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[En ce cinquantenaire des indépendances, la principale attente des ivoiriens concerne ces élections pour enfin désigner celui qui refera l’unité de la nation. Ce sera le 31 octobre. Les enjeux sont énormes, écrit Ginette-Ursule Yoman. Ils portent sur la réappropriation par le peuple de son destin en faisant le choix indispensable d’un Etat promoteur d’une gouvernance saine, empreinte de justice sociale et de démocratie, et soutenue par la promotion des compétences, afin de relever avec ingéniosité et audace, les nombreux défis. Est donc arrivé le temps d’assumer l’héritage, y compris sur l’aspect essentiel de la «multiculturalité» de la nation.

30 avril 1959. Félix Houphouët-Boigny. Discours d’investiture devant l’Assemblée législative de Côte d’Ivoire : «Je me présente devant vous, animé par la seule volonté de faire de notre jeune République un Etat moderne soutenu par une agriculture rénovée, une économie libérale et des finances saines, offrant à ses travailleurs de toutes catégories la pro¬motion sociale qu’ils méritent et à tous ses enfants l’instruction indispensable à leur évolution ». Le 7 août 1960, jour de l’indépendance, il dira : «Voici arrivé pour toi, mon pays bien aimé, l’heure tant attendue… Armons-nous contre la mi¬sère, contre les incompréhensions, mais de grâce ne portons aucune arme contre notre prochain. Parce que c’est notre frère».

Vingt ans après, on parlera de «miracle ivoirien». Quadruplement du Produit intérieur brut avec une croissance annuelle d’environ 7%, doublement de la production du café et de cacao, croissance moyenne annuelle de 20% des infrastructures, quintuplement du niveau de vie avec un PIB/tête de 200.000 FCFA contre 40.000 en 1960, etc. Cette période d’embellie verra l’afflux des ressortissants de la sous-région, faisant de la Côte d’Ivoire un creuset de nationalités avec un taux unique d’immigrés de 26%. Les avancées décisives réalisées l’ont été dans le cadre du parti unique, le PDCI-RDA qui, s’il a permis de garantir la stabilité politique - Houphouët aimait à rappeler que même les Etats-Unis avaient commencé leur développement par un parti unique -, a néanmoins réprimé et parfois violemment, les velléi¬tés de déstabilisation. II en fut ainsi des complots de 1963, des révoltes du Sanwi en 1962 et du Guébié en 1967.

En 1990, la Côte d’Ivoire s’ouvre au multipartisme avec les premières élections présidentielles pluralistes. L’avènement de partis d’opposition, dont le Front Populaire Ivoirien de Laurent Gbagbo, et d’une presse d’opposition, fait souffler un vent salutaire de démocratie. Le «miracle ivoirien» s’estompe néanmoins, laissant entrevoir les failles d’un système désormais confronté à une forte demande sociale non satisfaite du fait de la baisse des revenus agricoles, des dysfonctionnements dans la gestion publique et des restrictions incluses aux programmes d’ajustement.

La mort d’Houphouët, le 7 décembre 1993, marque la fin de la stabilité politique de la Côte d’Ivoire. Son héritage incontestable aura été d’avoir réussi, par sa pratique du dialogue, à préserver son pays de changements constitutionnels violents. A compter de 1995, le miracle vire au mirage avec le «boycott actif» de l’élection présidentielle par l’opposition et plus tard, le dévoiement du concept de l’«ivoirité» qui, selon ses concepteurs, devait à l’origine rassembler tous les habitants du pays. En 1999, le coup d’Etat perpétré contre le Président Henri Konan Bédié met fin au programme dit de l’«Eléphant d’Afrique», visant à faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent ! Sur la scène politique, Henri Konan Bédié, Alassane Ouattara, unique Premier ministre d’Houphouët, et Laurent Gbagbo, opposant historique élu en 2000 sous le régime de la Refondation, dans des conditions dites calamiteuses, se livrent une lutte permanente.

La décennie 1990-2000 voit voler en éclats le principal acquis de la Côte d’Ivoire, la paix intérieure. Le 19 septembre 2002 éclate la rébellion ivoirienne, avec à sa tête un des acteurs de la période de contestation 1995¬-2000, Guillaume Sore, pour, dira-t-il, combattre «l’ivoirité» que continuerait de propager la Refondation… Huit années après, la Côte d’Ivoire scindée en deux et qui n’a pas tenu d’élections présidentielles depuis 2000, a fait un recul de plus de 20 ans. De 10% en 1985, les pauvres représentent en 2008 la moitié de la population, le taux brut de scola¬risation est tombé à 65% contre 74% en 2001 et le chômage des jeunes a atteint le niveau record de 16% contre 6% auparavant…

En ce cinquantenaire, la principale attente des ivoiriens concerne ces élections pour enfin désigner celui qui refera l’unité de la nation. Les enjeux sont énormes : ils portent sur la réappropriation par le peuple de son destin en faisant le choix indispensable d’un Etat promoteur d’une gouvernance saine, empreinte de justice sociale et de démocratie, et soutenue par la promotion des compétences, afin de relever avec ingéniosité et audace, les nombreux défis. Est donc arrivé le temps d’assumer l’héritage, y compris sur l’aspect essentiel de la «multiculturalité» de la nation.

«On ne peut se permettre d’oublier que l’ordre public, la sécurité individuelle, le progrès économique et social ne sont pas dans l’ordre naturel des choses, mais sont le résultat d’efforts incessants et d’attentions permanentes émanant d’un gouvernement honnête et efficace que le peuple aura élu ». Les cinquante prochaines années de la Côte d’Ivoire dépendent de la constance avec laquelle ses citoyens feront de cette assertion de Lee Kuan Yew, Père fondateur de la Cité-Etat de Singapour, une réalité.

* Ginette-Ursule Yoman est économiste du développement, ancien ministre (lire dans le bulletin de l’IAG : http://www.iag-agi.org/spip/IMG/pdf/Bulletin-IAG-_Francais_septembre.pdf)

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