rdc est incapable de faire la transformation primaire de ses matières premières, faute de compétences.
Avec Ébola et toutes les autres guerres qui la déchirent, l’Afrique est en train de se priver de ses ressources humaines, pendant que la nouvelle colonisation de ses terres est déjà en marche. Cette épidémie doit servir de leçon aux responsables de l’Union Africaines, quant à l’urgence d’agir dès à présent pour préserver notre futur.
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** Fatou Sow Sarr est sociologue
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